Blendle veut vendre de l’info en tranches

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Convaincue que l’internaute veut bien payer pour des contenus de qualité, le site Blendle commercialise des articles de grands journaux à l’unité. Confiante, cette start-up néerlandaise vise désormais les marchés belge et français, portée par le soutien financier des géants des médias Axel Springer et The New York Times Company.

Les dernières statistiques confirment l’inexorable et déprimante tendance. Selon le Centre d’Information sur les Médias (CIM), la diffusion des journaux belges dans leur version papier a encore reculé de 4,5% en l’espace d’un an et ce sont surtout les quotidiens francophones qui accusent le coup avec près de 7% de chute en moyenne contre “seulement” 3,4% pour les titres flamands. Certes, les journaux concernés proposent aussi des versions numériques de leurs éditions qui devraient “théoriquement” compenser l’érosion de ventes en librairie, mais là non plus, ce n’est pas vraiment la joie. Si l’on dissèque les chiffres intégrant les différents supports, la tendance reste en effet révélatrice du malaise ambiant avec une baisse générale de 4,2% de la diffusion globale des journaux belges francophones, qu’ils aient été vendus sous leur format papier ou commercialisés dans une version numérique.

Inquiétant, le désamour pour la presse traditionnelle est devenu mondial et il oblige désormais les éditeurs à revoir leur modèle économique. En 10 ans à peine, Internet et les réseaux sociaux ont redistribué les cartes de la consommation de l’info, contraignant 150 quotidiens à mettre la clé sous le paillasson rien qu’aux Etats-Unis. Mis au pied du mur numérique, les éditeurs de presse tâtonnent toujours entre différentes solutions adaptées au Web, allant du “tout gratuit” financé par la publicité au “tout payant” via un paywall, en passant par un modèle intermédiaire baptisé “freemium” qui associe une offre gratuite (quelques articles en libre accès) à une offre “premium” via un abonnement (pour accéder à l’ensemble des articles avec des avantages en prime).

Au-delà de ce casse-tête numérique qui oblige les quotidiens à repenser individuellement leur avenir, certains projets communs visent toutefois à proposer des solutions innovantes. Ainsi, au printemps dernier, plusieurs groupes de presse belges (IPM, Mediafin, Mediahuis, Rossel, Roularta, Sanoma…) ont annoncé le lancement “imminent” de Media ID, “un outil personnel de connexion et de paiement offrant un accès sécurisé et facile aux sites d’informations”. En clair : une plateforme digitale commune qui permettrait aux internautes de consulter, contre un paiement global, les articles de journaux a priori concurrents. Annoncée en fanfare pour le mois de septembre de cette année, la plateforme Media ID n’est cependant toujours pas opérationnelle…

Des articles à l’unité

Heureusement, de nouveaux acteurs issus du monde numérique réfléchissent à d’autres formes de monétisation des contenus journalistiques avec des initiatives concrètes la clé. Aux Pays-Bas, la société Blendle brille ainsi par son originalité avec un business model qui permet aujourd’hui à l’internaute d’acheter des articles à l’unité. Concrètement, le consommateur d’infos peut s’offrir des contenus segmentés de la presse néerlandaise à un prix variant entre 15 et 80 cents selon la longueur de l’article et les desiderata de l’éditeur. Très “user friendly“, Blendle respecte les codes typographiques de chaque journal et magazine néerlandais présents sur le site, avec une page d’accueil générale qui affiche des articles recommandés par tel et tel journaliste ou tel et tel utilisateur que l’on suit dans un esprit légèrement “réseau social”. Cerise sur le gâteau de l’offre journalistique : l’internaute a la possibilité de réclamer son argent si d’aventure l’article commandé ne lui a pas plu.

Lancée en avril par deux journalistes de 27 ans (Alexandre Klöpping et Martin Blankesteijn), la start-up surnommée “l’iTunes de l’info” a déjà séduit 160.000 utilisateurs en sept mois à peine. Mieux, Blendle a même réussi l’exploit de convaincre deux grands acteurs des médias, l’allemand Axel Springer et l’américain The New York Times Company, d’investir dans le projet à hauteur de 3 millions d’euros. “Au départ, cela a été très difficile de persuader les éditeurs de presse néerlandais de rejoindre notre plateforme car ils avaient peur de perdre des abonnés et des acheteurs en librairie, explique Thomas Smolders, responsable de la stratégie internationale de Blendle. Mais après six mois, nous avons démontré qu’il n’en était rien et que nous avions en fait séduit un nouveau public. Plus de 60% de nos utilisateurs ont moins de 35 ans et ce sont des gens qui sont évidemment intéressés par les médias, mais qui ne veulent pas acheter un magazine complet, ni même s’inscrire sur le paywall d’un quotidien”.

Séduire une génération adepte du “picorage” et qui est prête à mettre le (petit) prix pour lire ce qu’elle veut (exactement comme elle le fait pour la musique sur iTunes où elle télécharge rarement des albums complets), voilà le pari que s’est lancé Blendle et qui fait tout doucement son petit bonhomme de chemin. Méfiants à l’origine, les éditeurs de presse néerlandais ont donc fini par succomber au charme de ce modèle économique qui leur apporte, au final, un revenu supplémentaire. Sur chaque article facturé, la start-up reverse en effet 70% de la somme aux éditeurs, prenant 30% de commission au passage. “C’est un véritable win-win, poursuit Thomas Smolders. Nous avons montré qu’il y a une nouvelle catégorie de consommateurs à satisfaire et ça, c’est le plus important. Notre modèle n’est pas meilleur qu’un autre, il est tout simplement différent et il peut coexister avec d’autres modèles économiques qui sont déjà en place”.

Des ambitions internationales

L’internaute est-il néanmoins prêt à payer pour de l’info “en tranches” après des années de surf généralement gratuit ? Si certains spécialistes doutent du business model de Blendle à une époque où l’offre gratuite est surabondante (surtout en anglais), d’autres se montrent en revanche plus réceptifs à l’audace de telles initiatives. Pour l’expert français du monde des médias Jean-Clément Texier, les contenus à valeur ajoutée doivent en effet redevenir payants et l’offre proposée par Blendle est, à ses yeux, un électrochoc positif. “Les journaux ne vont pas se transformer en vendeurs au détail, mais il me paraît évident qu’il faut des facilitateurs, note le PDG de la Compagnie financière de communication. Aujourd’hui, le consommateur a une réticence à perdre du temps pour trouver le contenu qui lui convient dans un environnement qui ne répond pas à ses préoccupations. L’achat à l’unité va donc dans ce sens et c’est une réponse à ce qu’on appelle l’infobésité. Mais Blendle n’est pas pour autant LE nouveau modèle économique que tout le monde attend. C’est une offre habile de prestation de service supplémentaire qui s’inscrit dans le courant de l’histoire”.

Porté par 32 employés et valorisé autour de 13 millions d’euros, Blendle nourrit aujourd’hui des rêves de développement à l’international. D’ailleurs, dans son offre, on trouve déjà l’hebdomadaire britannique The Economist et trois autres titres qui nous sont familiers : De Standaard, De Tijd et Humo. Se fondant à merveille dans un kiosque qui, jusqu’à présent, est quasi exclusivement néerlandophone, ces trois titres flamands pourraient être bientôt rejoints par d’autres journaux et magazines belges. Le responsable de la stratégie internationale de Blendle affirme en effet avoir déjà rencontré tous les éditeurs flamands de Belgique et remplit peu à peu son agenda de rendez-vous avec leurs homologues francophones. Chez Roularta, propriétaire entre autres des magazines Knack, Le Vif et Trends-Tendances, on se dit d’ailleurs intéressé par le concept et des négociations sont actuellement en cours pour ajouter, dans un premier temps, un titre du groupe belge sur le site néerlandais. Si tout va bien, cela pourrait se concrétiser au printemps prochain : “Le système d’achat d’articles à l’unité est intéressant pour attirer un public qui ne connaît pas nécessairement nos magazines et en particulier les jeunes qui ont été élevés au numérique et qui sont difficiles à séduire, explique Jos Grobben, éditeur des magazines news et business chez Roularta. Pour nous, Blendle est un service supplémentaire qui peut s’avérer intéressant puisque c’est l’occasion d’augmenter notre visibilité et de faire connaître nos marques. Cela peut même représenter, pourquoi pas, une porte d’entrée pour vendre de nouveaux abonnements”.

A plus long terme, Roularta pourrait même afficher la majorité de ses titres belges et français sur ce kiosque numérique puisque le groupe de presse édite toujours les hebdomadaires L’Express et L’Expansion dans l’Hexagone. Ce qui collerait d’ailleurs avec les ambitions de Blendle qui a également pris son bâton de pèlerin pour convaincre progressivement d’autres éditeurs en France, en Allemagne et dans les pays scandinaves de rejoindre sa plateforme.

L’effet boule de neige

Promoteur d’une nouvelle façon de consommer l’information, Blendle n’est pas isolé dans sa démarche singulière. En France, un nouvel acteur du monde des médias vient ainsi d’annoncer sa venue sur le marché qui sera véritablement opérationnelle le 15 janvier prochain. Baptisée JolStore, l’initiative se présente comme “la première plateforme internationale d’achat de contenus à l’unité” où l’on trouvera aussi bien des articles de presse que des photos, des sons radio et des vidéos “pour des sommes extrêmement modiques”. Initiateur du projet, le financier Christian Ciganer dresse le constat suivant : “Contrairement à tous les lieux communs selon lesquels la presse péricliterait sous le poids d’une demande insuffisante face à une offre gratuite trop abondante, la crise de la presse est avant tout une crise de l’offre. Pour résoudre cette crise de l’offre, les journalistes sont les mieux placés. Il appartient donc de leur rendre la main”. Voilà pourquoi JolStore se présente comme un espace de publication rémunérée non seulement pour les plus grands acteurs de la presse mondiale, mais aussi pour les journalistes indépendants qui peuvent ainsi s’offrir un accès direct aux lecteurs, auditeurs et autres téléspectateurs.

A côté de ces initiatives qui s’inscrivent dans “la logique iTunes”, d’autres plateformes médiatiques proposent enfin un accès aux contenus journalistiques dans une formule qui fait davantage penser à Spotify en musique ou à Netflix en télévision. Moyennant un abonnement fixé à 9,90 euros par mois, les sites français Relay.com et néerlandais eLinea.nl proposent en effet à l’internaute une option “lisez tout ce que vous voulez” dans un catalogue de titres plutôt bien fourni. De là à se demander lequel de ces deux business models finira par l’emporter, la question ne doit visiblement pas obséder les éditeurs de presse, si l’on en croit Jean-Clément Texier. “La numérisation débouche sur une ‘morcelisation’ du savoir, conclut cet expert des médias. Avec le développement des moteurs de recherche et plus particulièrement de Google, les médias ont perdu le monopole de l’agrégation. Il est temps que les éditeurs acceptent de se débrider sur le concept de la vente de l’unité et sur d’autres formules proposées par des prestataires de service car ils vont finalement se rendre compte que ces nouveaux canaux représentent de la consommation supplémentaire”. Et c’est sans doute ce dont ils ont le plus besoin pour stopper l’inexorable érosion des ventes.

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