La Banque nationale s’inquiète pour Euroclear

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Patrick Claerhout Patrick Claerhout is redacteur bij Trends.

La Banque nationale estime qu’une solution internationale doit être trouvée concernant les avoirs bloqués à la chambre de compensation Euroclear en raison des sanctions prises contre la Russie. Si ce n’est pas le cas, l’institution elle-même pourrait être en difficulté.

La Banque nationale de Belgique a présenté cette semaine son rapport concernant les infrastructures des marchés financiers et les sociétés de paiement opérant à partir de la Belgique, sur lesquels elle exerce une surveillance prudentielle. Il s’agit notamment de grandes institutions internationales et d’importance systémique telles que Swift, Euroclear, Bank of New York-Mellon, Mastercard Europe et Worldline.

Inquiétudes concernant Euroclear

Tim Hermans, directeur de la BNB, a profité de l’occasion pour faire part de ses inquiétudes concernant Euroclear. Euroclear, dont le siège se trouve à Bruxelles, est le plus grand système de règlement/livraison de titres au monde pour les opérations domestiques et internationales sur obligations et actions.

Avec l’invasion de l’Ukraine, l’institution a été mise à contribution afin d’établir des sanctions contre la Russie.

“Aujourd’hui, 200 milliards d’euros d’actifs sont bloqués chez Euroclear”, explique M. Hermans. “Ces actifs, par le biais des dividendes, des coupons payés ou des titres arrivant à échéance, rapportent de l’argent. En tant que régulateur, nous avons donc demandé à Euroclear de gérer cet argent sans prendre de risques, et de ne pas distribuer à ses actionnaires les bénéfices que l’institution en tire.”

Gel des avoirs russes

En raison du gel des avoirs russes, les liquidités inscrites au bilan d’Euroclear sont passées de 20 milliards d’euros à plus de 120 milliards d’euros l’année dernière, dont 93 milliards d’euros étaient directement liés aux sanctions contre la Russie. Au cours du premier trimestre de cette année, 20 milliards d’euros supplémentaires s’y sont encore ajoutés. Étant donné qu’Euroclear garde principalement cet argent auprès de la BCE, l’institution est devenue de ce fait l’un des principaux déposants de l’Eurosystème.

Les hausses de taux d’intérêt, de ces derniers mois, garantissent également le bon rendement de ces liquidités. Les recettes ne reviennent pas aux propriétaires, mais à Euroclear elle-même, qui les inclut donc dans ses résultats et paie des impôts dessus. Mais seulement, tout cela fausse les résultats de l’entreprise. Ainsi, en 2022, la moitié des revenus d’Euroclear provenait des sanctions contre la Russie, pour atteindre 68% de ses revenus au premier trimestre 2023.

La Belgique également touchée

Il n’y a pas de solution à court terme, explique M. Hermans : “L’Europe voudrait utiliser cet argent pour reconstruire l’Ukraine, mais il n’existe aucune base juridique pour autoriser cela à l’heure actuelle. Idéalement, il devrait y avoir une solution internationale soutenue par la plus large coalition possible, par exemple au niveau du G7.”

Pour le régulateur belge, la situation est délicate car la Belgique est à peu près le seul pays concerné par cette discussion : “Plus de 90 % des actifs russes bloqués se trouvent chez Euroclear. Peut-être que certains pays, en dehors de la zone euro, comme la Suisse, n’en rendent pas compte correctement. Mais pour l’essentiel, c’est une question qui concerne principalement notre pays”.

Selon M. Hermans, cette situation pourrait poser des problèmes à Euroclear: “Parmi les clients d’Euroclear, il y a certainement encore des pays et des participants qui ne sont pas touchés par les sanctions, mais qui sont favorables à la cause russe. Si à un moment donné, ils devaient remarquer que l’Europe utilise l’argent russe pour des choses qu’ils n’apprécient guère, ils pourraient décider de retirer leur argent d’Euroclear. C’est un risque que nous devons prendre en compte”.

Si cela devait se produire, M. Hermans estime qu’il s’agirait d’une somme pouvant avoisiner les 4.000 milliards d’euros. “Dans le cas d’Euroclear, il s’agit toujours de montants très importants”, explique le directeur de la BNB. “Et si une telle somme d’argent venait à disparaître de l’Union européenne, cela pourrait même avoir des conséquences sur l’euro. »

Pas de garanties

Un autre risque est qu’Euroclear soit confronté à une explosion de litiges et de poursuites judiciaires. Jusqu’à présent, les plaintes se limitaient à quelques investisseurs russes qui avaient entamé des procédures en Russie contre Euroclear. “Pour l’instant, les effets de cette situation restent limités”, a déclaré M. Hermans. “Mais la question est de savoir ce qui se passera si jamais ces procédures devaient être engagées dans d’autres pays également. Il est toujours possible qu’Euroclear perde un procès quelque part en Europe ou en Asie. »

M. Hermans souligne qu’Euroclear n’a pas seulement gelé les liquidités et les titres des clients russes, mais que les sanctions jouent également dans l’autre sens : “Euroclear a également servi de passerelle pour les investisseurs internationaux vers le marché russe et l’infrastructure financière de ce pays. Que se passerait-il si Euroclear perdait la trace de ces actifs ? »

Le fait qu’Euroclear doive maintenir des coussins pour couvrir certains montants ne fournit pas de garanties étanches, explique M. Hermans : “En tant que régulateur, nous devons prendre en compte tous les scénarios possibles. On ne peut donc pas exclure qu’à un moment donné, les risques dépassent les coussins”.

Risques pour la cybersécurité

Dans son Financial Market Infrastructures & Payment Services Report 2023, la Banque nationale met en garde que la cybercriminalité constitue un risque majeur pour toutes les infrastructures des marchés financiers et les établissements de paiement. Notre pays est l’un des précurseurs en matière de surveillance de ces risques informatiques. Il s’agit notamment de hackers éthiques qui tentent de s’introduire dans les systèmes informatiques des banques, des assureurs et d’autres institutions financières.

“Avec les infrastructures des marchés financiers et les sociétés de paiement, on parle bien entendu d’un niveau élevé en matière de cybersécurité”, souligne Dominik Smoniewski de la Banque nationale. “Mais entre-temps, tout le monde voit l’utilité et la valeur ajoutée de tester. Le constat est que personne n’est à l’abri d’une cyberattaque. Même les grandes entreprises internationales ne sont jamais sûres à 100 %. »

“D’où notre message : continuer d’investir dans la cybersécurité est une nécessité absolue”, ajoute M. Hermans. “C’est pourquoi nous demandons que les conseils d’administration des institutions financières disposent de plus d’expertise pour évaluer les risques opérationnels et informatiques. S’il y a souvent suffisamment de personnes expérimentées dans les risques concernant les crédits et les marchés, les risques opérationnels tels que la cybercriminalité sont encore sous-estimés.”

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