Surveillance des banques: “Il faut alourdir les sanctions”

Georges UGEUX: ”Les déclarations de Christine Lagarde ont calmé le jeu.” © ID/ BAS BOGAERTS
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Malgré les crises à répétition, certaines banques n’ont toujours pas comme priorité le bien de l’entreprise, fait remarquer Georges Ugeux qui a été un des vice-présidents de la Bourse de New York. Des sanctions sont nécessaires, estime-t-il.

Belge ayant également acquis la nationalité américaine, Georges Ugeux a commencé sa carrière à la Générale de Banque, à Bruxelles, dans les années 1970… Il dirige aujourd’hui la banque d’affaires new-yorkaise Galileo Global Advisors et enseigne la réglementation bancaire et financière internationale à la Columbia University. A ce titre, il paraît l’interlocuteur idéal pour décrypter les turbulences des derniers jours.

TRENDS-TENDANCES. Comment expliquez-vous cette crise et sa contagion en Europe?

GEORGES UGEUX. Nous sortons de trois années de politique monétaire qui ont créé un mouvement erratique: les taux d’intérêt ont baissé au moment de la pandémie, augmentant donc la valeur des obligations. Mais lorsque l’inflation est apparue, les taux ont progressé et les obligations ont perdu de la valeur. On ne peut pas comprendre ce qui se passe pour le moment sans comprendre ce phénomène de yo-yo sur la valeur des emprunts d’Etat.

Or, quand les banques achètent des obligations, elles doivent choisir où les mettre comptablement: soit elles décident de les garder jusqu’à échéance “hold to maturity” (HTM), soit elles décident qu’elles peuvent faire du trading sur ces titres et les placent dans un portefeuille “available for sale” (AFS). Lorsqu’une banque met ses obligations en HTM, elle n’est pas obligée de les comptabiliser au prix du marché. Les obligations achetées ces dernières années ont vu leur valeur baisser mais cela n’a pas un impact comptable. En revanche, dans un portefeuille AFS, les obligations sont comptabilisées au prix du marché.

Cela a joué un rôle sur la chute de SVB?

Oui. Silicon Valley Bank a vu ses dépôts augmenter pendant la pandémie: les gens avaient des liquidités et n’investissaient pas. Mais la banque, à la recherche de rendement, a cru intelligent d’acquérir des obligations d’Etat avec une maturité entre 10 et 30 ans. Elle a commis une des fautes de management bancaire les plus basiques en finançant avec ces dépôts, qui sont du financement à court terme, l’achat d’obligations à long terme. Et qui plus est, SVB a placé ces obligations dans son portefeuille HTM. A un moment donné, les dépôts ont commencé à être utilisés pour payer des achats, investir, acheter des obligations qui commençaient à offrir des taux intéressants, etc.

“C’est un problème de liquidités, pas de solvabilité.”

SVB a vu sa masse de dépôts diminuer. Pour payer ces retraits, elle a été obligée de vendre ses obligations. Celles-ci étaient comptabilisées dans son portefeuille HTM, SVB a donc dû vendre en accusant une perte. Les résultats de la banque sont devenus mauvais dès l’an dernier. Les déposants se sont méfiés. La méfiance a accéléré les retraits, la banque a été obligée de vendre davantage d’obligations, accusant donc de nouvelles pertes, renforçant la méfiance. Pour arrêter le mouvement, il aurait fallu que SVB augmente son capital. Mais elle n’y est pas parvenue.

Il y a un risque de contagion à l’ensemble du système bancaire?

Je ne pense pas. Les deux autres banques qui sont tombées (Silvergate et Signature) étaient liées aux cryptomonnaies. Certes, il y a les problèmes rencontrés par First Republic (la 14e banque américaine, qui a fait face à des retraits de déposants, Ndlr). Mais c’est un problème de liquidités, pas de solvabilité. Et l’on trouvera une solution pour que la banque poursuive son activité. Il y a une action de la Réserve fédérale et des banques pour éviter la contagion.

Il y a un débat pour savoir si les autorités américaines ont bien fait de garantir tous les dépôts de SVB, même au-delà du plafond de 250.000 dollars fixé par la réglementation, et donc de mobiliser l’argent de l’Etat. Etait-ce une bonne décision?

Cette annonce était un back stop (un filet de sécurité, Ndlr). La Réserve fédérale n’a pas injecté de capitaux. Elle a dit simplement que s’il fallait à un moment donné injecter du capital pour éviter que les gens perdent sur leur dépôt de plus de 250.000 dollars, elle était là.

Pourquoi cette odeur de brûlé a franchi l’Atlantique?

Parce qu’on était lundi (13 mars, Ndlr) et qu’il y avait le décalage horaire! Les banques européennes se sont trouvées seules à un moment où il n’était pas certain que les mesures prises par la Réserve fédérale joueraient leur rôle. Il a donc fallu attendre mardi matin pour que tout se remette en ordre. Mais comme le secteur bancaire européen a aussi un certain nombre de difficultés, il était assez facile de croire que les banques européennes allaient souffrir davantage encore que les américaines. Cependant, les déclarations de Christine Lagarde à l’issue du Conseil des gouverneurs de la BCE jeudi ont calmé le jeu.

Les turbulences autour de Credit Suisse ont néanmoins créé de gros remous.

Credit Suisse avait un problème de mauvais management depuis des années. Le patron espagnol de Credit Suisse a été démis parce qu’on avait découvert qu’en pleine pandémie, alors que la Suisse était confinée, il avait pris un avion privé pour aller à Wimbledon aux frais de la banque! Certains ont également estimé, après qu’un des actionnaires a vendu sa participation et qu’un autre a déclaré qu’il ne remettrait pas d’argent au capital, que la banque ne pouvait plus renforcer ses fonds propres. Ce qui est faux. On peut renforcer le ratio de fonds propres d’une banque en réduisant ses engagements, en vendant des activités. Une restructuration de Credit Suisse est d’ailleurs en cours.

“Une fois le calme revenu, il va falloir régler les problèmes structurels.”

Cependant, effectivement, dans les banques systémiques européennes, Credit Suisse est apparu comme la plus menacée. Le marché a fait le reste, d’autant plus que les cours de Bourse sont encore trop élevés.

Nous ne sommes donc pas dans un scénario à la 2008?

Non. Fondamentalement, l’évolution des taux qui s’est produit sur les trois dernières années a été d’une ampleur qu’on n’avait jamais connue et cela a donc créé des secousses. Et dans les grandes banques comme JP Morgan, 40% des dépôts viennent des particuliers: c’est un modèle différent et plus résistant que celui de certaines banques de taille moyenne.

Que doivent faire les autorités pour calmer la tempête?

On ne peut espérer pouvoir rétablir l’équilibre du bateau en pleine tempête. La seule chose que l’on peut faire c’est mettre des bouées. Une fois le calme revenu, il va falloir régler les problèmes structurels. La seule banque qui n’avait pris aucune perte de trading sur ses obligations l’an dernier était SVB. Une anomalie apparaissait donc dès 2022. Mais les autorités de contrôle de Californie et la Réserve fédérale n’ont pas bougé parce que lors de la présidence de Donald Trump, on a enlevé certains pare-feux réglementaires auprès des banques de taille moyenne. Il va falloir les replacer.

“De crise en crise, il y a toujours des opérateurs qui n’ont pas comme priorité le bien de l’entreprise.”

Ensuite, il va falloir prendre des sanctions. Le patron de SVB a vendu pour 3,6 millions de dollars d’actions de la banque juste avant sa chute. Y a-t-il eu délit d’initié? Et pourquoi la banque a acheté ces obligations à long terme pour financer des engagements à court terme? Et pourquoi SVB n’a pas eu de directeur des risques pendant plusieurs mois? Je constate que, de crise en crise, il y a toujours des opérateurs qui n’ont pas comme priorité le bien de l’entreprise. Il faut alourdir les sanctions.

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