Le bras de fer se poursuit entre Elia et la Creg : quel avenir pour l’île énergétique ?
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Le dérapage budgétaire de l’île énergétique Princesse Elisabeth, en mer du Nord, de 2,1 à 7-8 milliards d’euros, a nécessité une nouvelle audition au Parlement. Elia, le responsable du projet, et la Creg, le régulateur, se sont à nouveau affrontés sur les responsabilités d’un tel dérapage. L’Arizona et Mathieu Bihet (MR), ministre de l’Énergie, devront trancher l’avenir du projet.
Plus les auditions passent, plus la Creg a un avis tranché. Le dernier en date a été commandé par l’ancienne ministre de l’Énergie, Tinne Van Der Straeten, elle aussi mise sous pression dans ce dossier, et il a été rendu public. Que dit-il ? Qu’Elia, par “ses choix (techniques) unilatéraux”, serait responsable d’une partie du dérapage à hauteur de 1,57 milliard d’euros. Il concerne la fameuse partie DC, en courant continu, que le gestionnaire du réseau belge à haute tension a mis sur pause, le 4 février dernier, suite aux nombreuses questions de certains députés fédéraux et aux inquiétudes du secteur industriel.
Bagarre de consultants
Pour appuyer ses conclusions, la Creg s’est fait assister par le consultant DNV. Celui-ci a remis en cause ces choix techniques et les a qualifiés de “jamais vus dans le secteur offshore”. Il faut dire que l’île énergétique est présentée comme une première mondiale, puisqu’elle vise non seulement à produire 3,5 GW d’électricité, mais aussi à servir de relais avec d’autres sites de production, en mer du Nord. Par exemple, le projet Nautilus, avec la Grande-Bretagne.
“Il n’y a pas eu de choix unilatéraux d’Elia en termes de technologie”, a affirmé Frédéric Dunon, le CEO d’Elia Transmission, qui explique que tant le gouvernement que la Creg avaient été mis au courant des changements. Dès hier matin, avant l’audition en commission du parlement, le gestionnaire de réseau avait anticipé le grabuge en se défendant par communiqué. La ligne de défense est toujours la même : le contexte macro-économique a changé la donne. Avec des effets de marché qui n’ont pas pu être anticipés, se défend Elia, qui s’est flanqué d’un autre consultant pour justifier ses dires : KPMG. Ce contexte, il est évidemment connu : des problèmes d’offre dans la chaine d’approvisionnement, d’inflation des matériaux et ensuite de main-d’œuvre.
40% du dérapage entre 2021 et 2024 – environ 2 milliards d’euros – serait imputables à ses raisons. Auxquelles il faudrait ajouter la cupidité des fournisseurs qui auraient volontairement doublé leurs marges et fait porter les risques sur les clients. Ils peuvent se le permettre : ils ne sont que trois au niveau mondial à proposer ces technologies. (Siemens, Hitachi et GE).
KPMG ajoute que les modifications du design du projet, qui ont provoqué un surcoût de 1 milliard d’euros, ne sont pas propres à l’île énergétique et ont déjà été rencontrées sur des projets du même type. Par contre, le consultant n’est pas parvenu à identifier la moitié des surcoûts liés à ces effets de marchés. “À des frais de consultance ?”, se questionneront certaines mauvaises langues.
L’heure du choix
Plus fondamentalement, le sort de l’île énergétique doit être tranché. Trois scénarios sur la table :
- Maintenir le projet maximal, avec la partie DC, mais cela entrainerait un retard de trois ans.
- Abandonner la partie DC, ce qui signifierait une perte de production de l’éolien offshore belge de 3,5GW à 2,1GW, mais aussi connecter la Belgique et le Royaume-Uni en direct, sans passer par l’île.
- Abandonner tout court la connexion Nautilus entre la Belgique et le Royaume-Uni.
Le deuxième scénario est moins cher, avec un meilleur rapport coûts/bénéfices, assure la Creg, mais il comporte “plus de risques”, avertit Elia. Car le Royaume-Uni pourrait ne pas l’accepter. Ce qui mènerait au 3e scénario.
Ce sera à l’Arizona et au nouveau ministre de l’Énergie, Mathieu Bihet (MR) de trancher. “Que la décision soit un ‘go’, un ‘no go’, un report, un phasage, l’analyse devra prendre en compte ce que l’on fait si l’on n’a pas accès à cette énergie”, avait prévenu Tinne Van der Straeten, en novembre dernier.
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