Banques : attention, fragiles

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Le monde bancaire fait entendre des craquements inquiétants. Après une première lézarde aux Etats-Unis, une autre apparaît en Europe, chez Crédit Suisse.

Il y a un proverbe à Wall Street qui dit à peu près: « paniquer n’est pas grave, à condition d’être le premier ».  Car vous pouvez alors vous débarrasser sans pertes des actions qui vous brûlent les doigts. L’effondrement en bourse du secteur bancaire européen suite à la chute de trois banques américaines puis des inquiétudes sur Crédit suisse ce mercredi peut surprendre. Mais tout bien considéré, il est compréhensible, si vous avez en tête ce proverbe boursier. Explications.

La faute en Suisse

Le prétexte de ce vent de panique a été l’annonce faite par la Saudi National Bank, le principal actionnaire de Crédit Suisse, qu’elle n’allait plus renflouer une nouvelle fois la banque suisse. Que Crédit Suisse, qui accuse une perte de 7,3 milliards de francs à l’issue de l’an dernier, soit en difficulté, ce n’est vraiment pas neuf. Que la banque saoudienne qui est déjà son principal actionnaire ne puisse pas, pour des raisons réglementaires, augmenter encore son risque sur Crédit Suisse, ce n’est pas vraiment surprenant. Mais que la Saudi National Bank le rappelle maintenant, au lendemain de la faillite de trois banques américaines, c’était mettre le feu aux poudres. L’action Crédit suisse a donc dégringolé de 25% au cours de la seule séance de ce mercredi. La banque vaut aujourd’hui moins de 7 milliards de francs, alors que son grand rival UBS est encore valorisé à une bonne cinquantaine de milliards.

Il y a un proverbe à Wall Street qui dit à peu près: « paniquer n’est pas grave, à condition d’être le premier ». 

Le spectre de Lehman

Mais pourquoi les problèmes de Crédit Suisse ont-ils provoqué une telle tempête, causant la chute de 10% de l’action BNP (à ce propos, on tirera un coup de chapeau à la SFPI et à l’Etat belge qui a cédé un tiers de sa participation juste avant que le vent se lève), –10% aussi pour ING, – 12% pour Société générale, – 9% pour Deutsche Bank, -6% pour KBC,  … ? Parce que Crédit Suisse, contrairement à la banque américaine SVB, est un établissement systémique. C’est un domino qui, s’il chute, pourrait en entraîner d’autres. La taille de bilan du géant suisse est d’un peu moins 600 milliards de francs donc d’euros (1 euro = 0,98 franc suisse), soit l’équivalent de ce qu’était Lehman Brothers en 2008. Et Crédit Suisse gère pour compte de clients 1.600 milliards de francs d’actifs, ce qui en fait un des tout grands gestionnaires au monde.

Certes, avec un ratio de fonds propres durs de plus de 14%, Crédit Suisse n’a pas la fragilité de Lehman Brothers (qui avait en 2008 un effet de levier de 32, autrement dit, 1 euro de fonds propres pour 32 euros d’engagement). Mais il est difficile de dire aujourd’hui quels produits, quels fonds, quelles contreparties pourraient être touchés si Crédit Suisse devait vaciller pour de bon. Les autorités, un peu partout dans le monde, essaient d’ailleurs d’avoir une idée plus précise de l’exposition de leurs banques au risque suisse. Mais dans le doute, les investisseurs ont préféré vendre leurs actions bancaires.

La faute des banques centrales ?

Et puis, une autre raison explique pourquoi le secteur bancaire est ébranlé : les malheurs de Crédit Suisse, mais aussi SVB, ont mis le doigt sur une problématique que les banques centrales voulaient ignorer en décidant de remonter rapidement leur taux à partir de cet été pour vaincre l’inflation.

Ce problème, c’est que les banques (et d’autres institutions, comme les assureurs) ont acheté ces dernières années des monceaux d’obligations assorties de taux très bas. Et maintenant que les taux remontent, ces portefeuilles affichent de grosses pertes potentielles (quand les taux remontent, les cours des obligations baissent). 

Comme toujours, les seuls acteurs qui sont désormais susceptibles de calmer la tempête sont les Etats et les banques centrales.

Cela n’aurait pas été un problème si les taux avaient été relevés lentement. Mais en passant à la vitesse accélérée (la Fed a remonté en quelques mois son taux directeur de 4,5 points), ces pertes potentielles sont apparues soudain au grand jour. Certes, ce ne sont encore que des pertes comptables, virtuelles, tant que les banques ne sont pas obligées de vendre leurs obligations. Mais on a vu, avec SVB, que si un établissement à court de liquidités est obligé de vendre ses titres, cette perte réalisée peut être très importante. Pour rembourser les déposants qui s’en allaient, SVB a en effet vendu un portefeuille obligataire d’une vingtaine de milliards de dollars et a pris une perte de 1,8 milliard qui a finalement mangé ses fonds propres.  C’est la crainte de ce scénario qui fait que mercredi, un vent de panique a soufflé sur la planète finance. Et comme toujours, les seuls acteurs qui sont désormais susceptibles de calmer la tempête sont les Etats et les banques centrales.

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