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Optimisation fiscale : une pratique aussi ancienne que l’impôt

L’optimisation fiscale, c’est le fait de choisir entre plusieurs solutions, à l’intérieur d’un pays ou sur le plan international, celle qui entraînera la charge fiscale la plus réduite.

A entendre la quasi-totalité des hommes politiques européens, ceux qui s’y livrent paraissent pour le moins être de mauvais citoyens. Ils semblent ignorer ou feindre d’ignorer que l’optimisation fiscale est aussi ancienne que l’impôt et qu’elle s’est toujours révélée comme le comportement naturel des contribuables face à une taxation excessive.

Lorsqu’un automobiliste belge roule de Bastogne vers Arlon, il passe par Martelange. Sur le trottoir gauche, et seulement sur ce trottoir, en territoire luxembourgeois, de nombreuses stations-services offrent du carburant, de l’alcool et des cigarettes à des prix défiant toute concurrence belge, pour la seule raison que les impôts luxembourgeois sur ces produits sont nettement plus bas qu’en Belgique. Celui qui choisit de traverser la route pour, en toute légalité, remplir son réservoir et faire ses emplettes, fait de l’optimisation fiscale. Le comportement paraît tellement naturel que, sur le trottoir belge, il n’y a plus aucune station-service : personne ne choisira jamais, entre deux solutions légales, celle qui implique de payer l’impôt le plus élevé.

Lorsqu’une multinationale décide de s’implanter au grand-duché de Luxembourg plutôt qu’en Belgique, son intention (qui est d’économiser l’impôt) est exactement la même que celle de l’automobiliste qui traverse la chaussée pour acheter son carburant là où il est le moins cher. Elle n’est pas moins civique que celle de l’automobiliste qui préfère éviter une dépense qui est, suivant la définition qu’en donne la Cour de cassation, “sans contrepartie directe”.

Les hommes politiques européens semblent ignorer que l’optimisation fiscale est aussi ancienne que l’impôt et qu’elle s’est toujours révélée comme le comportement naturel des contribuables face à une taxation excessive.

Si les multinationales recourent à des méthodes plus complexes que simplement traverser la chaussée comme le fait l’automobiliste à Martelange, c’est simplement parce qu’elles sont soumises à des règles fiscales plus complexes que lui et que, pour atteindre le même objectif que lui, elles doivent dès lors recourir à des procédés plus sophistiqués.

L’intention d’éviter légalement l’impôt a existé de tous temps et partout. Elle ne devient une obsession – comme elle l’est aujourd’hui dans le pays surtaxé qu’est la Belgique – que lorsque l’impôt est perçu comme excessif. Des historiens rappellent ainsi qu’au troisième siècle de notre ère, l’Empire romain ne cessait (sans doute parce qu’il était décadent) d’augmenter les impôts et d’alourdir les peines frappant les fraudeurs, et que par conséquent, les contribuables imaginaient les astuces les plus extrêmes pour y échapper. Si le travail était trop taxé, on cessait de travailler jusqu’à ce que le pouvoir oblige de travailler pour payer l’impôt. Certains Romains ont même imaginé l’astuce consistant à devenir esclaves, un statut peu réjouissant mais qui présentait l’avantage d’être exonéré d’impôts. C’était aussi de l’optimisation fiscale… et cela anticipait la vision du philosophe américain Robert Nozick, pour qui les impôts sur le revenu de son travail, au taux d’aujourd’hui, sont une forme d’esclavage.

C’est encore de l’optimisation fiscale que le comportement d’innombrables chinois du cinquième siècle qui, en masse, choisirent d’être moines bouddhistes pour la seule raison qu’à ce statut était liée une exonération fiscale accordée par l’Empereur. Entre l’année 477 et l’année 534, le nombre de moines passa ainsi de 67.000 à… 2 millions. C’est d’autant plus remarquable qu’outre les inconvénients liés à la condition de moine, le choix de ce statut comportait un risque : un souverain précédent de la même dynastie Wei, du Nord, avait eu le caprice d’exterminer tous les moines bouddhistes sur son territoire.

Ceux qui trouvent immoral d’éviter l’impôt, même en se conformant à la loi, doivent d’abord se demander si la loi fiscale est bien morale. A supposer qu’elle le soit, il faut se poser la question, lorsqu’un contribuable a le choix entre deux règles fiscales (par exemple, celle de deux pays voisins), de savoir pourquoi la règle fiscale la plus lourde serait plus morale que la légère. Pourquoi serait-il plus moral de faire payer aux automobilistes des accises belges sur le carburant plutôt que des accises luxembourgeoises sur le même produit? Ou encore pourquoi serait-il plus moral de percevoir l’impôt des sociétés au taux belge, le plus élevé d’Europe, que de payer l’impôt dû conformément à la loi d’un autre pays, exigeant moins de ses sujets?

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