Les banques face au choc des droits de douane: quel impact pour le crédit aux entreprises?


Pour l’heure, aucun resserrement n’est prévu. Mais si la machine ralentit et que la conjoncture se dégrade, les banques belges pourraient durcir l’accès au crédit, surtout pour les entreprises actives aux États-Unis ou dans des secteurs sensibles comme l’automobile.
L’offensive protectionniste lancée par Donald Trump n’épargne pas le secteur bancaire. Si les banques ne sont pas directement visées par les droits de douane, leur exposition aux secteurs touchés les rend vulnérables. Alors, question : nos banques (BNP Paribas Fortis, Belfius, ING et KBC) sont-elles prêtes à affronter ce choc mondial et à protéger leur clientèle face à un environnement aussi incertain ? Emprunter va-t-il devenir plus cher ? Le resserrement du crédit qui se fait jour en Amérique va-t-il toucher le Vieux Continent ?
Dans un monde où la confiance est entamée, le robinet va-t-il carrément se fermer alors que “les États-Unis perdent leur rôle de référence, de phare de stabilité, mais aussi la prime de qualité que cela leur offrait pour leurs entreprises et actifs financiers”, observait dernièrement l’économiste et CEO d’Econopolis, Geert Noels, dans un post sur LinkedIn, soulignant ainsi les conséquences profondes pour l’économie mondiale et les marchés financiers des tarifs imposés au reste du monde par le président américain.
Dossier: “Droits de douane”
Vigilance accrue
Interrogé par nos confrères du magazine français Le Point il y a quelques jours, l’ancien commissaire européen au Commerce, Pascal Lamy, conseillait aux patrons et autres dirigeants d’entreprise de “faire le dos rond et de voir si la situation évolue”.
Tout dépendra en effet de la tournure que prendra la guerre commerciale, mise en pause pour 90 jours (sauf vis-à-vis de la Chine), mais qui n’est pas réglée pour autant, abonde Bernard Keppenne. “Si nous sommes dans un scénario de ralentissement modéré, l’impact sera insignifiant, estime l’économiste de la banque CBC. Sinon, dit-il, comme dans toutes les périodes de récession, les banques seront plus prudentes, et dès lors plus exigeantes, et pourraient durcir leurs conditions de crédit. Mais nous n’en sommes pas encore là et ce n’est pas notre scénario économique”, assure Bernard Keppenne, qui ajoute par ailleurs : “Les banques belges sont peu présentes aux États-Unis, ce qui signifie qu’une récession qui se limiterait aux USA n’aurait qu’un impact limité pour elles. La situation serait toutefois différente si la récession devenait mondiale, ce qui affecterait alors l’ensemble du système financier.”
Dans le même ordre d’idées, ING Belgique dit suivre de près la situation afin que les clients soient “informés de manière optimale”, pour les aider à identifier “les menaces et les risques, ainsi que les opportunités”, précise Saskia Bauters, head of business banking et membre du comité de direction chez ING Belgique. De son côté, Belfius précise que “la politique d’octroi de crédit reste inchangée à ce stade”. De même que chez BNP Paribas Fortis, Stéphane Vermeire, responsable du corporate banking et membre du comité exécutif, indique également qu’il n’est absolument pas question d’un durcissement du crédit pour les clients de la première banque du pays : “Les conditions de financement n’ont pas été revues dans le contexte actuel. Tout simplement parce que nous ne voulons pas freiner la croissance et le développement des entreprises”, dit-il.
“Les conditions de financement n’ont pas été revues dans le contexte actuel.” – Stéphane Vermeire (BNP Paribas Fortis)
Si aucun resserrement du crédit ne semble être à l’ordre du jour dans les quatre principales banques du pays, on peut toutefois parler de vigilance accrue. Si l’exposition directe de nos banques aux États-Unis est limitée, elles ne sont pas pour autant à l’abri d’un ralentissement mondial, comme le souligne Bernard Keppenne. Une récession d’envergure mondiale, couplée à la fin progressive de la globalisation, compliquera inévitablement la donne, au point de restreindre l’accès pour les entreprises au crédit bancaire : certains secteurs en particulier ont-ils dès lors du souci à se faire ?
“Pas un secteur, mais par contre plutôt les entreprises présentes aux États-Unis et dont c’est le marché principal, ainsi que celles qui seraient concentrées sur le secteur automobile, de l’acier et de l’aluminium, détaille Bernard Keppenne. Avec aussi une attention particulière sur les entreprises qui sont intégrées dans des chaînes d’approvisionnement qui pourraient être affectées par les tensions entre les États-Unis et la Chine”, complète l’économiste de CBC.
Débouchés alternatifs
Une situation n’est pas l’autre, en effet. “Certains secteurs d’activité sont plus exposés que d’autres, explique Stéphane Vermeire, de chez BNP Paribas Fortis. Seuls 6% des exportations des entreprises belges sont dirigées vers les États-Unis en direct. Mais les impacts ne se limiteront pas aux seules entreprises qui exportent directement vers les USA : deux tiers des exportations des entreprises belges sont dirigées vers d’autres pays membres de l’Union, dont une partie sera impactée directement. Pour ces entreprises, l’incertitude est grande, mais globalement, il n’y a pas de mouvement de panique. Au contraire, on observe une grande sérénité”, estime Stéphane Vermeire, qui pointe néanmoins une demande pour des solutions de couverture (swap sur les devises, swap sur les taux, sur l’inflation, etc.), eu égard aussi aux “taux d’intérêt directeurs à long terme qui sont amenés à monter”, dit-il.
En guise de réponse à l’offensive protectionniste américaine, se pose aussi la question des débouchés alternatifs. Une question d’autant plus cruciale que “la réaction de la Chine par rapport aux mesures américaines est à suivre de près, car celle-ci pourrait tenter de rediriger ses produits vers le marché européen, avec le risque d’augmenter la concurrence internationale sur le marché européen, prolonge Stéphane Vermeire. Cette situation pourrait également créer des opportunités pour les entreprises belges, avec de nouveaux partenaires, dans de nouvelles dynamiques commerciales. Dans ce marché mondial qui se transforme, on voit les entreprises être demandeuses d’un accompagnement de la part de leur banquier, qui les aide à réfléchir à des solutions pour maîtriser un certain nombre de risques, à réduire leurs coûts, à adapter leurs systèmes de production.”
Cet accompagnement passe bien évidemment aussi par une réflexion sur les leviers de financement. “Les banques peuvent accompagner leurs clients pour définir au mieux les conditions et les formes de crédit à mettre en place pour faire face à ces changements. Les accompagner dans la réflexion sur le développement de nouveaux marchés et sur une approche plus locale en mettant en relation les entreprises”, conclut Bernard Keppenne.
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