Pierre Crevits (CEO de Dexia): “Dexia ne représente plus un risque systémique”
Dexia a perdu sa licence bancaire au début de cette année. Cela ne l’empêche pas de continuer à dégonfler son bilan, et de réduire, peu à peu, les risques pour l’Etat belge, son principal actionnaire.
Quand arrive le mois d’octobre, les initiés ont une petite pensée pour Dexia, ce monstre bancaire qui a failli, par deux fois, précipiter les finances de la France et de la Belgique en enfer. En octobre 2008, le groupe est sauvé une première fois. Puis en octobre 2011, la Belgique et la France se résolvent à le démanteler après l’avoir recapitalisé à nouveau. La Belgique reprend Dexia Banque, qui deviendra Belfius, et détient 52,8% du groupe bancaire moribond, dont certains actifs courent jusqu’en 2078.
“En 2012, après sa seconde chute, Dexia présente encore un bilan de 413 milliards d’euros, son staff compte encore 22.460 personnes, la BCE lui fournit encore un financement annuel de 31 milliards d’euros et le groupe compte 500 entités dans le monde. Dexia constituait un risque systémique, à la fois pour le système financier européen mais aussi pour les deux Etats actionnaires, et singulièrement pour le plus petit des deux” rappelle Pierre Crevits, l’actuel CEO de Dexia.
Mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts en 12 ans. “Au 31 décembre dernier, le bilan n’était plus que d’une soixantaine de milliards. On était encore à 120 milliards fin 2019 et plus de 400 milliards en 2012. Depuis 2018, nous n’avons plus besoin de faire appel au financement de la BCE. En 12 ans, le staff est passé de de 22.400 à 400”, explique Pierre Crevits. Le cœur de l’activité se trouve à Paris où Dexia emploie encore 340 personnes. Une cinquantaine se trouve à Bruxelles. Et quelques personnes sont encore à Rome, New York ou Dublin, pour gérer le solde du portefeuille d’actifs.
“Tout cela est le fruit de la stratégie menée dès 2012, et qui a consisté à réduire le réseau international et le portefeuille d’actifs”, ajoute-t-il. Le portefeuille d’actifs – les obligations et les prêts – pèse aujourd’hui moins de 30 milliards, alors qu’il s’élevait à 234 milliards en 2012. D’ici 2027, il devrait encore se dégonfler d’une dizaine de milliards.
“Il est clairement envisageable que les États belge et français récupèrent quelque chose.”
Pierre Crevits
CEO de Dexia
Un groupe non bancaire
Deux autres changements moins visibles sont également intervenus. Depuis le premier janvier de cette année, Dexia n’est plus une banque. Quand le groupe tombe pour la deuxième fois, fin 2011, on choisit de le laisser s’éteindre doucement. Il doit rester une banque “pour avoir accès au financement standard de la banque centrale européenne, et pour avoir aussi accès, en cas de crise majeure, au mécanisme de liquidités d’urgence, explique Pierre Crevits. Cette possibilité donnait une sécurité à la fois aux agences de notation et à nos investisseurs. Le fait d’avoir une licence bancaire assurait aussi un cran de sûreté supplémentaire puisque les banques sont suivies par des superviseurs”.
Mais, poursuit Pierre Crevits, depuis 2018, Dexia n’a plus recours au financement de la BCE. Le groupe se finance en grande partie grâce aux titres garantis par les États belge et français, une garantie qui court jusqu’en 2032. “Ceux qui investissent chez nous, investissent essentiellement pour cette raison”, souligne Pierre Crevits.
L’abandon de la licence bancaire, prévue dès 2012, se justifiait aussi pour des raisons de coûts. “Nous devions effectuer une série de tâches parce que nous étions une banque, ce qui coûtait énormément en termes d’organisation et qui n’était plus nécessaire, puisque voici 12 ans, que nous n’émettons plus de nouveaux produits.”
La situation de Dexia, groupe en extinction, ne cadrait plus avec les obligations de solvabilité en vigueur pour des banques actives. “Nous avons encore un ratio de solvabilité très confortable, mais notre bilan se réduit et nous pourrions utiliser une partie de notre capital pour accélérer cette réduction, et nous heurter, un jour ou l’autre, au seuil de solvabilité imposé aux banques. Des seuils ne nous conviennent plus puisque notre objectif est de réduire notre bilan à zéro.”
Des fonctions externalisées
Dexia a donc préparé sa “débancarisation” pendant trois ans, “avec les superviseurs, avec nos investisseurs, avec nos prestataires, mais aussi avec les agences de notation”, souligne le patron du groupe. Et elle s’est bien passée, puisqu’au début de cette année, Dexia, devenue “non-banque”, a pu lever quatre milliards d’euros à de très bonnes conditions.
Pour rassurer actionnaires et investisseurs, Dexia a d’ailleurs modifié sa gouvernance. Un “comité de surveillance”, comprenant quatre membres, deux venant de la Banque nationale de Belgique et deux provenant du CPR, l’organe de supervision de la banque de France, a été instauré. Son fonctionnement est calqué sur celui de la supervision bancaire.
Le deuxième axe de travail qui est nouveau, “concerne la transformation opérationnelle des sièges, donc essentiellement de Paris et Bruxelles. La philosophie est d’externaliser l’essentiel de nos activités ‘industrielles’, tout ce qui relève du reporting financier et comptable, du back-office, …. et de conserver en interne les fonctions de pilotage, explique le patron du groupe. Car notre bilan se réduisant, nous réduisons les actifs à gérer”, précise-t-il. Il allait donc devenir difficile de conserver des équipes de gestion en interne. “Nous avons voulu sécuriser ces fonctions auprès d’acteurs installés et qui ont une espérance de vie supérieure à celle de de Dexia”, explique Pierre Crevits.
Lire aussi: Banques: attentions, fragiles
Des coûts qui se réduisent
Arkea s’occupe déjà du back-office des activités de crédit depuis novembre 2023. Tout ce qui est paiement a déjà migré vers Citi. La plateforme Aladdin de BlackRock a été choisie pour gérer l’administration des activités de marché, et EY pour le reporting risque et comptable.
“Ces deux migrations s’effectueront en juillet 2026, ajoute Pierre Crevits. Nous aurons désormais une base de coûts variable en fonction des actifs qui restent à gérer, alors qu’auparavant, nous avions des coûts fixes. Les coûts récurrents étaient encore de 350 millions en 2019. Ils avaient été réduits à 250 millions en 2023. Et cette année, nous devrions gagner encore une cinquantaine de millions avec l’abandon de la licence bancaire et de la norme IFRS (les comptes de Dexia s’expriment désormais en normes comptables belges et françaises, ndlr). Et les réductions devraient encore être importantes à l’avenir. Nous avons lancé tous ces travaux en janvier 2024 et pour l’instant, cela se passe très bien très bien.”
Aujourd’hui, Dexia dispose d’environ cinq milliards d’euros de fonds propres. Est-ce que la France et la Belgique, à l’issue de l’aventure, pourraient récupérer quelque chose ? “Je rêve d’être encore en vie pour le voir, répond Pierre Crevits. Cela dépendra des conditions de marché sur le long terme. Mais il est clairement envisageable que les États récupèrent quelque chose.” Ce qui est certain, note le patron du groupe, “est que le bilan ne représente plus du tout un risque systémique, ni pour le système financier, ni pour les actionnaires”.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici