Michel Liégeois (cafés Charles Liégeois): “Il est plus facile de sensibiliser les entreprises que les particuliers au fair trade”
Le torréfacteur Charles Liégeois, qui va fêter ses 70 ans l’année prochaine, alerte sur la nécessité pour le consommateur d’acheter équitable. Son CEO aborde aussi les défis du changement climatique et de la spéculation sur la matière première.
“Le café pourrait devenir un produit de luxe dans quelques années”, estime Michel Liégeois, CEO de l’entreprise Charles Liégeois qui produit des cafés du même nom. “Si vous aimez votre tasse de café le matin, ayez conscience que le changement climatique va affecter la qualité, la disponibilité et le prix de cette boisson.”
Il faut dire que la culture de café est pour le moins complexe : le caféier ne pousse que dans certaines conditions à savoir un climat subtropical pas trop chaud, ne descendant pas sous les 10 à 12 degrés, mais ne dépassant pas non plus les 35 degrés. Ajoutez à cela des conditions d’humidité spécifiques, des pluies régulières et réparties sur l’année sans période de sécheresse ni de pluie abondante. “Ces conditions ne se trouvent pas partout et sont de moins en moins rencontrées”, alerte Michel Liégeois qui rappelle que les cultures brésiliennes, principales sources des torréfacteurs, ont souffert du gel en 2021 et subissent aujourd’hui une sécheresse.
Vous voyez le topo ? Avec le réchauffement climatique, la niche écologique dans laquelle le café se développe pourrait se réduire de 50% d’ici 2050, obligeant la filière à se réinventer.
Michel Liégeois n’a pas attendu de ressentir les conséquences du changement climatique sur ses activités pour y être sensibilisé. En 2005 déjà, celui-ci partait à la rencontre de producteurs de café en Colombie. “Dans certaines plantations et pépinières, j’ai vu des stations météorologiques, j’ai rencontré des chercheurs, qui étudiaient l’influence du réchauffement climatique sur la culture du café, et les espèces de caféiers les plus à même de s’y adapter”, se rappelle-t-il.
Mais c’est son voyage au Costa Rica qui le marquera bien davantage. Sur place, il prend conscience de l’impact positif du commerce équitable sur le terrain. “Pour un café de qualité, il s’agit d’être respectueux à la fois de la planète et des hommes.”
Une filière inégale
La production de café repose en réalité sur 25 millions de petits producteurs qui couvrent 80% de la production mondiale (le Brésil détient le plus gros du marché, talonné par le Vietnam et l‘Éthiopie). Ceux-ci ne bénéficient que marginalement des bénéfices créés par les acteurs en aval de la filière. En 2018, une étude de Max Havelaar France, Commerce Equitable France et le collectif Repenser les Filières rapportait que les producteurs de café ne captaient environ que 10 % du prix de vente moyen du café au consommateur. “Les conditions de travail décentes et une rémunération équitable des producteurs sont primordiales pour moi”, ajoute Michel Liégeois.
Le torréfacteur avait déjà souscrit en 2000 à la certification Max Havelaar, devenue plus tard le label Fairtrade, et propose depuis 2008 une gamme de cafés labellisés Fairtrade et bios. Cela concerne aujourd’hui 20% des volumes du café produit sous la marque Charles Liégeois. Le cahier des charges du label inclut notamment des conditions de travail décentes, avec une meilleure rémunération des producteurs, une prime de développement pour financer des projets collectifs et l’autonomie des coopératives. Le respect de l’environnement est quant à lui garanti par la préservation des ressources et l’interdiction des OGM et pesticides.
Une matière première spéculative
La filière du café doit aujourd’hui jongler avec des prix très élevés : les prix du café ont tutoyé les sommets en Bourse et cela concerne aussi bien le robusta que l’arabica, les deux variétés les plus répandues. “Le marché est extrêmement compliqué et sous tension, en raison notamment des conditions météorologiques au Brésil”, analyse le CEO. À Londres, le robusta a atteint 5.486 dollars la tonne, un nouveau record depuis le début du contrat en 2008 et à New York, la livre d’arabica a atteint 271,80 centimes de dollars, son niveau le plus élevé depuis 13 ans. “Le café est la deuxième matière la plus spéculative après le pétrole, note Michel Liégeois qui achète son café en dollars. Sur la même journée, on peut observer des fluctuations de l’ordre de 4 à 5%.”
Comment faire du business avec une matière première soumise à de telles variations de prix ? “On n’achète jamais bien quand on achète de la matière première, c’est assez ingrat comme métier, juge-t-il. Tout le monde peut aujourd’hui surveiller le cours du café au même titre que l’or et le pétrole et bien souvent cela crée une distorsion.” Les conséquences sont inéluctables : tout le monde devra appliquer des hausses de prix “sans quoi ce serait la fin de la torréfaction”.
Pour autant, la spéculation et les hausses de prix inédites ne sont pas le plus grand défi du torréfacteur. “Pour notre métier, c’est sans doute le changement climatique qui représente le plus gros challenge, explique Michel Liégeois. Pour l’entreprise en revanche, je dirais l’adaptation aux législations européennes.”
Comme les autres entreprises, les cafés Charles Liégeois devront présenter des packagings recyclables, avec un certain pourcentage de produits recyclés dans les emballages. “Nous avons déjà commencé à commercialiser des emballages en monomatériaux qui sont recyclables, mais ce n’est pas toujours évident à développer techniquement.”
“Le café est la deuxième matière la plus spéculative après le pétrole.”
Le prix de l’équitable
Autre point d’attention européen : le règlement sur les produits sans déforestation. À partir du 1er janvier, les entreprises européennes ne pourront plus importer du café issu de zones de déforestation. “C’est une bonne chose de vouloir limiter la déforestation, mais il y a la réalité du terrain”, pointe-t-il.
Pour Michel Liégeois, ce règlement implique que certains pays producteurs ne pourront tout simplement plus vendre en Europe. “Ils n’auront tout simplement pas les moyens financiers pour investir dans la technologie GPS.” Le producteur de café devra en effet garantir, grâce à des points GPS, que le café est issu de parcelles en ordre. Pour le torréfacteur, on va assister à un marché du café à deux vitesses : pour les Européens et les autres. “On estime le coût entre 15 et 20 cents du kilo pour cette législation, explique le CEO. À savoir la surprime demandée par le pays d’origine et le coût de l’organisation pour l’importateur.”
Aujourd’hui, “Charles Liégeois Roastery” est la première marque belge en termes de volume de production bio et Fairtrade. “Pour le consommateur, acheter équitable n’est pas beaucoup plus cher”, assure Michel Liégeois qui achète le café 2 euros plus cher au kilo. “Cela revient à environ 2 cents de plus par tasse”, calcule-t-il.
Et c’est là où s’entame un bras de fer avec la grande distribution. “Là où l’on réduit nos marges pour rendre le produit accessible, les distributeurs augmentent les leurs puisqu’il s’agit d’un produit de niche”, observe-t-il. Au même titre que d’autres produits de niche, les cafés de la marque belge ne se trouvent pas toujours dans le rayon café, mais dans les rayons ou displays bios. “Nous ne sommes pas forcément mis en évidence, ce qui n’aide pas le consommateur à faire un choix réfléchi.”
D’autant que le café Charles Liégeois est mis en concurrence avec les private labels étiquetés fair trade. “Ils sont donc mis en avant quitte à déclasser les autres”, regrette le CEO qui produit également pour des private labels, à hauteur de 70% de ses volumes. “C’est essentiel afin de rentabiliser nos outils de production qui servent la marque Charles Liégeois”, précise-t-il. Comme d’autres marques, les cafés Charles Liégeois ont souffert de la poussée des marques de distributeurs. “Elles sont en plus présentes sur toutes les catégories de prix : du bas de gamme au haut de gamme.”
Parmi ces autres canaux de distribution, le torréfacteur travaille en out of home. Le secteur représente la moitié de ses activités et peut être scindé en deux catégories : l’horeca d’un côté et les entreprises de l’autre. Historiquement, l’horeca est d’ailleurs le premier canal de distribution de Charles Liégeois. “À l’époque, mon père jugeait plus prudent de se tourner vers un autre secteur que le retail puisque Douwe Egbert débarquait sur le marché belge”, se souvient Michel Liégeois.
L’entreprise propose différentes formules à ses clients avec notamment la location d’une machine à café, ainsi que les accessoires ou la vaisselle. En contrepartie, les clients doivent acheter le café au torréfacteur. “Nous avons un parc de machines assez important en entreprise”, assure le CEO. Parmi les clients, on retrouve des brasseries et hôtels indépendants ou des chaînes de restauration comme Tasty Corner ou Exki. Au niveau des entreprises, ce sont plutôt des grosses machines telles que Ethias ou les bureaux partagés Silversquare. “C’est beaucoup plus simple de sensibiliser les entreprises au commerce équitable, soutient le responsable de la torréfaction. Les entreprises ou administrations sont attentives à ce qu’elles proposent à leurs employés et ne discutent pas s’il devait y avoir une éventuelle hausse des prix.”
L’e-commerce est un dernier canal de distribution “qui ne représente pas encore grand-chose mais grandit tous les mois un peu plus”, sourit Michel Liégeois qui rappelle que le café est un produit de consommation journalier soumis à des offres commerciales très agressives. “Aujourd’hui, on tourne autour de 2% du chiffre d’affaires mais je nous vois entrer dans une croissance exponentielle.”
Un partenariat avec Galler
Pour marquer le début de la semaine du commerce équitable, Charles Liégeois s’est associé à la chocolaterie Galler pour un roadshow à travers la Belgique. Jusqu’au 26 octobre, les deux marques collaborent afin de mettre en avant leur engagement pour un monde plus équitable et durable. “L’association café et chocolat n’est plus à prouver”, explique Michel Liégeois. Les deux entreprises s’arrêteront sur 48 parkings de magasins Delhaize et proposeront des dégustations gratuites de leurs produits.
L’occasion de rencontrer directement les consommateurs et les sensibiliser aux valeurs du commerce équitable. Si la plupart des dégustations ont lieu en Flandre, ce n’est pas tout à fait un hasard. “On manque de notoriété une fois passé la frontière linguistique”, concède le CEO.
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