Le Port de Bruxelles, moteur de durabilité et d’innovation

Gert Van der Eeken, CEO du Port de Bruxelles © christophe ketels

Le Port de Bruxelles porte une attention toute particulière à la biodiversité et utilise ses concessions comme levier pour verdir l’économie de la Région de Bruxelles-Capitale. Il a par ailleurs dû se battre pour sa ligne ferroviaire.

Dans le bureau du directeur niché dans le bâtiment Art déco magnifiquement préservé du Port de Bruxelles, Gert Van der Eeken et Florence Debrouwer déroulent une carte d’un mètre de long. Plan à l’appui, le CEO et la responsable énergie et climat nous montrent à quel point le port est vaste. Deuxième port intérieur de Belgique – après Gand – et deuxième port intérieur le plus productif d’Europe – après Bâle en Suisse –, il gère les 14 kilomètres de canaux qui traversent la Région bruxelloise.

Peu savent que le port est également responsable du niveau des eaux. En 2019, par exemple, les eaux de la Senne sont montées dangereusement vite. Le risque d’inondation des voûtes était réel mais les eaux ont pu être évacuées par le canal. En d’autres termes, le canal agit comme un grand bassin d’orage. En fait, le canal de Bruxelles est composé de deux canaux, le canal de Willebroeck et le canal de Charleroi (permettant aux péniches de naviguer jusqu’à Paris), qui se rejoignent à la hauteur de la place Sainctelette.

Bruxelles joue également un rôle important en matière de transbordement. La cargaison des grands navires qui empruntent l’Escaut pour se rendre à Bruxelles est transbordée sur des bateaux plus petits, qui peuvent ensuite poursuivre leur route vers Charleroi. Un petit port maritime permet par ailleurs d’accueillir de petits navires de mer dans la capitale.

Le Port de Bruxelles gère quelque 116 km² et compte environ 200 concessionnaires. Ces entreprises sont principalement actives dans la construction, la logistique et l’industrie. Par ces quatre aspects, le port de la capitale est un moteur de durabilité et d’innovation.

1. L’eau et le rail plutôt que la route

Ziegler revient au Port de Bruxelles

Deux mille camions quittent chaque jour le port, et ils devraient être encore plus nombreux à l’avenir. Les entreprises de transport du port jouent un rôle central à cet égard. Ziegler, dont la descendante de la quatrième génération, Diane Govaerts, a été élue Manager de l’Année en 2022, mise beaucoup sur la durabilité.

“Ziegler est actif à l’échelle mondiale et s’engage fortement en faveur des critères ESG (ndlr : acronyme anglais pour critères environnementaux, sociaux et de gouvernance)”, expli­que Gert Van der Eeken. C’est l’une des entreprises portuaires qui est déjà climatiquement neutre aujourd’hui, tout comme le fournisseur de béton CCB et l’entreprise de construction De Cloedt.

Shipit Multimodal Logistics, basée à Anvers, est une entreprise plus petite qui propose un modèle innovant de logistique urbaine durable via la navigation intérieure à Bruxelles. Shipit, lauréate l’an dernier du Trends Impact Award dans la catégorie Mobilité, aide les entreprises de construction à fournir le matériel nécessaire aux nombreux grands chantiers de la capitale de la manière la plus efficace possible via le canal.

“On pourrait dire que Shipit a en quelque sorte trouvé l’œuf de Colomb, c’est un modèle très innovant, explique Gert Van der Eeken. Les entreprises peuvent demander à Shipit de collecter leurs marchandises et l’entreprise de cons­truction indique alors la quantité dont elle a besoin sur le chantier un jour donné. Shipit s’assure alors que les marchandises sont bien là.”

Le 28 juin, le premier train devrait circuler sur la ligne ferroviaire rénovée menant au port.

Le Port de Bruxelles a dû se battre pour permettre au rail de maintenir son rôle dans la plateforme de mobilité multimodale – routière, fluviale et ferroviaire – que l’organisme d’intérêt public régional souhaite assurer. Au début du siècle, le gouvernement a décidé que la ligne de chemin de fer menant au port n’était plus nécessaire et qu’elle devait être définitivement mise hors service en 2021, mais le port a saisi la justice pour s’y opposer. Sous l’impulsion du gouvernement bruxellois, un accord est conclu en 2022 avec le gouvernement fédéral, Infrabel et le propriétaire du site pour reconnecter le port et le terminal à conteneurs au réseau ferroviaire en rétablissant cette ligne. Le 28 juin, le premier train devrait circuler sur cette ligne rénovée.

2. L’écologisation par les concessionnaires

Le Port de Bruxelles a commencé au fil des ans à imposer des critères de durabilité de plus en plus stricts aux entreprises auxquelles il accorde une concession. Cette démarche s’inscrit également dans la politique du gouvernement régional bruxellois. Après Amsterdam, Bruxelles est la deuxième ville au monde à adopter l’économie des beignets. Il s’agit d’un modèle d’économie durable développé par l’économiste britannique Kate Raworth. La secrétaire d’Etat bruxelloise à la Transition économique, Barbara Trachte (Ecolo), a appliqué cette théorie et le gouvernement bruxellois l’a traduite dans la stratégie Shifting Economy en 2023, visant la transition économique de la Région bruxelloise vers une économie circulaire, climatiquement neutre, numérique, régénérative et sociale.

“Avec le port, nous avons élaboré des critères pour nos concessions, en examinant dans quelle mesure une entreprise réduit son empreinte carbone. Nous examinons les mou­vements d’une entreprise et l’impact qu’elle a sur Bruxelles, explique Gert Van der Eeken. La Région bruxelloise est notre principal actionnaire. Si la Région veut réduire le nombre de voitures, je peux difficilement dire ‘venez, venez ici’ aux entreprises qui conduisent des camions de toute l’Europe jusqu’ici.”

Florence Debrouwer, experte en environnement, abonde dans le même sens : “Outre les critères de sélection pour l’attribution d’une concession, les clauses nécessaires dans le contrat constituent un levier important”. Les labels de durabilité – Florence Debrouwer est une experte en la matière – jouent un rôle clé dans ces clauses. Aujourd’hui, 20 entreprises ont inté­gré ces clauses dans leurs contrats. “Par exemple, les entreprises doi­vent obtenir le label Entreprise écodynamique de la Région bruxelloise (ndlr : un label indiquant que vous réduisez l’impact de l’activité de l’entreprise sur l’environnement)”, explique Florence Debrouwer. Ils doivent également publier sur internet un plan de décarbonisation avec des objectifs pour 2030 et la neutralité climatique pour 2050. “Nous soutenons nos concessionnaires dans cette démar­che. Ils peuvent faire appel à un expert en transport et en climat pour les aider et participer à des projets pilotes visant à accroître la biodiversité.”

“Toute la bière des brasseries d’AB InBev de Louvain et de Jupille arrive ici.” – Florence Debrouwer, responsable énergie et climat du Port de Bruxelles

La nouvelle concession la plus remarquable est celle de Van Moer Logistics, qui connaît une croissance rapide. L’entreprise, qui espère franchir le cap du demi-­milliard d’euros de chiffre d’affai­res dans les prochaines années, a reçu cette année de l’argent frais de la part du holding belge Ackermans & van Haaren, qui a pris une participation dans Van Moer dès 2021.

Van Moer, une entreprise familiale dirigée par son fondateur Jo Van Moer, a obtenu l’année dernière la concession principale pour l’exploitation et le développement du port à conteneurs de Bruxelles pour une durée de 20 ans. L’entreprise l’a reprise à Katoen Natie de Fernand Huts. Gert Van der Eeken a été impressionné par le dossier de Van Moer Logistics. “Nous avions placé la barre très haut en matière de durabilité pour cette concession, et j’ai été frappé, lors des négo­ciations, par le fait que Van Moer était capable d’aller plus loin à chaque fois”, déclare Gert Van der Eeken. Il fait notamment référence aux objectifs en matière de transport urbain durable, d’utilisation d’énergie verte et de développement du transport multimodal.

Pour cette concession également, il était important que le Port de Bruxelles maintienne sa connexion au réseau ferroviaire. “Jo Van Moer a décroché le contrat pour le transport d’AB InBev. Toute la bière des brasseries de Louvain et de Jupille arrive ici. Alors qu’elle était auparavant trans­portée par camion, elle peut désormais être acheminée par train, puis par bateau jusqu’à Anvers et, de là, jusqu’en Amérique. C’est vraiment un exemple d’utilisation multimodale, et c’est précisément pour cela qu’il était si important de rétablir la liaison ferroviaire.”

3. Un corridor écologique dans la ville

Avec ses 14 km d’eau s’écoulant dans une métropole densément peuplée, le canal est un endroit où de nombreux animaux et plantes peuvent prospérer. Conscient de cette réalité, le Port de Bruxelles multiplie les initiatives pour favoriser la biodiversité. En 2022, par exemple, à la demande du port, l’entreprise française Ecocéan a installé plus de 200 m² de radeaux recouverts de plantes indigènes variées dans le canal afin de créer un meilleur habitat pour les animaux. Des oiseaux aquatiques comme le cormoran peuvent y cons­truire leur nid. Sous l’eau, des “biohuts” (paniers suspendus dans l’eau le long des quais) permettent à des poissons comme la carpe et l’anguille européenne ainsi qu’à des invertébrés de se reproduire.

“Dans le cadre du projet pilote, nous craignions que ces biohuts ne soient pas suffisamment stables en raison du trafic sur le canal, mais les premiers résultats ont été immédiatement positifs, explique Florence Debrouwer. Au cours de cette année, des radeaux verts seront ajoutés sur 400 m². Des pièges à déchets pour retirer les déchets de l’eau sont disposés ici et là dans le canal et nous disposons de trois bateaux nettoyeurs – Castor, Botia et Damona.” Le Damona est le premier bateau entièrement électrique.

“Nous allons également travailler sur un sujet qui n’en est encore qu’à sa phase embryonnaire : comment utiliser le canal pour rafraîchir la ville, alors que le réchauffement climatique entraîne de plus en plus de vagues de chaleur, poursuit Gert Van der Eeken. Nous sommes également intéressés par le concept des tiny islands sur les ronds-points (ndlr : il s’agit d’installer une végétation riche en biodiversité sur les ronds-points).”

4. Montrer l’exemple

Si port.brussels – une PME de 138 employés – encourage ses concessionnaires à devenir plus verts et climatiquement neutres par le biais de critères de sélection et de contrats, elle doit évidemment montrer l’exemple elle-même.

“Nous avons été le premier port belge à obtenir un label de neutralité CO2 (ndlr : en 2017) et nous portons le label Entreprise écodynamique de la Région bruxelloise. Nous sommes également membres de l’Alliance belge pour l’action climatique”, explique Florence Debrouwer. “Depuis 2014, nous faisons mesurer notre empreinte carbone par CO2Logic. Chaque année, nous essayons de réduire l’empreinte carbone de nos bâtiments, de nos véhicules et de nos bateaux. Nous encourageons le travail à domicile et incitons nos employés à se rendre au travail d’une manière respectueuse de l’environnement. Nous n’imposons rien à nos concessionnaires sans l’avoir d’abord testé au sein de notre propre organisation.”

“Chaque année, nous essayons de réduire l’empreinte carbone de nos bâtiments, véhicules et bateaux.” – Florence Debrouwer, responsable énergie et climat du Port de Bruxelles

Un grand projet pour les années à venir est la prise en main du TIR (Transport International Routier) Logistics Centre. Cette plateforme logistique est située à proximité de Tour & Taxis. “Ce fameux pôle est en fait un dinosaure de 112.000 m² d’espace de stockage répartis dans cinq bâtiments datant des années 1950. C’était l’un des premiers centres multimodaux, où le train entrait, mais il est aujourd’hui totalement dépassé, de plus en plus d’entreprises ayant déménagé”, explique Gert Van der Eeken.

Le Port de Bruxelles souhaite donner une nouvelle vie au bâtiment et en faire un centre logistique moderne, comme ceux que l’on trouve déjà à Amsterdam ou à Lyon. Comme c’est le port lui-même qui est propriétaire du bâtiment, ce ne sont pas les concessionnaires, mais bien port.brussels qui est chargé d’en assurer la via­bilité. Pour ce faire, il doit d’abord rechercher des partenaires privés et les investissements nécessaires pour transformer cette vieille structure énergivore et délabrée en un hub moderne situé à quel­ques kilomètres du centre de Bruxelles.

Le TIR Logistics Centre pourrait devenir un cen­tre de transbordement où les marchandises sont acheminées par la route, l’eau ou le rail et trans­férées sur des vélos-cargos ou des camionnettes électriques pour les derniers kilomètres jus­qu’à leur destination. Le pôle devrait également devenir plus multifonctionnel, avec des studios, des espaces pour l’agriculture urbaine et des bureaux, et s’intégrer pleinement dans le quartier.

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