Pourquoi les memecoins ne sont pas vraiment drôles

Les memecoins, ou monnaies numériques à vocation humoristique, sont omniprésents dans l’univers des cryptoactifs. Mais derrière leurs couches colorées d’ironie postmoderne se cachent des risques, des arnaques et des atteintes à la réputation du secteur. « Il s’agit d’un segment totalement distinct et hautement spéculatif, dans lequel deux groupes sont principalement actifs : les investisseurs débutants, et les traders professionnels qui misent sur les erreurs de ces novices », avertit Gwen Busseniers, de CryptoSchool.
Les memecoins tirent leur nom de blagues issues d’internet ou de phénomènes culturels, comme le dogecoin (basé sur le mème du shiba inu) ou pepe. Ils sont souvent lancés sans réelle valeur technologique ni application concrète. Leur valorisation repose principalement sur une popularité virale et l’influence de célébrités du web.
Contrairement aux cryptomonnaies établies telles que le bitcoin ou l’ether, ils ne reposent que rarement sur une vision à long terme ou sur des fondamentaux solides. « Les memecoins sont souvent entièrement dépendants de la hype sur les réseaux sociaux et sont rarement soutenus par un projet robuste ou une équipe de développement crédible », explique Gwen Busseniers, analyste technique et experte en crypto. « Même s’ils peuvent parfois offrir des rendements spectaculaires, leurs effets collatéraux pèsent de plus en plus lourd sur la crédibilité du marché crypto dans son ensemble. »
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Rug pulls
L’attrait des memecoins ne doit pas être sous-estimé. Le battage médiatique, la perspective de gains vertigineux et la peur de rater une opportunité (FOMO, pour fear of missing out) incitent de nombreux investisseurs inexpérimentés à se lancer massivement. « Certains investisseurs misent de petits montants – par exemple 50 euros répartis sur dix memecoins – en espérant que l’un d’eux “explose”. Cela arrive parfois, mais encore faut-il savoir quand vendre. Beaucoup de débutants ne le savent pas et conservent leurs jetons jusqu’à ce que le cours s’effondre à nouveau. C’est alors que les professionnels interviennent, en prenant des positions à la baisse », détaille Busseniers.
Pourtant, les memecoins ont rarement – voire jamais – de valeur intrinsèque. Le dogecoin constitue une exception rare. « À l’origine, il n’avait aucune valeur intrinsèque. Mais sous l’influence d’Elon Musk, une communauté fidèle s’est formée. La monnaie est alors devenue si importante que des efforts ont été déployés pour lui conférer une certaine utilité. » Mais cela reste marginal. La majorité des memecoins sont des châteaux de cartes, gonflés par les leaders de leur communauté. « Leur valeur repose uniquement sur la spéculation », poursuit Busseniers. « Cela renforce l’image du secteur crypto comme un marché non régulé et à haut risque, où les opportunistes ont le champ libre. »
Arnaque délibérée
À cela s’ajoute le phénomène du rug pull, où un projet crypto est délibérément conçu pour arnaquer les investisseurs. « Une des principales conséquences est la dégradation de la réputation du secteur. Les memecoins sont fréquemment associés à des pratiques frauduleuses telles que les pump and dump et la manipulation de marché. Il en résulte un climat de méfiance, qui rend aussi la tâche plus difficile aux projets cryptos sérieux pour s’imposer. »
Les rug pulls prennent plusieurs formes. Dans le cas d’un faux projet, on retrouve un site web soigné, un whitepaper (document de présentation) et une communication prometteuse, mais l’objectif est, dès le départ, de disparaître avec les fonds collectés. Un pump and dump, en revanche, est souvent orchestré par des groupes qui achètent eux-mêmes des tokens, génèrent un engouement artificiel via les réseaux sociaux ou des faux groupes, puis revendent leurs jetons dès que le prix atteint un pic. « La valeur de ces tokens peut s’envoler ou s’effondrer en quelques minutes », affirme Busseniers. « Ainsi, la monnaie Hawk Coin a perdu pratiquement toute sa valeur en vingt minutes. Ces mouvements ne sont pas seulement dévastateurs pour les investisseurs individuels, mais nuisent également à la confiance globale dans le secteur. »
Donald et Melania
La popularité des celebrity coins accroît encore davantage la dangerosité du phénomène. La soi-disant Trump Coin a été lancée peu avant la prestation de serment de Donald Trump en tant que président des États-Unis. « Probablement afin d’éviter des complications juridiques », précise Gwen Busseniers.
« Quant à la monnaie associée à Melania Trump, les conditions générales stipulaient explicitement que les acheteurs devaient renoncer à toute action en justice contre les initiateurs. De plus, ces derniers conservaient eux-mêmes 80 % des jetons en circulation. Cela représente une menace constante pour les investisseurs extérieurs. »
L’évolution du cours était prévisible : un pic initial alimenté par la hype, suivi d’une chute brutale dès que les investisseurs se tournaient vers une nouvelle tendance. « C’est un schéma classique pour les memecoins », observe Busseniers. « Au final, les deux cours se sont effondrés comme un soufflé. »
Les influenceurs et les célébrités jouent un rôle préjudiciable dans ce mécanisme. « Un exemple connu est John McAfee (développeur d’antivirus et libertarien provocateur, ndlr). Il a un jour promu Reddcoin, ce qui a brièvement fait exploser son prix. Il s’est avéré par la suite qu’il avait été rémunéré par les développeurs. » McAfee a été arrêté pour fraude et est décédé en prison.
Mais d’autres figures publiques – politiciens, sportifs ou célébrités – interviennent également dans l’univers des memecoins, souvent sans véritable connaissance du sujet… ou, au contraire, en disposant d’informations privilégiées, motivées par un pur appât du gain.
La régulation comme solution ?
La régulation pourrait-elle apporter une solution ? Peut-être, mais la question reste complexe.« En soi, un memecoin n’est pas illégal », souligne Busseniers. « La régulation pourrait porter sur la transparence, par exemple en soumettant les whitepapers ou les plateformes d’échange à un contrôle accru. »
Les plateformes de trading jouent ici un rôle central. « Les grandes plateformes ne répertorient les memecoins que s’ils présentent un volume et une liquidité suffisants. Certains sites apposent désormais des labels comme rug pull risk aux tokens concernés. Coter un memecoin n’est pas répréhensible en soi, mais si une bourse est consciente qu’il s’agit d’une fraude et agit malgré tout, elle en porte alors la responsabilité. »
Un environnement de type casino
La prudence reste de mise. Bon nombre de projets de memecoins sont lancés par des développeurs anonymes, qui promettent des gains irréalistes. « Il est souvent difficile pour les investisseurs de détecter à temps ce type d’escroquerie », déclare Busseniers. « Pourtant, certains signaux doivent alerter : absence d’audits indépendants, contrôle total de la liquidité par une seule entité, ou tout simplement une overdose de hype sans contenu réel. »
Elle-même enquête sur ces coins à travers Google Trends, les réseaux sociaux et les volumes de recherche. Mais cette attention ne fait qu’alimenter encore davantage la hype – un équilibre fragile et instable.
Et qu’en est-il de l’éducation financière ? « C’est difficile », admet Busseniers. « Tant qu’il y aura des gains potentiels à réaliser, les gens continueront à se lancer. On ne peut que mettre en garde. » Elle adresse un message clair aux jeunes investisseurs qui veulent s’enrichir rapidement : « Les memecoins n’ont rien à voir avec l’investissement. C’est un terrain réservé aux professionnels ayant de longues années d’expérience dans la crypto. Si vous investissez 20 euros dans l’espoir d’un gain, considérez cela comme un pari. Vous jouez au casino. Tant que vous en avez conscience, cela ne pose pas de problème. Mais il faut savoir ce que vous faites. »
Tant que la hype perdurera, le cycle se répétera inlassablement : une montée fulgurante, suivie d’un effondrement brutal. « Une adoption structurelle des cryptoactifs nécessite une certaine stabilité », conclut Busseniers, « et c’est précisément ce qui fait défaut tant que des tokens aussi spéculatifs dominent le marché. Tant que les memecoins et les rug pulls continueront à faire les gros titres, ils mineront la confiance dans l’ensemble du secteur. »
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