Quand la pub se vend aux enchères

Toucher le bon internaute au bon moment et au meilleur prix, voilà ce que promettent les adeptes du “Real Time Bidding“, une tendance commerciale qui révolutionne l’achat des espaces publicitaires sur le Web via un système d’enchères en temps réel.

Le délai (ou plutôt la quasi-absence de délai) est vertigineux. Moins de 120 millisecondes. En clair : moins d’un huitième de seconde. C’est le temps qu’il faut en effet à ce système complexe et ingénieux pour afficher une publicité personnalisée à l’internaute qui consulte un site Web doté de cette technologie. Un système baptisé “Real Time Bidding” (“enchères en temps réel” en français) et que les professionnels du marketing nomment aujourd’hui RTB pour plus de facilité.

Soyons concrets : vous êtes un homme, vous avez entre 45 et 55 ans et vos données laissées lors de vos différents achats dans la “vraie vie” mais aussi au fil de vos explorations sur le Net (via les fameux cookies) trahissent votre goût pour le luxe et les voitures haut-de-gamme. Vous décidez de vous connecter sur www.msn.com et, ô surprise, une bannière publicitaire vantant le tout nouveau modèle Mercedes apparaît sur le site en question. Sachez qu’il s’en est fallu de peu. Car vous auriez pu vous retrouver avec une pub Audi ou BMW si une de ces deux autres marques avait remporté les enchères. Oui, parfaitement, les enchères. Et des enchères en temps réel, s’il vous plaît.

Encore faut-il préciser qui si vous aviez été une femme de 30 ou 35 ans, férue de mode pointue, vous auriez eu une tout autre bannière publicitaire sous les yeux en vous branchant, au même moment, sur le même MSN.

Privilégier le “data”

Révolutionnaire, le “Real Time Bidding” est en fait un système automatisé qui permet aux acheteurs et aux vendeurs d’espaces publicitaires en ligne de se rencontrer virtuellement pour passer des ordres en temps réel, à l’instar d’une place boursière traditionnelle. Ciblant l’internaute jugé pertinent pour telle ou telle campagne, le RTB détermine donc le prix d’une bannière sur le Web en fonction de sa taille, du site choisi et surtout du profil du consommateur qui la verra en théorie sur son écran. Bref, on ne remplace pas vraiment la stratégie médias, mais on utilise davantage la stratégie data, ces précieuses données individuelles qui ne cessent de se reproduire sur le Web.

Apparue aux Etats-Unis il y a trois ans déjà, la nouvelle tendance publicitaire du RTB gagne peu à peu à l’Europe et pourrait, à terme, révolutionner le petit monde des agences médias en Belgique. Car on ne parle plus ici d’espaces publicitaires online réservés des jours ou des semaines à l’avance pour un plan de campagne classique, mais bien de bannières personnalisées vendues à l’annonceur le plus offrant par des robots, en moins de 120 millisecondes top chrono.

Evidemment, il n’y a rien de “magique” là-dedans : “On est en plein dans le ‘machine to machine‘ avec des enchères automatisées selon des scénarios prédéfinis par l’homme, explique Benoît Michielsens, managing director du trading desk belge Amnet, filiale de l’agence Aegis Media. Ces outils appartiennent à des tiers qui fournissent la technologie aux agences et aux éditeurs de sites Web avec l’objectif de simplifier et d’automatiser les procédures d’achats d’espaces publicitaires, tout en offrant une très grande flexibilité puisque le RTB permet aux annonceurs d’affiner un plan media en temps réel et donc d’être dans une logique de sur-mesure.”

Tendance de fond

Pionnier du “Real Time Bidding” sur la marché belge, la plateforme Amnet a vu le jour en juillet 2012 et occupe désormais cinq personnes à temps plein. Elle gère dans son portefeuille une petite quarantaine de clients parmi lesquels on trouve notamment ING, General Motors, VOO, Telenet ou encore KPN, premier client historique de ce trading desk avec la marque Base. Depuis, d’autres agences médias implantées en Belgique comme Havas, Mediabrands, GroupM ou encore ZenithOptimedia ont développé leur propre plateforme digitale de RTB, à côté de plus petites agences indépendantes comme Point Blank ou Pervorm Belgique.

S’il n’existe pas encore chez nous de statistiques fiables évaluant la part réelle du “Real Time Bidding” dans l’offre publicitaire belge, les spécialistes du secteur estiment toutefois qu’elle doit actuellement couvrir entre 12 et 13% de notre marché digital. En revanche, aux Etats-Unis, le RTB représenterait déjà 20% des investissements publicitaires en ligne (soit un marché évalué à près de 3,5 milliards de dollars) et il pourrait même engloutir un tiers de l’offre à l’horizon 2017, selon le bureau d’études américain Forrester Research.

Mais comme pour toute “nouveauté”, ce système de vente aux enchères de l’espace publicitaire en temps réel génère son flux de scepticisme parmi les acteurs traditionnels du secteur et surtout chez les éditeurs de sites qui ont peur de perdre la main dans ces transactions désormais orchestrées par des machines avec la complicité des agences médias. “Même s’ils restent maîtres du prix de vente minimal, les éditeurs de sites ont clairement peur de perdre le contrôle de la situation, enchaîne Benoît Michielsens de la société Amnet, étant donné que nous dictons davantage les prix et que nous permettons à nos clients d’avoir un meilleur retour sur investissement avec ce système d’enchères automatisées. De plus, cela redéfinit clairement le rôle des commerciaux qui devront fatalement être moins nombreux et qui devront dès lors adapter leur profil à cette nouvelle tendance plus technique. Car avec le RTB, les marketers devront devenir peu à peu des traders.”

Des éditeurs frileux

Si le “Real Time Bidding” a déjà séduit, en Belgique, les éditeurs de sites très ancrés dans la culture numérique comme Microsoft, Skynet ou Hi-Media, force est de constater que les éditeurs traditionnels de sites d’informations belges peinent encore à se laisser convaincre par ce système qui pourrait pourtant leur garantir une meilleure monétisation de leurs inventaires publicitaires.

Certes, la plupart y pensent et l’éditeur Corelio serait d’ailleurs en phase test, mais aucun d’entre eux n’a encore véritablement franchi le pas, au grand regret d’Anne Bataille, CEO de l’agence Aegis Media : “Je ne comprends pas vraiment la réticence de ces éditeurs belges qui se cachent derrière de faux prétextes financiers ou par crainte de voir leur audience dévalorisée, confie-t-elle. Ceci est quand même assez surprenant alors que les médias belges et les éditeurs sont face à des difficultés financières réelles et que leurs tergiversations trop nombreuses et autres réflexions sur l’intérêt d’y aller ou pas empêchent toute opportunité de collaboration avec eux.”

Une situation d’autant plus dommageable pour le marché belge qu’elle favorise la monétisation de certains sites d’informations français qui recourent déjà au système du “Real Time Bidding“. Car le RTB ne s’impose pas de frontières et peut très bien activer la vente aux enchères de bannières publicitaires personnalisées sur un site français visité par un internaute belge. A l’heure actuelle, plus de 70% des investissements publicitaires en RTB consentis par des annonceurs via la plateforme belge Amnet porteraient ainsi sur des adresses IP étrangères. De quoi avoir l’envie d’inverser enfin la tendance…

Frédéric Brébant

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