Les turbulences bancaires, nouveau défi pour la politique de taux de la BCE

Christine Lagarde

La Banque centrale européenne (BCE) devrait selon toute attente relever ses taux jeudi d’un demi-point de pourcentage pour la troisième fois d’affilée, mais les observateurs spéculent sur la suite de son resserrement monétaire face à la persistance de l’inflation et aux remous dans le secteur bancaire.

La faillite aux Etats-Unis de la Silicon Valley Bank (SVB) et ses répercussions sur les autres établissements bancaires crée un défi supplémentaire pour la BCE dans le pilotage de ses taux. L’institution pourrait “moins les augmenter” après le relèvement de 50 points de base attendu jeudi, estime Robert Halver, analyste chez Baader Bank. Il s’agirait pour les gardiens de l’euro de “soulager la pression”, alors que “le surendettement est bien trop important dans l’économie et que des taux élevés pourraient rendre les emprunteurs vulnérables”, fragilisant alors davantage les banques, explique l’expert.

Le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, a cherché lundi à calmer la nervosité devant la faillite de SVB en affirmant qu’il ne voyait “pas de risque de contagion” en France, dont le “système bancaire est solide”. L’organe de surveillance du marché bancaire allemand, la Bafin, a quant à lui déclaré que la faillite de SVB ne constituaient “pas une menace pour la stabilité financière” en Allemagne.

Bien avant de voir surgir ces turbulences financières venues des Etats-Unis, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, avait annoncé le mois dernier qu’une hausse de 0,50 point de pourcentage était quasi certaine pour l’institution européenne en mars. Mme Lagarde a depuis répété cette intention, alors que l’inflation en zone euro continue d’évoluer à des niveaux bien au-dessus de la cible de 2% visée à moyen terme.

Discours “offensif”

Si le Conseil des gouverneurs de la BCE réuni jeudi entérine cette hausse, le taux rémunérant les liquidités bancaires non distribuées en crédit sera porté à 3,0%, au plus haut depuis octobre 2008.

Face à l’envolée des prix dans le sillage de l’offensive russe en Ukraine, la BCE avait entamé en juillet l’an dernier un cycle inédit de hausses des taux, mettant fin à près d’une décennie d’argent pas cher. Or, l’unanimité affichée jusqu’à présent par les gardiens de l’euro sur ce durcissement monétaire devrait céder la place à un “débat très animé” jeudi sur “ce qui va se passer après”, selon Carsten Brzeski, économiste d’ING.

L’heure est-elle venue de passer à une approche prudente sur le coût du crédit, dont le niveau pèse déjà sur l’économie, comme suggéré par des “colombes” siégeant au Conseil? En face, les “faucons“, majoritaires autour de la table, plaideront pour de nouvelles hausses significatives du loyer de l’argent, car il faut briser la dynamique de l’inflation. Mme Lagarde a promis mercredi dernier de faire “tout ce qu’il faut” pour rétablir la stabilité des prix.

Aux Etats-Unis, où le cycle de relèvement des taux a débuté il y un an, la publication mardi d’un rapport sur les prix à la consommation, parallèlement aux retombées de la faillite de SVB, “sera probablement un facteur de basculement de 25 ou 50 points de base“, selon les analystes de Deutsche Bank. La banque centrale américaine (Fed) prendra sa décision sur ses taux la semaine prochaine.

Inflation sous-jacente record

A la BCE, les gardiens de l’euro “devraient garder un discours offensif”, mais “ne seront probablement pas en mesure de s’accorder sur des orientations chiffrées” concernant la courbe future des taux, selon Jack Allen-Reynolds, analyste de Capital Economics. Les pronostics des observateurs varient sur le niveau du taux de dépôt qui sera atteint d’ici à l’été. Ils le voient atteindre entre 3,5% et 4,0%, pour y camper ensuite un certain temps.

L’inflation en zone euro a reculé en février pour le quatrième mois d’affilée, à 8,5% en glissement annuel, après 8,6% en janvier, selon Eurostat. Mais une fois corrigée des prix instables de l’énergie et de l’alimentation, l’inflation “sous-jacente”, plus représentative des tendances de long terme, a grimpé au niveau record de 5,6% en février, n’arrangeant pas les affaires de la BCE. 

L’institution s’inquiète aussi de voir les salaires augmenter en réponse aux revendications des travailleurs, au risque d’alimenter durablement les hausses de prix.

Les nouvelles prévisions d’inflation et de croissance publiées jeudi par la BCE l’aideront à réévaluer la situation et définir le cap monétaire. La BCE aura moins de scrupule à serrer encore la vis monétaire s’il se confirme par ailleurs que la zone euro évitera la récession en 2023.

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