Heurs et malheurs des coupe-faims miracles

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Comme espéré, Novo Nordisk et Eli Lilly voient leurs ventes décoller grâce à leurs nouveaux traitements contre l’obésité. Mais la concurrence s’organise et les premières victimes se font jour sur les marchés.

Présentés comme révolutionnaires, les nouveaux traitements contre l’obésité semblent bel et bien répondre aux attentes (élevées). Novo Nordisk et Eli Lilly, les deux leaders de ce nouveau segment de marché, ont ainsi ­publié de solides chiffres trimestriels.

Envolée des volumes

Dans le détail, les revenus d’Eli Lilly ont bondi de 26% à 8,8 milliards de dollars grâce au quintuplement des ventes de Mounjaro et de Zepbound, ses deux médicaments utilisés contre l’obésité (et le diabète), à 2,3 milliards de dollars.

La croissance est un peu moins impressionnante dans le cas de Novo Nordisk en raison de la base de comparaison plus élevée – le groupe danois ayant obtenu une première indication contre l’obésité dès 2021. Les ventes d’Ozempic et de Wegovy ont bondi de 54% à 37 milliards DKK, soit 5 milliards d’euros en à peine trois mois.

Les deux groupes se ­rejoignent sur leur principale difficulté : répondre à la ­demande énorme. “La croissance des ventes a entraîné des difficultés d’approvisionnement et le signalement de pénuries périodiques”, précise ainsi Novo Nordisk.

Accélération des ventes

Il ne semble pas que la tendance soit sur le point de faiblir. Selon Karsten Knudsen, le Wegovy, spécifiquement formulé pour le traitement de l’obésité et du surpoids, est ­actuellement prescrit à 25.000 nouveaux patients par ­semaine aux Etats-Unis contre à peine 5.000 en début d’année.

Les revenus d’Eli Lilly ont bondi de 26% grâce au ­quintuplement des ventes de Mounjaro et de Zepbound. © Getty Images

Eli Lilly a pour sa part relevé sa prévision de chiffre d’affai­res annuel à une fourchette allant de 42,4 à 43,6 milliards de dollars. En partant du principe que les ventes de son portefeuille hors Mounjaro et Zepbound resteraient stables, comme au premier trimestre, cela implique un chiffre d’affaires sur 12 mois de 14 à 15 milliards de dollars pour les deux médicaments utilisés contre l’obésité. Novo Nordisk devrait ainsi rester leader en 2024 avec un potentiel de ventes estimé d’environ 24 milliards d’euros pour l’Ozempic et le Wegovy cette année.

Potentiel de 
100 milliards de dollars

Et ce n’est qu’un début, une nouvelle accélération étant attendue au cours des prochaines années avec l’arrivée de traitements oraux – les quatre principaux actuels étant des injections. Avec le Rybelsus, Novo Nordisk dispose même déjà d’un comprimé oral efficace et approuvé (contre le diabète). Mais le groupe danois en limite la commercialisation car cela nécessite davantage d’ingrédient actif (le sémaglutide) alors qu’il fait déjà face à une pénurie.

Globalement, les analystes de Goldman Sachs prévoient ainsi que le marché du traitement de l’obésité représentera 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2030. Ceux de Barclays (100 milliards en 2033) ou de ­Berenberg (85 milliards) sont à peine moins optimistes.

Concurrence accrue

Ces prévisions sont essentiellement basées sur une adoption massive des traitements et le fait qu’ils doivent être pris au long cours, leur effet disparaissant après l’arrêt de la cure. Goldman Sachs prévoit ainsi qu’environ 15 millions d’adultes américains prendront un traitement anti-obésité pour la gestion de la perte de poids chronique en 2030, sur un total de 105 millions d’adultes obèses ou en surpoids aux Etats-Unis.

Toutefois, ces perspectives de croissance XXL suscitent logiquement les convoitises. Selon Bloomberg Intelligence, plus de 50 médicaments contre l’obésité sont actuellement en cours de développement clinique par une quarantaine d’entreprises

L’un des plus avancés est le ­MariTide (ou AMG133) d’Amgen. Le groupe biotechnologique américain a livré des résultats cliniques de phase 1 encourageants en février. La perte de poids moyenne a atteint 14,5% en 85 jours avec une injection mensuelle (contre des injections hebdomadaires pour les traitements actuels) et un meilleur maintien du poids avec l’arrêt du traitement (jusqu’à 150 jours). Les résultats de la phase 2 des études cliniques sont attendus pour la fin de l’année et Amgen prépare déjà la phase 3 en vue d’une éventuelle demande de commercialisation en 2026.

Qui seront les gagnants ?

A l’heure actuelle, le leadership de Novo Nordisk et Eli Lilly ne semble guère ­remis en cause. Goldman Sachs estime ainsi qu’ils accapareront 80% du marché en 2030 grâce à leur expertise et à leur portefeuille étendu (chacun ayant encore quatre à cinq médicaments en développement). Mais ils ne sont pas à l’abri d’une nouvelle avancée par un concurrent ou d’une guerre des prix et ont beaucoup à perdre en Bourse.

Avec une capitalisation boursière de 737 milliards de dollars, ce qui en fait la neuvième entreprise du monde, Eli Lilly cote 56 fois son bénéfice prévu cette année, soit une prime de 300% par rapport à Johnson & Johnson, leader mondial de la santé (en termes de chiffre d’affaires).

PepsiCo 
a subi 
un recul des volumes écoulés au cours des six derniers trimestres. © Getty Images

Novo Nordisk, première entreprise européenne avec une capitalisation de 572 milliards de dollars, fait figure de choix un peu plus raisonnable avec un rapport cours/bénéfice prévu de 38 pour 2024.

Les analystes demeurent malgré tout très positifs avec une large majorité de conseils d’achat sur ces deux groupes. Si l’aventure vous tente, vous pouvez compléter votre portefeuille par positions de ­diversification, plus risquées mais avec un potentiel haussier plus important en cas de réussite. Citons :
Amgen ;
• la biotech danoise ­Zealand Pharma qui développe quatre candidats-médicaments contre l’obésité dont un en collaboration avec Boehringer Ingelheim dans la dernière phase d’études cliniques après des résultats ­robustes en phase 2 (perte de poids de 19%, injection hebdomadaire) ;
Viking Therapeutics, la biotech américaine développant deux programmes contre l’obésité (en phase 1 et 2 des études cliniques).

Pfizer était également dans la course, mais a mis fin à son programme à la fin de l’année dernière en raison d’effets secondaires trop fréquents chez les patients testés.

De Weight Watchers à PepsiCo

Le développement de traitements contre l’obésité ne fait pas que des heureux. WW International, la maison-mère de Weight ­Watchers, tente de se réinventer après l’effondrement de ses résultats, mais les investisseurs n’y croient pas comme l’illustre la chute de 75% du titre en un an.

Au niveau sectoriel, la première victime est l’industrie des snacks et sodas. La crainte s’est même amplifiée en octobre dernier après une interview de John ­Furner. Le CEO de Walmart, premier distributeur mondial, y déclarait observer un changement de comportement dans le sillage du développement des nouveaux médicaments anti-­obésité qui agissent comme des coupe-faim.

PepsiCo, un incontournable du secteur avec des marques comme Pepsi ou Lay’s, a ainsi subi un recul des volumes écoulés au cours des six derniers trimestres, tout particulièrement en ­Amérique du Nord. Dans cette zone cruciale, les volumes de Frito Lay (snacks, -2%), céréales (Quaker, -22%) et boissons (-5%) ont sensiblement chuté au cours des trois premiers mois de l’année.

Cet impact plus marqué en ­Amérique du Nord coïncide avec l’évolution des ventes de traitements contre l’obésité. Novo ­Nordisk réalise par exem­ple 73% du chiffre d’affaires mondial d’Ozempic et de Wegovy aux Etats-Unis.

Prix et marges

Eternel concurrent de PepsiCo, Coca-Cola n’a également plus ­enregistré de croissance de ses volumes en Amérique du Nord depuis l’automne 2022. Nestlé y a encaissé une baisse des volumes de 5,8% au premier trimestre 2024, la chute des ventes de snacks et pizzas surgelées ayant complètement éclipsé la croissance des aliments pour animaux de compagnie (Purina) et des eaux (San Pellegrino, etc.).

Mondelez (Côte d’or, Daim, Lu, Oreo, Milka, etc.) a également connu une nette détérioration des volumes mondiaux ces derniers temps avec une baisse de 0,4% au quatrième trimestre 2023 et de 2,1% au premier trimestre 2024. Post Holdings, lointain héritier du conglomérat bâti par la famille Post pour ceux qui auraient vu Unfrosted sur Netflix, accuse également une baisse des volumes pour de nombreux produits ­(céréales, produits à base d’œufs et de pommes de terre, surgelés).

Jusqu’à présent, ces baisses de ­volumes ne se sont globalement pas traduites en recul des bénéfices, les hausses de prix et les conditionnements réduits permettant de compenser. Mais cette stratégie a ses limites si les volumes continuent de baisser et si les cours restent sous pression avec notamment une baisse 8% pour PepsiCo et de 18% pour Nestlé au cours des 18 derniers mois.

Alcool, café, céréales…

Pour évaluer ce qui attend le secteur, les analystes de Bernstein ont effectué une enquête auprès de personnes utilisant ces nouveaux traitements contre l’obésité de la classe des analogues du GLP-1, en référence à l’hormone de satiété dont ils imitent l’action.

Les résultats publiés par FoodDive sont riches en enseignements. Parmi ceux buvant des sodas caloriques au quotidien, 33 % des utilisateurs de GLP-1 ont “arrêté complètement les sodas sucrés, tandis qu’un autre tiers a diminué sa consommation”. Les résultats étaient plus spectaculaires pour les gros consommateurs : “pas moins de 77 % ont ­déclaré avoir diminué leur consommation ou l’avoir complètement arrêtée”.

Plus surprenant, “24% de personnes buvant du café au quotidien disent qu’ils en consomment moins depuis qu’ils utilisent un GLP-1”. En outre, “plus de la moitié des personnes interrogées ont réduit ou arrêté leur consommation”.

Une autre enquête plus large a été réalisée par Numerator auprès de plus de 100.000 Américains. Comparant le comportement de consommateurs utilisant un ­GLP-1 ou pas, ils ont observé une différence d’achat importante (de 10% à 20%) pour les pâtisseries emballées, les snacks, les aliments préparés, les haricots et les céréales.

Ce qui est de mauvais augure pour de nombreux groupes agro-alimentaires si l’Ozempic, le Zepbound & co sont massivement prescrits comme attendu par les analystes.

Globalement, les analystes de Goldman Sachs ­prévoient que le marché du traitement de l’obésité représentera 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2030.

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