Le gendarme de la concurrence trouve les explications des banques « incompréhensibles »
Y a-t-il eu entente illicite entre banques pour ne pas relever les rémunérations de leurs produits d’épargne pendant la campagne des bons d’Etat qui visait justement à réveiller le secteur ? L’autorité de la concurrence n’a pas trouvé de preuve. Mais elle continue de s’interroger.
Lors de la campagne des bons d’Etat, à la fin du mois d’août, certains médias en Flandre laissaient entendre que les treize banques distribuant le produit s’étaient mises d’accord pour ne pas relever, pendant cette campagne, les rémunérations sur leurs propres produits d’épargne. Deux banques (Belfius et BNP Paribas Fortis) avaient même utilisé le terme spécifique de « gentlemen’s agreement ». C’était interpellant, d’autant plus que l’objectif du ministre des Finances Vincent Van Peteghem avec ce bon d’Etat généreux était justement de réveiller le secteur et de l’inciter à mieux rémunérer l’épargnant.
“Nous n’avons pas d’éléments de preuve“
Ces commentaires avaient fait dresser l’oreille de l’Autorité belge de la concurrence (ABC), qui avait lancé une préenquête. Celle-ci est terminée n’a rien donné de probant, explique Damien Gérard, l‘auditeur général de l’ABC. Mais des questions subsistent sur lesquelles le gendarme de la concurrence compte bien se pencher.
« Nous avons mené une enquête préliminaire sur base des éléments que nous avons pu obtenir de l’ensemble des parties prenantes. Nous avons reconstruit la chronologie des événements sur la base des échanges internes des banques, avec les journalistes, entre elles, et avec Febelfin (l’association des professionnels du secteur financiers, NDLR), explique Damien Gérard. Et nous n’avons pas d’éléments de preuve d’un possible accord exprès conclu entre les banques pour ne pas augmenter le taux de rendement des produits d’épargne pendant la période de souscription des bons d’état ».
Pas convaincu
Mais l’ABC reste sur sa faim. « Les explications des banques ne nous convainquent pas, poursuit l’auditeur général. Ce qui s’est passé est quand même curieux : des communicants expérimentés ont été briefés par le business sur l’existence d’un soi-disant gentlemen’s agreement portant sur les produits d’épargne et produits d’investissement. Ils disent qu’ils faisaient référence à une clause très spécifique du contrat de placement conclu entre les banques et l’agence fédérale de la dette, clause qui porte uniquement sur les bons de caisse, qui est un instrument qui n’est plus très utilisé et qui n’est même plus proposé du tout par les plus grandes banques du pays. On se demande donc comment il est possible que dans des institutions sophistiquées il y ait eu un tel couac de communication. Comment a-t-on pu interpréter la clause de cette façon ? Pourquoi a-t-elle été mise en avant par les communicants ? Pour nous c’est incompréhensible. »
L’ABC ne comprend donc pas comment les banques ont pu à ce point se tromper dans l’interprétation du contrat de placement les liant à l’agence de la dette. Elle ne comprend pas non plus « pourquoi deux banques en particulier ont utilisé concomitamment le terme de gentlemen’s agreement qui, de leur propre aveu, est un terme qui n’est pas usité dans le secteur bancaire », ajoute l’auditeur général.
Pratiques oligopolistiques
« On en vient à s’interroger sur un phénomène qui bien connu et qui est sur le radar des autorités de la concurrence, poursuit l’auditeur général. C’est le fait que, dans des marchés hautement concentrés que l’on appelle oligopolistiques, il n’est même pas nécessaire de faire des accords exprès entre entreprises. Il suffit, pour aligner ses positions concurrentielles, d’envoyer des messages unilatéraux aux autres membres de l’oligopole en disant : voilà ce que nous allons faire et voilà ce que nous n’allons pas faire. Et chacun s’adapte. C’est un phénomène assez connu et évidemment assez inquiétant, mais qui n’est pas évident à capturer par le droit de la concurrence », observe Damien Gérard.
Un avis remis en octobre
« Mais, poursuit-il, c’est un phénomène qui rentre à notre sens tout à fait dans le périmètre de l’avis qui nous est demandé par le ministre de l’Economie Pierre-Yves Dermagne sur le fonctionnement de la concurrence dans le secteur de la banque de détail. Cela pourrait être interprété comme un mode de fonctionnement pas optimal d’un marché très concentré ».
L’ABC se concentre donc désormais sur cet avis, qui devrait être remis le mois prochain. Mais elle n’exclut pas de mener une véritable enquête, avec audition et moyen d’investigation, par la suite. « Après avoir remis notre avis, nous pourrions ensuite envisager d’autres actions qui nous permettrait d’enquêter de façon plus approfondie sur le fonctionnement de la banque de détail. Une des possibilités, mais aucune décision n’est prise à ce stade, serait de mener une enquête sur le secteur de la banque de détail et certaines problématiques en particulier », précise en effet Damien Gérard.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici