Les nouvelles routes du pétrole
Moins de pétrole du Moyen-Orient et plus de pétrole des Amériques pour l’Europe en 2024. De nouveaux flux sont en train de se dessiner sur la carte mondiale des routes de l’or noir.
2024 a été un synonyme de nombreux changements pour le marché du pétrole. En particulier pour les routes empruntées par les navires. Et cela dit beaucoup de choses sur l’économie et la géopolitique.
Un chiffre global d’abord. Les exportations, à 41,68 millions de barils par jour en 2024, sont en baisse de 2% sur l’année, selon les chiffres de la société d’analyse de données du monde du commerce Kpler, relayées par Reuters. Une première depuis la pandémie (2020 et 2021).
C’est avant tout le ralentissement de la demande, à cause d’économies importantes qui tournent au ralenti, qui est derrière cette baisse. En Chine par exemple, les imports ont chuté de 3%. Mais l’électrification du parc automobile et le passage aux énergies renouvelables joue aussi. Cette tendance devrait d’ailleurs également régir le marché en 2025.
Les nouvelles routes
Les données montrent ainsi que les conflits, l’un en Ukraine et l’autre au Proche-Orient, continuent d’avoir un impact sur le monde. Les navires empruntent d’autres chemins et les fournisseurs et leurs clients forment de plus en plus des blocs distincts. Par opposition à un marché plus ouvert et mondialisé, avant.
Pour l’Europe par exemple : notre continent se fait livrer davantage de pétrole américain (États-Unis et Amérique du Sud) et moins de pétrole du Moyen-Orient, en 2024. Le pétrole russe qui avant était destiné à l’Europe part maintenant en Chine et en Inde (mais cela était le cas en 2023 déjà).
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Vers l’Europe
Les raisons pour ces changements ne sont pas les mêmes. La baisse des exportations de pétrole brut des pays du Moyen-Orient vers l’Europe est conséquente : -22%. Elle est à expliquer par les attaques des Houthis du Yémen en mer Rouge, où passent les pétroliers qui partent du Golfe Arabo-Persique pour rejoindre les ports européens. Ces attaques ont commencé fin 2023 et de nombreuses compagnies ont décidé de ne plus emprunter la voie. La seule alternative est alors de contourner l’Afrique, ce qui prend plus de temps et coûte plus cher. Autre élément qui a eu lieu dans ce contexte (et qui s’auto-influence avec la baisse des importations) : des raffineries ont fermé en Europe.
En même temps, les exportations américaines vers l’Europe ont augmenté en 2024. Celles depuis la Guyane ont augmenté de 162.000 barils par jour et celles depuis les États-Unis de 60.000 barils par jour, atteignant des niveaux records dans les deux cas. Ces hausses font plus que couvrir la baisse des importations irakiennes (-82.000 bpj) et émiraties (-35.000 bpj). Au total, les importations de pétrole brut en Europe sont en baisse de 1%, en 2024.
Ailleurs dans le monde
Les États-Unis exportent de plus en plus de pétrole. En 2024, leur part de marché mondiale a atteint 9,5%. À quatre millions de barils par jour, c’est la troisième place dans le monde, derrière l’Arabie Saoudite et la Russie. Cette hausse de production est d’ailleurs un élément baissier pour les prix, alors que les pays de l’OPEP+ limitent la production pour tirer les prix vers le haut dans un contexte de demande en baisse.
Sinon, la Chine, premier importateur mondial, s’est également tournée vers d’autres fournisseurs, en fin d’année. Dans un contexte d’escalade des tensions avec Israël et de retour au pouvoir de Trump (qui s’était pris à Téhéran lors de son dernier mandat), le pétrole iranien a vu son offre baisser et son prix augmenter. Pékin s’est donc davantage approvisionné auprès du Brésil et des pays d’Afrique de l’Ouest.
En synthèse : “Le pétrole ne circule plus le long de la courbe du moindre coût, et la première conséquence est un transport maritime plus réduit, qui augmente les prix du fret et finit par réduire les marges de raffinage”, analyse Adi Imsirovic, consultant et ancien négociant en pétrole relayé par Reuters, qui parle “d’alliances opportunistes” pour décrire ces nouveaux flux.
Nouvelles capacités
Mais ce ne sont pas que les considérations géopolitiques qui jouent sur les flux du pétrole. Il y a aussi des éléments techniques, comme la mise en marche d’oléoducs ou de raffineries. Au Nigeria, la raffinerie immense du nom de Dangote a commencé ses activités en décembre 2023. Une plus grande partie du brut nigérian n’est donc plus exporté (et le chiffre global est en baisse, notamment vers l’Europe) mais transformé sur place. Et l’usine, qui raffine 500.000 barils par jours, importe aussi du pétrole d’ailleurs, dont des États-Unis.
Au Canada, la côte ouest est désormais approvisionnée par un nouvel oléoduc de Trans Mountain, qui part d’Edmonton en Alberta. Il peut transporter 590.000 barils par jour. Les exportations de brut canadien sont donc en hausse et atteignent un niveau de 550.000 barils par jour en 2024, un record.
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