Les banques ont-elles kidnappé les cryptos?

Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Quoi qu’elles en disent, les banques se montrent nettement moins indifférentes au monde de la crypto qu’il n’y paraît, comme l’explique notre collaborateur François Remy dans un ouvrage qui vient de paraître.

” Les banques ont essayé de tuer le bitcoin, cette ingénieuse technologie qui a posé les bases d’un monde de la finance alternatif. Sans autorité centrale, sans intermédiaire… Autrement dit, sans les banques. Mais ces dernières ont échoué. Forcées d’évoluer, de peur de voir leur pouvoir affaibli, elles détournent désormais la cryptomonnaie originelle et tentent de s’approprier la révolution fintech qu’elle symbolise. Et cela, tout en profitant de l’oreille attentive des gendarmes financiers pour leur inspirer des règles favorables au secteur bancaire. Le bitcoin n’est désormais plus la cible à abattre.”

Angle original

Voilà, en quelques lignes, le résumé du livre sur les cryptos de François Remy, journaliste spécialisé en numérique et en cryptomonnaies qui collabore en Belgique avec Trends-Tendances mais aussi avec le site web Numerama en France ou le journal économique Les Affaires au Québec.

Intitulé Comment les banques kidnappent le bitcoin, l’ouvrage permet au lecteur de comprendre facilement l’univers des cryptomonnaies sans être un spécialiste de la technologie et de la finance. Et ce grâce à un angle d’attaque original, à savoir l’impact des cryptos sur le secteur financier et la réaction des banques face à leur développement.

On assiste à un mouvement de ‘bitcoinisation’ de la banque, avec des concepts émergents de ‘tokenisation’ des produits et de ‘cryptoïsation’ des services.

La thèse défendue par le livre est en effet la suivante: faute d’avoir pu tuer les cryptos, les banques traditionnelles essayent aujourd’hui de s’en approprier les vertus… sans les scories. “Il suffit, comme je l’ai fait dans mon livre, de rassembler les faits d’actualité et de les mettre bout-à-bout, assure François Remy. On voit alors comment le courant crypto s’est immiscé dans l’esprit des banquiers et s’est discrètement répandu dans les canaux de l’industrie bancaire. Certainement pas de façon aussi assumée que d’autres nouvelles technologies telles que les applis, chatbots ou autres objets connectés. Mais on assiste bien à un mouvement de ‘bitcoinisation’ de la banque, avec des concepts émergents de ‘tokenisation’ des produits et de ‘cryptoïsation’ des services”.

Selon certains chiffres avancés dans le livre, pas moins de 60 des 100 plus grandes banques de la planète auraient investi dans la crypto et/ou la blockchain. L’Europe n’est pas en reste, avec plus de 200 millions d’euros investis par le géant français BNP Paribas (la maison mère de BNP Paribas Fortis), plus de 100 millions par le groupe néerlandais ING (qui chapeaute ING Belgium) ou l’espagnol BBVA.

Amour-haine

Et chez nous aussi, le mouvement est en marche. Comme le mentionne l’auteur dans son livre, la banque KBC a lancé sa propre monnaie “virtuelle”: la “kate coin”, un token natif d’une blockchain privée développée au sein de l’enseigne bancaire, qui emprunte le doux nom de son assistant personnel numérique. Avec comme particularité technique, l’impossibilité de transférer ses kate coins d’un wallet KBC à un autre, ainsi que d’échanger ces cryptos bancaires ailleurs que dans l’environnement hermétique du bancassureur.

Cela étant, il n’est pas rare d’encore tomber sur des déclarations de banquiers demeurant très réticents à l’égard des cryptos. Et non des moindres. Exemple? Jamie Dimon. Dans un entretien accordé fin de l’année dernière au journal français Les Echos, le patron de la grande banque américaine JP Morgan comparait la faillite de FTX à “un gigantesque schéma de Ponzi décentralisé“. Cinglant, il ajoutait sans ambages que “les cryptomonnaies n’ont jamais été des monnaies, mais des jetons”.

A son sens, il s’agit simplement d’ “un casino et, dans certains cas, une fraude” et que “chaque année, d’innombrables rançons sont payées avec des cryptos”, sans oublier “l’argent qui va aux régimes corrompus, l’argent du trafic de drogue, de l’industrie du sexe ou du terrorisme”.

Sous nos latitudes aussi, d’aucuns continuent de marquer leur scepticisme face à la finance décentralisée (ou Defi, pour Decentralized Finance). Dernièrement encore, dans un débat sur les cryptomonnaies organisé par La Libre, c’est Geert Noels qui ne mâchait pas ses mots. Pour l’économiste et fondateur de la société de gestion Econopolis, le bitcoin et autres ethereums ne sont rien d’autre que des “tulipes numériques”, allusion à l’hystérie spéculative dont les tulipes firent l’objet au 17e siècle au Pays-Bas. Selon lui, ce système parallèle, basé sur la décentralisation, “n’est pas nouveau” et repose sur une technologie “très inefficiente entraînant une grande consommation d’énergie”.

Amour-haine

En réalité, “le débat est depuis le début très idéologique, observe François Remy. La nouveauté du phénomène a fait que les banques ont eu du mal à cerner les enjeux et les risques associés aux cryptomonnaies. Pour en retarder l’intérêt, le discours a consisté à les disqualifier en affirmant qu’il ne s’agissait pas de véritables monnaies mais de créations hybrides, voire subversives. Il y a toujours eu une sorte de relation amour-haine entre les deux mondes.”

Peut-être, mais les cryptos ne se décrédibilisent-elles pas toutes seules? Bitcoin et compagnie, ainsi que les autres actifs, comme les NFT (non fungible token) qui utilisent la blockchain, ont beaucoup souffert ces derniers temps. Chute des cours, faillite de la plateforme FTX, arnaques, rançongiciels: la planète crypto n’a plus que ses yeux pour pleurer. La confiance des investisseurs est ébranlée.

La tactique du gendarme

Pour autant, “faut-il vraiment réguler le monde crypto?”, s’interrogeait dernièrement Typhanie Afschrift, professeure à l’ULB, dans une chronique pour Trends-Tendances, rappelant que parmi ceux qui apprécient les monnaies cryptos, beaucoup sont surtout séduits par leur indépendance à l’égard des Etats.

Les clients pleurent auprès des banques pour avoir des cryptos.

La nouvelle réglementation européenne MiCA (pour markets in crypto-assets) qui encadre les crypto-actifs en Europe depuis la fin 2022 serait-elle dès lors un moyen pour les banques commerciales de reprendre le contrôle sur une classe d’actifs à investir sans plus tarder? “Si les régulateurs interviennent en appliquant la grille de lecture des banques, c’est à cause de l’intérêt porté par le grand public aux crypto-actifs, juge François Remy. Les clients pleurent auprès des banques pour avoir des cryptos. D’où l’arrivée de la nouvelle réglementation MiCA, un cadre hyper-complet qui valide l’hypothèse que les crypto-actifs sont un marché à part entière.”

“Cela va maintenant inciter les banques à bouger davantage sur un marché qu’elles ne veulent désormais plus voir leur échapper, poursuit-il. Certaines sont même très bien positionnées pour y jouer un rôle important, notamment en matière d’éducation sur la technologie blockchain.” Età la fin, ce sont toujours les banques qui gagnent.

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