Une table ronde organisée chez Skysun, la scale-up énergétique spécialisée dans le tiers-investisseur, a permis de clarifier le rôle des batteries dans l’avenir du réseau électrique belge et l’importance, pour les gestionnaires de réseau, de favoriser l’autoconsommation pour lisser les effets néfastes du renouvelable.
En juin dernier, l’énergie solaire a été la principale source d’électricité du pays devant le nucléaire et l’éolien. Et de très loin. C’est une bonne nouvelle pour la sécurité de l’approvisionnement énergétique de notre pays, mais cette explosion du renouvelable et son côté intermittent mettent les gestionnaires de réseau sous pression pour maintenir l’équilibre. Chacun a d’ailleurs dans ses cartons un projet obligatoire de modernisation et d’expansion du réseau pour répondre à la transition énergétique.
Dans cette recherche de l’équilibre, le stockage joue un rôle fondamental. À commencer par celui devant le compteur (parcs de batteries, etc.). Il permet, parallèlement, aux modèles économiques des futurs parcs éoliens offshores et solaires de tenir la route. Le stockage derrière le compteur est tout aussi crucial. Il faisait l’objet, la semaine dernière, d’une table ronde chez Skysun, la scale-up énergétique spécialisée dans le tiers-investisseur pour le développement, l’installation et la gestion de panneaux photovoltaïques et de batteries. Elle regroupait notamment Sibelga, le gestionnaire du réseau bruxellois, et Centrica, un groupe international spécialisé dans l’optimisation des batteries.
“Dans le cadre du renouvelable, l’autoconsommation, qui efface les pics d’injection, met évidemment moins le réseau à contribution, souligne Jonathan De Lathouwer, manager du Smart Program chez Sibelga. La question aujourd’hui est la dimension du réseau pour répondre à l’électrification de l’économie. Il n’est évidemment pas possible d’accepter tous les projets de raccordement d’un coup, sans quoi il faudrait investir encore plus massivement dans le cuivre. Il faut donc optimiser les capacités, entre autres, via le stockage. Tout compte puisque le marché de la flexibilité voulu par Elia n’est pas réservé qu’aux grands acteurs. Cette optimisation passe aussi, pour le particulier, par des tarifs dynamiques proposés par certains fournisseurs et incitatifs par les gestionnaires de réseau.”
En Belgique, Sibelga est à la pointe dans l’intégration de batteries dans son réseau. D’une manière générale, la Belgique est l’exemple européen à suivre en termes de gestion de la flexibilité. Mais avec un marché de l’électricité qui change tous les six mois, il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers.
“Une batterie placée derrière le compteur chez un client business, c’est un couteau suisse, souligne Thibaut Quetel, head of optimisation Europe chez Centrica. Elle a un rôle à jouer dans l’opérationnel interne : effacement des pointes de consommation, optimisation, baisse de la facture, etc. Elle permet aussi de valoriser son énergie via le trading. Il y a en Belgique 10 ou 12 marchés qui permettent de gagner de l’argent en chargeant ou déchargeant une batterie suivant les besoins du gestionnaire de réseau. Mais le marché belge est occupé à se normaliser vu la multiplication des projets. Le trading va vers plus de complexité. Et l’augmentation des frais de distribution et de transport tend à rendre l’aspect opérationnel interne bien plus important.”
“Shift” vers les batteries
Pour une entreprise, gérer ses électrons est devenu une activité essentielle à sa durabilité. Et, pour certaines, à sa conformité aux objectifs européens. Sans oublier l’aspect économique et la sécurité d’approvisionnement. Skysun, rendue célèbre par les 5.800 panneaux solaires qu’elle a placés, de façon élégante sur le plan architectural, sur la toiture des abattoirs d’Anderlecht, revendique à l’entame du dernier trimestre un parc de 40MWc de panneaux solaires. Mais, depuis la fin de l’année dernière, elle a freiné le solaire au profit de la batterie.
“Nous avons 85 MWh de batteries sous contrat dont 30 ont reçu leur permis, assure Arthur Dawans, co-fondateur et CEO. En France, ce sont des batteries devant le compteur. En Belgique, elles sont derrière, suivant deux formules. D’une part, le full service avec optimisation interne et valorisation via trading. Nous travaillons alors avec un partenaire spécialisé dans cette optimisation. L’idée est évidemment que les bénéfices soient supérieures au coût du leasing. Mais certains clients, aux prises avec des problèmes d’alimentation comme des coupures, ont choisi cette solution sans se soucier des bénéfices. D’autre part, la version immobilière. Nous louons une partie de l’espace d’une entreprise, nous installons notre conteneur, nous faisons du pur trading. Et le client n’entend pas parler de nous, sauf pour toucher son loyer annuel.”
Cette solution immobilière a un autre intérêt majeur : garder sa capacité de connexion. En effet, dans leur stratégie d’optimisation du réseau, les GRD vérifient si la capacité concédée correspond bien à la consommation et pourrait donc la revoir à la baisse.
“Les batteries permettent de garder cette capacité, poursuit Arthur Dawans. Et donc, de conserver intactes les possibilités d’augmenter l’électrification future des activités d’une entreprise. C’est crucial à un moment où chaque électron compte. Un autre rôle est méconnu : une batterie aide le réseau et le gestionnaire dudit réseau, mais aussi les voisins. Dans une boucle locale de 11.000 volts, installer une batterie dans une situation d’autoconsommation n’a aucun intérêt économique sauf à toucher un loyer, mais par contre, permet à ses voisins de placer des panneaux photovoltaïques. Dans le même ordre d’idées, dans les rues ou quartiers où les décrochages d’onduleurs sont fréquents, installer des batteries permet de soulager le réseau et donc d’éviter les décrochages.”
“Dans les rues ou quartiers où les décrochages d’onduleurs sont fréquents, installer des batteries permet de soulager le réseau et donc d’éviter les décrochages.” – Arthur Dawans (Skysun)
Le mauvais effet Google
Depuis quelques mois, tous les projets de stockage intermédiaire (pas les grands parcs ni les particuliers) par batterie, raccordés au réseau moyenne tension, sont bloqués chez Ores, le plus grand GRD wallon (gestionnaire de réseau de distribution). Sans entrer dans les détails, il est question de principe de précaution (sécurité du réseau) et d’absence de cadre réglementaire. Ce cadre, qui permet le prélèvement flexible, est en deuxième lecture au gouvernement wallon et devrait être adopté sous peu. Un soulagement vu les quelque 600 MW bloqués. Sauf que Google est entré dans la danse.
“L’annonce de Google et le blanc-seing du fédérale fait paniquer Elia, conclut Arthur Dawans. Cela ne s’arrange pas. Il est question d’augmentation de la consommation de 50% dans les cinq ans et de multiplication par cinq en 10 ans des besoins liés aux data centers installés en Belgique. Nous venons donc d’apprendre qu’Elia a décidé de temporairement bloquer tous les projets de raccordement au-delà de 250 kVA sauf à Bruxelles. C’est une catastrophe. Autant dire que nous allons encore perdre des mois avec les projets wallons bloqués. La Belgique est à la pointe de la flexibilité, mais il ne faudrait pas rater le train suivant…”
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