Accor, Coca-Cola, Danone, Nestlé… ces grandes entreprises sont-elles sincères en soutenant la loi de restauration de la nature ?

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Près de 70 multinationales soutiennent, dans une lettre ouverte, la loi sur la restauration de la nature votée le 12 juillet au Parlement européen. À leurs yeux, cette loi permettra de « s’attaquer à la crise climatique, assurer notre sécurité alimentaire et d’approvisionnement en eau à long terme, ainsi que protéger et créer de nouvelles opportunités d’emploi ». Nicolas Lambert, expert en marketing et développement durable, analyse pour Trends Tendances cette démarche qui peut paraître surprenante pour des sociétés réputées pour protéger davantage leurs profits.

Est-ce une démarche sincère de la part de ces multinationales de soutenir la loi sur la restauration de la Nature ?

C’est assez récent que des multinationales se positionnent sur ce genre de loi, que ce soit celles sur la restauration de la nature ou sur le Devoir vigilance. C’est surprenant. On peut voir ce positionnement sous différents angles. Certaines entreprises sont sincères et réellement engagées. Elles estiment que c’est la bonne chose à faire et s’expriment sur leur démarche.

D’autres peuvent se montrer plus intéressées car elles sont fortement dépendantes de l’écosystème dans lequel elles vivent. Le plus évident, c’est pour les entreprises agroalimentaires. Si la productivité agricole baisse à cause du réchauffement climatique, et de la perte de biodiversité, ce n’est pas une bonne chose pour leurs modèles économiques. Les effondrements d’écosystèmes, les inondations ou de grosses vagues de chaleur les impactent fortement et constituent une menace pour elles.

Il y a un dicton qui dit « on ne fait pas de business sur une planète morte »

Il y a d’ailleurs un dicton qui dit « on ne fait pas de business sur une planète morte ». Les assureurs se rendent eux-aussi compte que le risque doit rester assurable. C’est donc dans leur plus grand intérêt que la nature soit protégée sur le long terme.

Il n’y a donc aucun calcul là-derrière ?

Ces entreprises se rendent bien compte que vu qu’elles sont de gros acteurs, elles vont, de toute façon, devoir prendre des mesures sous la pression des médias, des ONG des consommateurs,…C’est important pour elles que ces mesures deviennent des lois, car elles s’appliquent alors à tout le monde, y compris aux plus petites structures. Là, il peut y avoir une sorte de calcul. Elles peuvent se dire que si certaines choses sont contraignantes, c’est mieux si elles le sont pour tout le monde.

Danone, par exemple, s’est positionnée sur l’agriculture régénératrice, qui protège les sols, valorise les agriculteurs et garantit le bien-être animal. C’est dans son intérêt que ce type d’approche devienne une norme générale qui s’applique à tout le secteur, plutôt que d’être la seule société à la suivre. Il n’y a alors pas de distorsion de la concurrence si les sociétés se situent dans le même “level playing field” (ndlr : contexte dans lequel toutes les sociétés sont sur un même niveau de concurrence en suivant les mêmes règles). Et tant mieux si certaines s’en sortent peut-être mieux que d’autres, cela fait aussi partie du jeu.

Jusqu’à en venir à évincer les plus petites structures qui ne seraient pas capables de suivre le mouvement ?

Je ne pense pas que les entreprises soient si machiavéliques (rires). Après, que la raison soit cynique ou pas, l’important est d’avancer dans la bonne direction. Il faut noter que loi sur la restauration de la nature sera aussi davantage portée par les Etats et les agriculteurs que par les entreprises qui sont, elles, plutôt concernées par la loi sur le Devoir de vigilance (ndlr : règles relatives au respect des droits de l’homme et de l’environnement par les entreprises). Là, elles auront beaucoup d’efforts à fournir pour montrer qu’il n’y a pas d’abus des droits de l’homme dans leur chaine de valeurs. Elles ont aussi intérêt à ce que cette loi s’applique à tout le monde plutôt qu’uniquement aux sociétés les plus visées par les ONG et les médias.

Peut-on considérer leur démarche comme une sorte de greenwashing ?

On ne peut pas parler de greenwashing à partir du moment où ces entreprises soutiennent la loi et y sont soumises. Cela les positionne favorablement, mais c’est plutôt un bénéfice secondaire pour leur image. Elles le font principalement, car sur le long terme, c’est dans leur intérêt direct. Même si cette visibilité est intéressante à prendre en passant, ce n’est pas leur objectif principal.

On ne peut pas parler de greenwashing à partir du moment où ces entreprises soutiennent la loi et y sont soumises.

Prendre position et participer au débat permet également de pouvoir l’influencer plutôt que de le subir. C’est intelligent, ce n’est pas forcément négatif. J’y vois aussi un argument de communication. Avec la guerre des talents qui se joue en Europe, de nombreuses entreprises ont des difficultés à recruter. En se profilant comme des organisations responsables, cela leur permet d’attirer des candidats sensibles à ces questions environnementales.

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