Rudy Léonet, le management à l’état “Pure”

Ce 1er avril, Pure FM, la radio “jeune” de la RTBF, a donc fêté ses 10 ans d’existence. A sa tête, Rudy Léonet, un manager “adulescent” et bien ancré dans l’air du temps. Portrait

C’est l’histoire d’un enfant unique. Un enfant qui, il y a tout juste 10 ans, est devenu le patron de la radio “jeune” de la RTBF et qui cultive jalousement son côté Peter Pan : l’envie de ne pas (trop) grandir, l’envie de faire autrement. Et c’est parce qu’il était unique, précisément, que ce gamin de Moustier-sur-Sambre est tombé dans la marmite radiophonique, il y a 40 ans déjà…

Flash-back. Nous sommes au milieu des années 1970. Rudy Léonet a presque 15 ans et c’est parce qu’il n’a ni frère ni soeur que cet ado solitaire passe ses soirées à écouter la radio. Station de prédilection : Europe1 avec les émissions de Gonzague Saint Bris et surtout de Michèle Abraham dont il savoure l’art de disséquer les chansons et leur contexte de création. Son avenir professionnel est tout tracé : il veut, lui aussi, raconter des histoires de disques à la radio et il n’aura d’ailleurs aucun mal à convaincre ses parents de rejoindre l’Institut des arts de diffusion (IAD) dès la fin de ses humanités.

Durant ses études supérieures, il bascule, comme il dit, vers “the dark side of the radio“, cette catégorie de “pestiférés” (sic) qui croyaient en l’avenir de la variété dans le transistor, alors que la majorité des étudiants inscrits ne rêvaient que de “création sonore”. Parmi ses potes de l’époque, deux grosses pointures : le critique musical Piero Kenroll et feu Jean-Pierre Hautier rencontré à l’IAD et qui, comme lui, s’évertuera à donner un nouveau souffle au média radiophonique. “Il me manque énormément, tout comme ses précieux conseils”, confie aujourd’hui le patron de Pure FM, le trémolo dans la voix.

Au bas de l’échelle

L’arrivée de Rudy Léonet à la RTBF tient presque du hasard. Pour son mémoire de fin d’études dédié à la programmation de musique de variété à la radio, le jeune homme choisit d’interviewer Marc Moulin, alors directeur de la mythique Radio Cité, la première station musicale de la RTBF inspirée par la FM américaine. Dès la fin de l’entretien, le patron propose à l’étudiant de venir travailler le samedi pour répondre au téléphone lors des concours lancés sur les ondes. Rudy Léonet ne quittera plus jamais le service public. “Je dis toujours que, dans ce métier, ne pas avoir de chance est une faute professionnelle, ironise l’intéressé. Il faut savoir saisir les opportunités au bon moment et ne pas avoir peur de commencer au bas de l’échelle. Cela permet de mieux comprendre les choses. En fait, c’est exactement comme au Quick : si on n’a pas débuté sa carrière en faisant des frites, on ne pourra jamais comprendre, en tant que manager, les préoccupations du mec qui fait les frites.”

Fraîchement diplômé de l’IAD, le jeune recruté multiplie les piges et s’incruste tout doucement dans les studios de la RTBF. Il devient l’assistant de production de Marc Moulin, s’empiffre d'”anecdotes incroyables” à ses côtés et rejoint finalement Radio 21 au milieu des années 1980, station fondée peu avant pour offrir un concept music & news, sept jours sur sept, aux auditeurs du service public. De programmateur, son rôle évoluera de plus en plus vers celui d’animateur et de journaliste musical, jusqu’à ce jour du 1er avril 2004 où Radio 21 cessera d’émettre pour s’effacer devant une offre double et mieux ciblée : Pure FM pour un public “jeune” et Classic 21 pour des auditeurs plus mûrs et plus rock.

Directeur malgré lui

Pas vraiment intéressé au moment de l’appel à candidatures pour diriger cette nouvelle radio “énergie” de la RTBF (nom de code de l’époque), Rudy Léonet rejoindra cependant l’aventure dans la dernière ligne droite, sur l’insistance de plusieurs acteurs du monde politique et culturel qui soutiennent alors sa conception plus pointue d’une radio “jeune” de service public. Et, contre toute attente, l’outsider sortira finalement vainqueur de la compétition parmi les 23 candidats à la direction de Pure FM.

Si l’intéressé ne se dévoile pas sur ses précieux appuis de l’époque, il ne cache pas en revanche ses amitiés, qui sont plutôt à gauche sur l’échiquier politique. Ami intime de la coprésidente d’Ecolo Emily Hoyos et de la sénatrice PS Marie Arena (elles étaient toutes deux présentes aux 10 ans de Pure FM fêtés le 14 mars aux Pias Nites), Rudy Léonet est également proche du ministre wallon cdH Carlo Di Antonio, connu pour être aussi l’organisateur du Dour Music Festival.

Le jeune quadra est donc soudainement propulsé directeur d’une toute nouvelle chaîne de radio avec une trentaine d’employés à gérer, sans aucune expérience dans le management. Le défi est énorme, mais le nouveau boss s’accroche, écoute, s’entoure et bénéficie surtout du précieux conseil des anciens. Ses secrets ? L’audace et une grande curiosité intellectuelle. “Quel que soit le domaine dans lequel un problème surgit (financier, technique, ressources humaines, etc.), la solution doit toujours être créative et ça me plaît”, lâche Rudy Léonet.

Une marque forte

Dix ans plus tard, Pure FM a fait son trou dans le paysage radiophonique belge. Certes, la station ne pète pas des flammes en termes d’audience (3,3 % de parts de marché dans le dernier CIM contre 8,4 % pour sa grande soeur Classic 21), mais la marque a néanmoins réussi à imposer un style et un ton immédiatement reconnaissables. “Pure FM est devenu plus qu’une simple radio sur la FM, tranche Yves Gérard, general manager de la RMB, la régie publicitaire de la RTBF. C’est aujourd’hui un concept qui fédère une vraie communauté de fans en jouant sur la socialisation, la ‘viralisation’ et la proximité. La chaîne a aujourd’hui une image de trendsetter et de découvreur de talents qui plaît aux annonceurs.”

Forte de ses 70.000 fans sur Facebook (un record pour une radio de la RTBF), Pure FM joue la carte du 2.0 pour marquer sa différence : présence accrue sur le Net avec une nouvelle webradio baptisée Pure2 et, surtout, un projet novateur nommé PureVision, à savoir un studio flambant neuf équipé de six caméras pour mieux valoriser l’image de la station sur les réseaux sociaux, mais aussi pour promouvoir les sessions acoustiques des artistes belges. “Ce qui va sauver ou légitimer l’existence des radios dans le futur, c’est l’ancrage local, surtout pour un petit pays comme le nôtre, prédit Rudy Léonet. C’est là que se trouve aussi notre mission de service public et je pense que les radios musicales devront, à l’avenir, trouver le bon équilibre entre le contenu globalisé et les talents locaux.”

Un faux cool ?

“Brillant”, “drôle”, “érudit”, “hyper-réactif”, “visionnaire”, “monstre de radio doté d’une capacité d’improvisation extraordinaire”… Les qualificatifs ne manquent pas au sein de ses troupes pour rendre hommage au patron de Pure FM. Mais l’homme, évidemment, n’a pas que des bons côtés. A la RTBF, on le dit aussi volontiers “autoritaire”, “dictatorial”, voire “parano”. “Je sais que j’ai la réputation d’être un faux cool, reconnaît Rudy Léonet, mais il est parfois nécessaire d’élever la voix. En tout cas, j’essaie d’être pédagogue et j’explique toujours mes choix.”

“Malgré ses concessions sur la programmation et bien que Pure FM soit devenue plus mainstream, il garde une légitimité et reste au-dessus du lot, observe un collaborateur de la chaîne. Rudy Léonet est parvenu à rendre la marque sexy auprès des annonceurs et à cultiver cette image de branché.” Un branché accro au micro (il anime toujours une émission hebdomadaire sur Pure FM) doublé d’un passionné de musique, bien évidemment.

Ce père de quatre enfants (âgés de 23 à 4 ans) a d’ailleurs tâté du disque avec son groupe La Variété au début des années 1990 et il s’est discrètement illustré avec l’écriture de quelques chansons pour Jeff Bodart, Das Pop et surtout Indochine dont il est très proche. “Je n’ai jamais rencontré de ma vie une personne aussi droite et sincère, bourrée d’émotion et de sensibilité, dont l’énergie et l’analyse soient si immédiates et réfléchies”, confie le chanteur Nicola Sirkis à propos de Rudy Léonet, qui a modestement aidé à relancer Indochine lorsque le groupe était dans le creux de la vague. Il est vrai que ces deux amis ont un sacré point commun : ces grands enfants cultivent tous deux, l’air de rien, leur côté Peter Pan.

Frédéric Brébant

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