La crise de l’eau douce, l’autre crise qui menace le monde

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L’eau douce est une ressource d’autant plus précieuse qu’elle est vitale. Pourtant, selon les Nations unies, vampirisée par l’homme, elle pourrait très bientôt se faire trop rare. Une pénurie qui peut entraîner des tensions à tous les niveaux. En brisant le cycle de l’eau, nous avons ouvert la voie à une crise sans précédent.

L’humanité épuise “goutte après goutte” les ressources en eau de la planète. Au point qu’une crise mondiale de l’eau est “imminente” prévient l’ONU qui s’apprête recevoir la première conférence internationale consacrée à la gestion de la ressource hydrique depuis 46 ans. L’or bleu n’a en effet ni agence ni de fonds attitrés au sein des Nations unies comme la santé ou l’éducation. Elle n’a pas non plus d’envoyé spécial qui lui est dédié. Pourtant cette ressource est des plus précieuse puisque sans elle on n’est rien. Et l’urgence est grande.

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Selon le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, “L’humanité s’est engagée aveuglément sur un chemin périlleux. Une surconsommation et un surdéveloppement vampiriques, une exploitation non durable des ressources en eau, la pollution et le réchauffement climatique incontrôlé sont en train d’épuiser cette source de vie de l’humanité. Et nous en subissons tous les conséquences”. Il n’y a aujourd’hui, pas assez d’eau par endroit et trop dans d’autres. Mais aussi énormément d’eau qui est contaminée ou polluée.  Des milliards de personnes sont déjà frappées par des problèmes liés à l’eau, avec un risque “imminent” de crise mondiale. “Nous avons brisé le cycle de l’eau”, résume Henk Ovink, envoyé spécial pour l’eau des Pays-Bas, co-organisateurs avec le Tadjikistan de cette conférence. “Nous devons agir maintenant parce que l’insécurité liée à l’eau sape la sécurité alimentaire, la santé, la sécurité énergétique ou le développement urbain et les problèmes sociaux ».

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Cela ne doit donc rien au hasard que les crises de l’eau sont classées presque chaque année depuis 2012 dans le top cinq des risques mondiaux du Forum économique mondial.

Combien de personnes seront touchées ?

Aujourd’hui environ 10% de la population mondiale vit dans un pays où le stress hydrique (lorsque la demande dépasse l’eau disponible) atteint un niveau élevé ou critique. Et selon le rapport des experts climat de l’ONU (Giec) publié lundi, “environ la moitié de la population mondiale” subit de “graves” pénuries d’eau pendant au moins une partie de l’année.

Lors des 40 dernières années, l’utilisation de l’eau douce a augmenté de près de 1% par an. En conséquence les volumes d’eau disponibles ont diminué de 20 %, en moyenne dans le monde, entre 2000 et 2018. Les plus touchés sont l’Afrique subsaharienne -41%) et l’Asie centrale (- 30 %) et de l’Ouest (-29 %).

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Aujourd’hui, l’agriculture utilise plus de 70% des ressources mondiales en eau, mais avec la demande des villes qui devrait augmenter “de 80% d’ici à 2050, l’approvisionnement en eau des centres urbains à partir des zones rurales est devenu une stratégie courante” pour répondre à ces nouveaux besoins, note l’ONU.  Pour répondre à cette soif, les humains se tournent vers les nappes phréatiques avec des extractions parfois excessives: entre 100 et 200 km3 des réserves d’eau souterraine sont épuisés chaque année. Mais même comme ça, cela ne devrait pas être suffisant. Le nombre d’habitants des zones urbaines menacés par les pénuries d’eau devrait passer de 933 millions en 2016 à entre 1,7 et 2,4 milliards en 2050, selon l’ONU-Eau, qui note que l’Inde devrait être le pays le plus gravement touché.

De grands risques que cela s’empire

Par ailleurs les pénuries d’eau “tendent à se généraliser”, et à s’aggraver avec l’impact du réchauffement, jusqu’à frapper prochainement même les régions aujourd’hui épargnées en Asie de l’Est ou en Amérique du Sud. Selon la Banque mondiale, ces pénuries d’eau renforcées par le changement climatique pourraient coûter dans certaines régions jusqu’à 6% du PIB d’ici 2050 en raison des impacts sur l’agriculture, la santé, les revenus, et potentiellement des migrations forcées voire des conflits.

Quant à savoir combien de personnes seront touchées par cette crise mondiale de l’eau, tout est une question de scénario. Selon Richard Connor, l’un des principaux auteurs du rapport annuel de l’ONU, “si rien n’est fait, entre 40 et 50% de la population continuera à ne pas avoir accès à des services d’assainissement et environ 20-25% à de l’eau potable”. Et même si les pourcentages ne changent pas, la population mondiale grossit et le nombre de personnes touchées avec.

Pas tout le monde à la même enseigne

Le problème de l’eau met en lumière les inégalités. Au moins deux milliards de personnes boivent de l’eau contaminée par des excréments, les exposants au choléra, la dysenterie, la typhoïde et à la polio. Sans oublier les pollutions par les produits pharmaceutiques, chimiques, pesticides, microplastiques ou nanomatériaux.

Or “où que vous soyez, si vous êtes assez riches, vous arriverez à avoir de l’eau”, note Richard Connor. “Plus vous êtes pauvres, plus vous êtes vulnérables à ces crises”. Actuellement, la moitié des personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable se trouve en Afrique subsaharienne. Le problème n’est pas seulement le manque d’eau, mais aussi la contamination de celle qui peut être disponible, en raison de l’absence ou de carences des systèmes d’assainissement.

En 2020, 2 milliards de personnes (soit plus d’un quart de la population) étaient toujours privées d’une eau potable sûre et 3,6 milliards (46% de la population) n’avaient pas accès à des services d’assainissement gérés de façon sûre, dont 494 millions n’avaient d’autre choix que de faire leurs besoins en plein air. Toujours en 2020, plus de 40% des eaux usées domestiques n’étaient pas traitées de façon sûre avant d’être rejetées dans l’environnement. En outre, 2,3 milliards de personnes (29 % de la population mondiale) ne bénéficiaient pas de services d’hygiène de base, dont 670 millions sans aucune installation pour le lavage des mains. Et au moins deux milliards de personnes boivent de l’eau contaminée par des excréments. En 2019, 1,4 million de morts auraient été causées par l’absence de services d’hygiène et d’assainissement adéquats et 27 % de la mortalité infantile en Afrique seraient liés aux maladies hydriques.

Pourtant l’accès à l’eau et à l’assainissement est reconnu comme un droit humain fondamental depuis 2010 par l’assemblée générale des Nations unies. Concrètement cela signifie que chacun devrait pouvoir s’approvisionner à une source située à moins de 1 kilomètre et de trente minutes de chez lui. Et si en 2015, les États membres se sont fixé pour objectif d’assurer l’accès pour tous à l’eau potable d’ici à 2030, on est encore très loin du compte.

Les estimations sont difficiles, mais une étude citée par le rapport évalue à plus 1.000 milliards de dollars par an les investissements nécessaires, soit de multiplier les niveaux d’investissement actuels par trois au moins, voire quatre estime l’ONU-Eau. Et la question des travaux d’assainissement des eaux est particulièrement sensible puisqu’il coûte cinq fois plus cher que ceux pour l’eau potable.

Une source de tensions

Selon Le Monde, « 153 États dans le monde sont riverains de 286 cours d’eau et lacs qui leur sont communs et utilisent 592 systèmes d’aquifères transfrontaliers ». Un partage des ressources qui peut entraîner d’importantes tensions entre états, voire en guerre en cas de pénurie. D’autant plus qu’il n’existe que peu d’accords concrets sur ce sujet. Partout dans le monde, il existe de nombreux exemples où les tensions sont élevées. Par exemple le conflit de la mer d’Aral comprenant le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan, ou encore celui du Jourdain entre les États levantins et du Mékong entre la Chine et ses voisins d’Asie du Sud-Est, ou encore celui autour du Nil Bleu entre l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie.

Sans compter que s’il n’y a plus d’eau les gens se déplacent. La sécheresse pourrait mettre jusqu’à 700 millions de personnes sur les routes de l’exil d’ici 2030.

Peter Gleick, directeur du Pacific Institute basé à Oakland, a passé les trois dernières décennies à étudier le lien entre la pénurie d’eau, les conflits et la migration. Pour lui, les conflits liés à l’eau sont en augmentation. “À de très rares exceptions près, personne ne meurt littéralement de soif “, dit-il ainsi à la BBC. “Mais de plus en plus de personnes meurent à cause de l’eau contaminée ou de conflits pour l’accès à l’eau.” Lui et son équipe ont ainsi établi la Water Conflict Chronology. Soit un compte-rendu de 1298 petits et grands conflits liés à l’eau dans l’histoire.  L’eau va selon les conflits servir de déclencheur (garder le contrôle), d’arme (par privation), ou de victime (destruction des canalisations ou des usines de traitement d’eau). Un constat aussi relie les différentes époques. À mesure que la demande d’eau augmente, l’ampleur des conflits potentiels augmente également. Aujourd’hui, certaines parties du monde doivent faire face à la fois au stress hydrique et au changement climatique. Ce double stress risque d’être une source de grandes tensions à l’avenir. 

Pas que la sécheresse, l’eau peut aussi être un problème en cas d’inondations

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Logiquement, le réchauffement multiplie les sécheresses qui, sur la même période, ont concerné 1,43 milliard de personnes et causé 130 milliards de dollars de dommages. La sécheresse dans la Corne de l’Afrique en 2022 a ainsi causé la mort de 43 000 personnes en Somalie. Mais avec le réchauffement de la planète, l’humidité dans l’atmosphère augmente environ de 7% par degré supplémentaire. Ce qui entraîne davantage de précipitations, plus intenses et moins régulières. Entre 2000 et 2019, les inondations auraient provoqué 650 milliards de dollars de dégâts, touché 1,65 milliard de personnes et causé plus de 100.000 morts, selon le rapport. Ensemble, sécheresses et inondations comptent pour plus de 75% des catastrophes naturelles subies par l’humanité.

Une ressource de plus en plus rare, car de plus en plus polluée

L’eau doit être disponible, mais aussi de qualité pour être potable. On estime aussi que 80% des eaux usées se déversent dans la nature.  Or les différentes formes de pollutions (chimique, mais aussi le microplatisque ou les produits pharmaceutiques), touchent également les écosystèmes d’eau douce, victimes notamment des ruissellements d’origine agricole. Ces écosystèmes sont “parmi les plus menacés dans le monde”, note le rapport, qui évoque notamment la disparition de plus 85% des zones humides.  Et “la perte de services environnementaux et de biodiversité devrait se poursuivre au fur et à mesure que les zones naturelles disparaissent au profit de terres cultivées”. Avec le risque de provoquer des émissions de gaz à effet de serre “considérable” lorsque les tourbières sont “drainées et converties en terres cultivées”.

Evolution des chiffres de la consommation d’eau dans le monde au cours du dernier siècle :

1920-1930 : La consommation d’eau dans les pays industrialisés commence à augmenter à mesure que les industries se développent et que les populations augmentent.

1950 : La consommation d’eau dans le monde atteint environ 1000 km3 par an, principalement due à l’agriculture irriguée.

1970 : La consommation d’eau dans le monde double pour atteindre environ 2000 km3 par an, principalement en raison de la croissance démographique et du développement économique.

1980-1990 : La prise de conscience de la rareté de l’eau et de l’impact de la surconsommation conduit à la mise en place de politiques de gestion de l’eau dans de nombreux pays.

2000 : La consommation d’eau dans le monde atteint environ 3000 km3 par an, avec une croissance principalement due à l’urbanisation et à l’augmentation de la demande en eau potable.

2010-2020 : La crise mondiale de l’eau s’intensifie avec une augmentation de la demande en eau potable, une augmentation de la demande en irrigation, et des événements climatiques extrêmes tels que les sécheresses et les inondations.



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