Eric Dor : “Une nouvelle émission de bons d’Etat ne devrait pas causer un choc de liquidité excessif pour les banques”
L’économiste et professeur à l’IESEG de Lille relativise les arguments des banquiers selon lesquels l’émission d’un bon d’Etat à un an bis en décembre serait une mauvaise idée.
Le bon d’Etat a-t-il exposé les banques à un stress de liquidité ?
Les banques belges ont bien sûr dû puiser dans leurs liquidités pour assurer les retraits de dépôts de leurs clients qui ont utilisé cet argent pour acheter des bons d’Etat pour un montant de 22 milliards d’euros. C’est dans ce sens qu’il y a bien eu une diminution de la liquidité des banques. Mais il faut relativiser. Ce choc est très réduit eu égard à la situation de grande abondance de liquidités dans laquelle elles se trouvent, laquelle est historiquement élevée suite à la politique monétaire ultra-accommodante menée par la BCE depuis au moins 2015 jusqu’à la mi-2022. On peut donc penser que ce choc de liquidité a pu être aisément supporter. Leur réserves sont encore bonnes, ce qui en soi est une bonne nouvelle en ce qui concerne leur solidité.
Belfius a tout de même vu partir 3,5 milliards d’euros ?
C’est de l’ordre de maximum 9 % de ses liquidités initiales. Au 30 juin, le quotient de liquidité à court terme LCR de Belfius était de 156 %. Cet indicateur doit être supérieur à 100 % pour assurer que la banque a assez d’actifs liquides de haute qualité pour résister à une période de 30 jours de stress de liquidité comme des retraits massifs, des difficultés à emprunter sur les marchés, etc. Donc même s’il a un peu diminué, il doit être encore supérieur à 140 %, ce qui est très bon.
Et pour BNP Paribas Fortis, première banque du pays, qui avance le chiffre de 6 milliards d’euros transférés vers le bon d’Etat ?
Là aussi les liquidités initiales étaient abondantes. Au 31 décembre 2022, BNP Paribas Fortis avait des actifs liquides de haute qualité pour 44 milliards. La perte de liquidité est donc encore relativement limitée. Au 30 juin 2023, le quotient de liquidité à court terme LCR de BNP Paribas Fortis était de 125 %.
Quel risque représenterait une nouvelle émission ?
A mon avis, le danger n’est pas immédiat. Encore une fois, les banques belges disposent de liquidités très abondantes. Elles pourraient encore se permettre de subir en décembre une fuite de dépôts similaire à celle à laquelle elles ont été confrontées maintenant avec le bon d’Etat. Une nouvelle émission, qui impliquerait de nouvelles pertes de dépôts, serait donc assez aisée à supporter. Il est par ailleurs peu plausible que les pertes de liquidité, dues aux achats de bons d’Etat par leurs clients, conduisent à un rationnement du crédit et à un relèvement des taux sur les prêts à la clientèle.
Y a-t-il un manque de concurrence entre banques en Belgique ?
Même s’il y a eu une concentration du secteur en Belgique comme dans les autres pays, il reste encore assez de banques différentes pour qu’il y ait de la concurrence. Mais il est important de se rendre compte que le scénario, assez peu plausible, d’une telle entente est loin d’être nécessaire pour expliquer que les banques belges évitent de se provoquer réciproquement par des initiatives de hausses des taux.
Elles n’ont pas intérêt à se concurrencer pour attirer les dépôts des clients aussi longtemps que persiste l’abondance de liquidité qui a été causée par la politique monétaire exceptionnellement accommodante de la BCE jusqu’au milieu de l’année passée. Elles ont peu d’intérêt à procéder unilatéralement à une hausse des taux sur les dépôts d’épargne réglementée pour débaucher des clients. Dit autrement, personne n’a besoin d’aller chasser les clients chez le voisin.
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