Les conséquences du gel de la nomination de Pierre Wunsch à la BNB: “Il y a des risques qu’on ne prend pas!”

Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque nationale de Belgique © BELGA
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

A la fin de l’année, le gouvernement n’avait pas réussi à reconduire dans les temps le mandat de Pierre Wunsch à la Banque nationale. La lacune a été comblée ce mercredi, mais cette  non-décision a été pendant dix jours un risque majeur pour le pays et en dit long sur sa culture politique.

“Qu’ils fassent cela pour tous les postes qui les intéressent, mais pas pour le gouverneur de la Banque nationale ! Il y a des risques qu’on ne prend pas si l’on a un tant soit peu de considération pour l’intérêt général.” Eric Dor, le directeur de la recherche économique auprès de IESEG, l’école de management basée à Lille et Paris, est abasourdi, comme beaucoup, par l’incapacité du gouvernement à reconduire dans les temps le mandat du gouverneur de la Banque nationale de Belgique (BNB), Pierre Wunsch.

Solution sous-optimale

Une incapacité temporaire – finalement, Pierre Wunsch a été officiellement reconduit à la suite du kern (conseil des ministres restreint) qui s’est tenu ce mercredi – mais qui a obligé le Conseil de Régence de la Banque à se réunir d’urgence le 2 janvier et à prendre une mesure boiteuse, au nom de la continuité du service public, en priant le gouverneur de “poursuivre sa mission de gouverneur à titre temporaire, jusqu’à ce que le gouvernement ait pris une décision formelle quant à ce mandat”. Non sans tancer, entre les lignes, le gouvernement. Les régents soulignaient en effet que “la situation actuelle est tout à fait exceptionnelle et que cette solution temporaire est sous-optimale, eu égard au principe d’indépendance des banques centrales inscrit dans le droit européen”.

La mobilisation du Conseil de Régence n’allait pas de soi, car il n’est pas compétent pour nommer le gouverneur de la BNB. C’est une tache qui revient au gouvernement. “Dans la loi organique de la BNB, rien n’est prévu pour la situation que l’on connaît actuellement, nous expliquait voici quelques jours le porte-­parole de la BNB, Geert Sciot. Mais le gouvernement a demandé au Conseil de régence, compétent pour assurer le bon fonctionnement de l’institution, de voir si Pierre Wunsch pouvait continuer à exercer temporairement son mandat dans une philosophie de continuité du service public.” C’est ce que le Conseil a donc fait.

Mais parallèlement, les régents appelaient “le gouvernement fédéral à remplir ses obligations juridiques européennes et internationales dans les plus brefs délais, en prenant une décision quant au mandat de gouverneur”. Car cette nomination suspendue était aussi un problème international : le gouverneur de la BNB siège à titre personnel au sein du collège des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE), comme gouverneur auprès du Fonds monétaire international (FMI) et comme président du comité d’audit de la Banque des règlement internationaux.

Qu’ils fassent cela pour tous les postes qui les intéressent, mais pas pour le gouverneur de la Banque nationale !” – Eric Dor (IESEG Lille)

Conflit libéral-socialiste

La situation a donc été débloquée après que le kern soit parvenu à lever les obstacles qui étaient la cause de cette nomination suspendue. Le principal désaccord opposait libéraux et socialistes flamands concernerait l’accord médico-­mutualiste. Le ministre des Affaires sociales Frank Vandenbroucke (Vooruit) voulait acter qu’aucun dépassement d’honoraires médicaux ne peut avoir lieu pour les patients BIM (bénéficiaires d’intervention majorée). Mais pour les libéraux, c’était une mauvaise interprétation de l’accord. Finalement, mercredi, Frank Vandenbroucke a eu gain de cause.

Mais la suspension de la nomination de Pierre Wunsch pendant dix jours laissera des traces, car cette dispute politique a mis pendant dix jours le pays en danger.

Si jamais une crise financière devait obliger à prendre des mesures exceptionnelles, avoir à la tête de la BNB un gouverneur « faisant fonction » était en effet très risqué. “Si une ou plusieurs banques belges étaient en difficulté et devaient être sauvées par les autorités publiques, comme l’ont été Fortis et Dexia en 2008, la BNB jouerait un rôle déterminant, explique Éric Dor. C’est la Banque nationale qui, par exemple, peut décider d’octroyer, à ses propres risques, des prêts de liquidités d’urgence (ELA) aux banques en détresse, moyennant accord de la BCE, comme cela avait été le cas à l’époque. Il est légitime de se demander comment la BNB pourrait agir ainsi, et assumer de telles responsabilités, sans gouverneur, ou avec un gouverneur intérimaire ou installé temporairement d’une manière juridiquement incertaine”. Si jamais la BNB, gendarme bancaire, devait ordonner la “résolution ordonnée” d’une banque, il n’est pas dit que les actionnaires lésés ne se retournent pas contre elle. Fortis, Banco Espirito Santo, Crédit Suisse. “Les tribunaux sont remplis de contentieux qui sont liés au démantèlement des banques”, observe Éric Dor.

Laisser-aller

La solution trouvée était également “sous-optimale” pour la BCE. Car son Collège des gouverneurs qui décide de la politique monétaire est composé des gouverneurs des banques centrales de la zone euro qui siègent à titre personnel. Si un gouverneur est empêché pour une longue période, il peut nommer un remplaçant. Mais le gel d’une nomination ne peut pas se comparer à un empêchement. La BCE et sa présidente Christine Lagarde avait donc enjoint le gouvernement à remédier au plus vite à cette situation.

Et puis, plus largement, comme le souligne Herman Daems, professeur émérite à la KU Leuven mais aussi président du conseil de BNPP Fortis, dans une carte blanche dans le Tijd , “les conséquences d’un tel laisser-aller sont énormes. Comment les gouvernements veulent-ils que les politiques soient mises en œuvre sérieusement s‘ils ne prennent pas la peine de décider avec soin qui aura la charge de ces politiques pour les prochaines années ?”

Herman Daems observe que “les gouvernements parlent de l’importance du dévouement et de l’engagement des personnes”. Mais lorsqu’ils doivent nommer un dirigeant, les intérêts partisans priment sur l’intérêt national. Et cette mauvaise politique de nomination entraîne plusieurs conséquences, ajoute-t-il. “La motivation des responsables à être nommés diminue, leur crédibilité est érodée parce qu’ils sont considérés comme des personnes nommées pour des raisons politiques, le poste est relégué à un poste lucratif parce que l’importance du poste est minée, et la nomination devient un trophée de négociation où le ‘gagnant’ doit être reconnaissant que le poste lui ait été ‘donné’ par ceux qui détiennent le pouvoir politique.”

Finalement, ce qui serait sous-­optimal, ce n’est pas le gel de la nomination de Pierre Wunsch, mais bien tout le processus de nomination partisan des commis de l’Etat.

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