La hausse des taux est-elle le prélude à un krach ? 

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

La formidable remontée des taux d’intérêt depuis un an et demi met les marchés sens dessus-dessous.

Vous auriez dit à un Allemand en janvier 2022, quand le taux allemand à 10 ans était à quasi zéro, que 18 mois plus tard il dépasserait les 3%, il vous aurait ri au nez. Pourtant, c’est ce qui vient de se passer. Cette semaine, pour la première fois depuis 2011, le taux de l’emprunt d’Etat allemand de référence à 10 ans a redépassé les 3%. 

Ce n’est pas propre à l’Allemagne. Notre taux belge à 10 ans affiche désormais 3,7%, le taux italien est à un fifrelin des 5%, et aux Etats-Unis, les trésoreries à 10 ans procurent désormais 4,8 %. 

Et ce ne sont pas uniquement les taux à long terme qui se sont envolés. En réalité, c’est toute la courbe des taux qui a gravi plusieurs échelons. Chez nous, par exemple, les taux à très court terme, dictés par la BCE, sont à 4,5%, les taux à deux ans à 3,9%, les taux à 5 ans à 3,3% et les taux à dix ans, donc à 3,7%. 

Le double message des banques centrales 

Cette brusque remontée générale est dictée par les banques centrales qui, depuis l’été 2022, ont resserré drastiquement leur politique monétaire pour combattre l’inflation. Certes, l’inflation a des causes exogènes : et avant tout la flambée des prix du gaz et du pétrole qui s’est propagée aux salaires et aux prix des autres biens et services. Mais la BCE, comme la Fed américaine, estime qu’en remontant les taux on réduit  l’activité économique et que donc, l’inflation devrait s’assagir elle aussi.  

Dès lors, les banquiers centraux ont remonté leurs taux comme jamais. Entre juillet 2022 et aujourd’hui, le taux de référence européen est passé de 0 à 4,5%. Et le taux américain évolue désormais dans la fourchette de 5,25-5,50%. Et tant la BCE que la Fed ont laissé passer deux messages ces dernières semaines. Le premier, c’est que ces taux seront élevés pour longtemps. Le second est qu’ils pourraient encore les augmenter au moins une fois avant de les stabiliser. 

Mais ce retournement brutal, cette fin de l’argent pas cher, est en train de mettre l’économie et les marchés financiers sens dessus-dessous.  

Des marchés chahutés 

L’économie ralentit en effet très fort, la croissance européenne ne devrait être que de 0,7% cette année, selon la BCE, et les activités les plus sensibles au taux, comme l’immobilier, ralentissent fortement. 

Mais surtout, la hausse des taux a allumé quelques bombes dans les marchés financiers. 

La première concerne les finances des Etats. La dette américaine a dépassé les 33.000 milliards de dollars, ce qui équivaut à 120% du PIB, mais son rythme de croissance dépasse désormais largement celui du PIB du pays et les intérêts payés sur cette dette sont de plus en plus élevés. Cela signifie que sans réduction drastique des dépenses, la dette continuera à s’envoler. D’autres pays très endettés, comme l’Italie, la France, la Belgique… se retrouvent dans cette situation ce qui explique par exemple le nouvel écartement des rendements entre les obligations italiennes et les obligations allemandes. 

Une partie du marché n’est pas convaincue non plus que la politique brutale des banques centrales mettra fin à l’inflation. Car aujourd’hui, la hausse des prix dépend beaucoup de l’évolution des prix de l’énergie. Or, si sur le gaz, les prix  s’assagissent et sont bien moins élevés qu’il y a un an, sur les marchés pétroliers, en revanche, ils restent sous pression, pour des raisons structurelles et politiques. Structurellement, nous consommons davantage de pétrole que ce que les pays producteurs peuvent fournir, et il ne faut pas s’attendre à un renversement de tendance, car nous sommes en train d’atteindre le pic pétrolier. Et politiquement, la Russie, l’Arabie et les pays de l’OPEP, pour maintenir le prix du baril à plus de 80 dollars, ce qui est leur objectif minimum, ont décidé de réduire encore leur capacité de production. C’est ce qui explique la hausse depuis l’été du prix du baril, qui est passé de 70 à 96 dollars à la fin du mois dernier  pour redescendre un peu aujourd’hui aux alentours de 85 dollars. 

Une explosion du marché ? 

Cette incertitude autour de l’inflation et donc, au final, de l’évolution future des taux, a provoqué deux réactions. La première est qu’elle a poussé les investisseurs à un mouvement de vente panique de leurs anciennes obligations (dont le coût a fortement baissé car elles ne rapportent que de faibles intérêts). Un mouvement qui est devenu un krach obligataire, et qui s’est transmis à la Bourse car désormais, le rendement des actions n’est plus compétitif face à celui des nouvelles obligations. En outre, la fin de l’argent pas cher préfigure des temps mouvementés pour les entreprises. 

La seconde réaction est la spéculation. Car profitant de ces turbulences, les hedge funds ont bâti de grès grosses positions à la vente sur les obligations. Et si à un moment donné ces spéculateurs désirent réaliser leurs gains, certains craignent une explosion du marché. « Si les taux continuent d’augmenter comme ils le font, il y aura un jour ou l’autre un accident financier, un jour ou l’autre quelque chose se brisera, a averti David Lebovitz, stratégiste chez JP Morgan interrogé cette semaine par Bloomberg.  

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