Le marché du bio n’a pas dit son dernier mot (infographies)

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Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Après avoir affiché des années de croissance à deux chiffres, le marché du bio a souffert de la crise financière et du pouvoir d’achat. L’occasion pour le secteur de se remettre en question.

La part de marché du bio va encore augmenter, nous n’en sommes qu’au début”, explique Géraud Strens, fondateur et directeur d’Ekivrac, une chaîne de neuf magasins bios implantés en Wallonie. Le ton rassurant contraste avec la situation qu’a connue le secteur ces deux dernières années.

“La préoccupation du pouvoir d’achat a eu un énorme impact sur la consommation bio en 2022, confirme Ariane Beaudelot, coordinatrice du Pôle Développement de filières chez Biowallonie. Le nombre de consommateurs de bio n’a toutefois pas baissé. C’est principalement le panier qui a diminué.”

En 2022, la Belgique a vu ses dépenses en produits alimentaires bios chuter pour la première fois depuis 2016, atteignant 955,1 millions d’euros, soit une baisse de 2,5%. La Wallonie enregistre même une diminution de 5,8% (pour un montant total de 415,9 millions d’euros), selon les chiffres rapportés par l’observatoire de la consommation de l’Apaq-W, sur base des données de GfK. La part de marché des produits alimentaires bios sur le marché wallon est également en baisse pour la première fois depuis 2016. Celle-ci représente 5% de la consommation alimentaire totale en 2022 (-0,4 point par rapport à 2021).

“Les difficultés ont commencé en 2021”, se rappelle le fondateur d’Ekrivrac. Cette année-là, Bio-Planet, la chaîne de magasins spécialisés en bio du groupe Colruyt, enregistre même une diminution de 14% de son chiffre d’affaires. A l’époque, personne ne s’en inquiète: le bio avait enregistré une très forte croissance lors de la crise sanitaire.

“Les consommateurs faisaient davantage attention à leur santé et prenaient le temps de cuisiner chez eux, d’autant que les restaurants étaient fermés”, rappelle Nathalie Roisin, porte-parole de Colruyt. Problème: la diminution de la demande se poursuit. En cause cette fois: la hausse du prix de l’énergie et la forte inflation. “L’année 2022 a été très compliquée, les clients réguliers sont restés mais ils ont moins acheté”, poursuit Nathalie Roisin. Même constat du côté d’Ekivrac. “Il y a eu une fuite des clients qui prêtaient davantage attention aux prix et ont cherché à acheter moins cher ailleurs”, ajoute Géraud Strens.

Certains consommateurs ont donc modifié leurs habitudes. Mais pas tous: 69% des dépenses en bio en 2022 (en baisse de 2,8 points) ont été générés par un petit groupe de 21% d’acheteurs wallons. Annuellement, pour ce profil d’acheteur, cela représente une dépense moyenne de 844,6 euros en 2022, soit plus de trois fois le total dépensé par le ménage wallon “moyen”, qui est de 258,2 euros.

Des marques bios de distributeurs

Si ces ménages représentent la majeure partie des dépenses en produits alimentaires bios, la croissance de ces dernières années a été générée par les ménages moyens. L’explication se trouve dans l’élargissement de l’offre des produits bios dans le retail classique, les supermarchés représentent la part de marché la plus importante avec 40,8% du total des ventes en produits bios.

Carrefour, Delhaize, Colruyt mais également les hard discounteurs proposent aujourd’hui des produits bios, y compris sous la forme de leur marque de distributeurs. “Nous avons également assisté au shift des grandes marques vers notre marque maison Boni Bio, comme tous les acteurs du marché”, souligne la porte-parole de Colruyt. Carrefour, qui propose une offre bio depuis des années, observe la même tendance. “On constate une baisse du chiffre d’affaires dans la vente des produits bios, confirme Siryn Stambouli, porte-parole de Carrefour. Les consommateurs ont privilégié la marque Carrefour Bio qui est en croissance tant en termes de chiffre d’affaires que de volumes.”

Les marques de distributeurs bios sont davantage privilégiées par le consommateurs, tout comme elles le sont pour leurs versions conventionnelles. D’une part parce que celles-ci sont plus accessibles, d’autre part parce que la grande distribution a également réduit son offre. “On se concentre sur la marque Carrefour Bio afin de permettre de consommer bio à un prix abordable”, ajoute la porte-parole de Carrefour.

Inflation limitée

Objectif des supermarchés? Conserver les clients et rester concurrentiels par rapport aux magasins de produits bios spécialisés où l’inflation alimentaire a été beaucoup plus limitée que dans la grande distribution. “Nous avons une augmentation deux à trois fois moins forte chez nous”, assure Géraud Strens. “C’est de l’ordre de 5%”, confirme Anne Geens, gérante de sept magasins Biocap.

Plusieurs paramètres expliquent cette augmentation plus faible dans les magasins spécialisés. Le circuit court tout d’abord. “On se fournit principalement en produits locaux, ce qui implique moins de transports et donc moins de coûts énergétiques”, souligne Géraud Strens qui précise que les magasins bios vendent également moins de produits transformés dont le prix peut rapidement augmenter. “Nous sommes en relation directe avec les producteurs, les prix varient donc moins”, ajoute Anne Geens.

Emballages et pesticides

Autre élément: la vente de produits en vrac qui limite drastiquement les emballages qui ont eux aussi très fortement augmenté ces dernières années. “Sans oublier le prix des pesticides et des engrais qui est aussi à la hausse et dont nous nous passons dans l’agriculture bio”, se réjouit le fondateur d’Ekivrac.

L’écart de prix se réduit donc et certains produits sont mêmes moins chers dans les magasins bios que dans la grande distribution. “La grande majorité des fruits et légumes ainsi que le beurre sont moins chers dans les magasins spécialisés”, souligne Ariane Beaudelot qui a réalisé une comparaison des paniers bios types entre les supermarchés et le retail spécialisé. La différence de prix avec le riz, les pâtes ou le sucre est également négligeable (moins de 10% de différence). “Il n’y a pas de différence de prix notable entre les paniers bios des deux types de distribution”, confirme-t-elle. Le prix du panier dans la grande distribution est de 101,6 euros contre 103 euros dans les magasins bios et de vrac.

Un autre élément qui peut également conditionner le prix est l’origine des produits. Les magasins spécialisés dans le bio proposent majoritairement des produits belges dont le prix peut parfois être plus élevé que chez nos voisins. En moyenne, 75% des produits sont d’origine belge dans les magasins bios contre 34% seulement dans la grande distribution. La différence est encore plus importante pour les fruits et légumes puisque 87% de ceux-ci sont belges dans le retail spécialisé contre 26% en grande distribution.

Perception erronée

Dans le bio donc, c’est davantage la perception du prix que le prix lui-même qui affecte la demande. “Certains consommateurs surestiment la différence de prix entre le bio et le conventionnel ; même si cette différence existe, elle est objectivée par la qualité”, affirme Philippe Mattart, directeur de l’Apaq-W.

Les intervenants estiment même que certains produits bios pourraient, dans certains cas, rivaliser avec le conventionnel. “En saison, nos fruits et légumes bios sont systématiquement moins chers que leurs versions conventionnelles”, poursuit Anne Geens qui précise toutefois que ça ne sera pas le cas pour la viande dont le différentiel est assez important. “Il faut comparer ce qui est comparable”, ajoute la gérante des magasins Biocap. “Le bio est plus cher, c’est inévitable, complète Nathalie Roisin. C’est dû non seulement aux différences d’échelles mais aussi à la législation en vigueur. Par exemple, le label bio autorise moins d’animaux dans une étable.”

Reprise de la fréquentation

Après avoir été sous pression, le marché se stabilise, la période de baisse des ventes semble être derrière. “On assiste à une reprise de la fréquentation et une hausse des ventes depuis le début de l’année”, se réjouit Géraud Strens qui compte une augmentation de 10% des clients depuis le début de l’année. “L’indexation automatique a certainement joué son rôle”, poursuit-il. Même tendance dans les magasins Bio-Planet qui constatent une hausse des tickets de caisse de l’ordre de 5%. “En mars et avril, nos ventes ont augmenté et nous avons attiré de nouveaux clients”, complète Nathalie Roisin.

Si le marché du bio reprend aujourd’hui des couleurs, c’est aussi grâce à une optimisation des coûts. “Il y a très peu de marge de manœuvre si on veut garder un prix juste pour tout le monde”, précise Anne Geens. En revanche, les magasins bios ont saisi l’occasion de revoir leurs assortiments en évitant les doublons en rayon par exemple. “Dans le même ordre d’idée, nous sommes devenus un peu plus stricts dans la définition de l’assortiment, confirme Nathalie Roisin. Nous donnons aujourd’hui six mois à un produit avant de l’évaluer, contre un an auparavant.”

La chaîne bio de Colruyt a également supprimé la possibilité pour les clients de récupérer leurs courses chez Bio-Planet dans les points d’enlèvement Collect&Go de Colruyt. “Le modèle n’était pas viable ; préparer les courses dans le Bio-Planet et les acheminer vers les points d’enlèvement de Colruyt représentait un coût conséquent en termes de main-d’œuvre et de transport”, ajoute la porte-parole.

“Il y a encore une belle marge de progression”, assure Géraud Strens qui estime que le secteur pourrait réaliser des économies d’échelle en se rassemblant afin de mutualiser les coûts. “La logistique est un élément essentiel pour se réinventer.”

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