La discrète éminence grise des DRH

© Belga

Même s’il s’en défend publiquement, Thierry Nollet serait bel et bien, dans l’ombre, l’un des conseillers de Carrefour dans le cadre de sa restructuration en Belgique. Mais qui est vraiment cet ancien syndicaliste devenu l’éminence grise des directeurs des ressources humaines ?

Même s’il s’en défend publiquement, Thierry Nollet serait bel et bien, dans l’ombre, l’un des conseillers de Carrefour dans le cadre de sa restructuration en Belgique. Mais qui est vraiment cet ancien syndicaliste devenu l’éminence grise des directeurs des ressources humaines ?

Costume de bonne coupe, cravate impeccable, lunettes design : Thierry Nollet a tout du cadre d’entreprise dynamique. Si bien qu’on en viendrait presque à oublier que le fils de Michel, ancien patron de la FGTB, fut lui aussi, dans une autre vie, un ardent défenseur des travailleurs. Ce quadragénaire à la stature imposante, au visage anguleux et à la chevelure poivre et sel, que certains anciens “camarades” n’hésitent pas à taxer de “traître”, a bien été durant cinq ans secrétaire général du Setca (le syndicat socialiste des employés et des cadres), responsable du secteur financier à l’échelon fédéral. Un idéaliste de gauche qui aurait inexorablement viréà droite ? Se considérant comme apolitique, l’homme aime rappeler que son “métier actuel n’est guère différent de celui de syndicaliste. Il consiste à assurer la pérennité des entreprises et, par là, le maintien de l’emploi des gens qui y travaillent”. Une manière de dire qu’il continue à défendre les travailleurs. Comme au bon vieux temps. Ou presque.

Un tableau de chasse à faire pâlir n’importe quel patron
Entré chez Generali en 1985 en tant que stagiaire Onem, c’est d’abord chez son deuxième employeur que cet assureur de formation spécialisé en droit des assurances et en sécurité sociale gagnera ses galons syndicaux. Au sein de la compagnie P&V pour être plus précis où, en 1991, il se présente aux élections sociales avant de devenir délégué syndical national. Huit ans plus tard, en 1999, le “fiston” décide de faire le grand saut pour rejoindre la section bruxelloise du Setca. “Mon rôle syndical au sein de P&V m’a permis de me forger une expérience appréciable tant sur le plan des relations collectives que sur celui de la gestion des ressources humaines, note-t-il. J’ai décidé de quitter l’entreprise avec le soutien de mes délégués et affiliés dès le moment où les problèmes criants du secteur imposaient une nouvelle dynamique d’ensemble.”

La même année, il se fait connaître en tant qu’un des acteurs de la dernière grève générale dans le secteur financier et de la conclusion d’un accord sectoriel dans les banques après 22 ans de disette. Il monte ensuite au Setca fédéral, en 2002. Là, il mènera la vie dure aux banquiers et assureurs du pays pendant plusieurs années. Il faut dire que le personnage a du flair, du bagout, de l’énergie à revendre et un caractère bien trempé. Impossible de l’avoir à l’usure. Même après une nuit de palabres, il ne lâche pas le morceau. Son tableau de chasse a de quoi faire pâlir n’importe quel patron puisqu’il a notamment négocié sur le plan social le rachat de la Royale Belge par l’assureur français AXA, les retombées de la fusion entre l’ancienne Générale de Banque et l’ex-CGER (au sein du groupe Fortis), le premier licenciement collectif chez AGF Belgium ainsi que le rapprochement entre Dexia et Artesia. Un gros dossier dans lequel il croisera le fer avec l’ancien patron de Dexia Banque, Axel Miller. “Nous aurions pu devenir amis, lâche-t-il, se souvenant de quelques mémorables passes d’armes avec le banquier. C’est un homme pour lequel je garde une grande estime.”

A l’époque, ne détestant pas la lumière des médias, Thierry Nollet est un des syndicalistes les plus en vue. Au point de déranger dans ses propres rangs ? “J’ai gardé de bons contacts dans les milieux syndicaux”, assure-t-il. Ambitieux, voire aveuglé par le pouvoir susurrent certains, il n’a pourtant pas gardé que des amis au sein de la grande famille syndicale. Opportuniste, imprévisible sont des qualificatifs qui reviennent régulièrement dans la bouche de certains anciens confrères. Exagération ? On se souviendra que la purge qu’il a opérée au sein de la section bruxelloise du syndicat s’est soldée par le départ de son président Albert Faust, décédé depuis lors, avant de déboucher sur une guerre des clans, son éviction de l’organisation et la condamnation de certains acteurs de l’époque en correctionnel. Proche, dit-on, de Mia De Vits, l’ancienne secrétaire générale de la FGTB, l’histoire veut qu’il n’a plus pu compter sur sa protection lorsqu’elle rejoignit, début 2004, la liste européenne du sp.a.

Souvent à la table des négociations
Pour se remettre de cette période difficile, qui le verra changer de vie sur le plan privé et quitter les beaux quartiers de Gand pour s’installer dans un vaste loftà Anderlecht, il choisit de passer du côté des employeurs. “Depuis les affaires du Setca, je n’ai plus les mêmes certitudes, confie-t-il. Une partie de mes idéaux sont partis en fumée.” D’où son arrivée, quelques mois plus tard, au Groupe S, l’un des plus gros secrétariats sociaux du pays. Attiré par son administrateur délégué, Gonzales Stubbe, pour lequel il a un profond respect, il se voit alors confier la direction du département “socio-juridique”. Une reconversion dont il se réjouit toujours. “J’ai la chance de pouvoir travailler dans un groupe en pleine croissance malgré la crise, fait-il remarquer. J’y exerce mon métier de négociateur avec un angle de vue beaucoup plus large. Et puis, mon confort de vie s’est nettement amélioré. Je passe encore des nuits blanches à négocier. Mais moins souvent qu’avant. Bref, j’ai trouvé chaussure à mon pied.”

Son rôle ? A la tête d’une vingtaine de collaborateurs, essentiellement des juristes, il veille à assurer aux entreprises clientes une sécurité juridique maximale en matière de gestion externalisée des salaires et d’administration du personnel (gestion des fiches de paie, conseils juridiques, formations, audit social, veille législative, etc.). Au-delà de cela, ce négociateur hors pair a développé une activité visant à conseiller les employeurs quant à la stratégie à suivre dans le cadre de discussions avec les partenaires sociaux et les autorités compétentes. Le plus souvent, il se retrouve d’ailleurs à la table des négociations. “Il est capable de déstabiliser ses adversaires et d’imposer ses vues assez rapidement”, juge un observateur privilégié. Avec ses collaborateurs, il assure aussi le suivi d’un plan négocié. Car, “contrairement à toute idée reçue, dit-il, la négociation ne s’arrête pas à la conclusion d’une convention collective”. Résultat : le Groupe S a déjà dispensé ses conseils dans le cadre de plus de 350 restructurations au cours des cinq dernières années. Il aiderait même aujourd’hui Carrefour Belgique dans le cadre de son plan de restructuration. Info ou intox ? “Je m’étonne que tout ceci soit liéà ma petite personne”, se borne-t-il à indiquer avant d’ajouter qu'”avec ses 15.000 employés, Carrefour est en Belgique un des plus gros clients du Groupe S et qu’il ne serait donc pas anormal que nous l’assistions si ce dernier venait à en exprimer le besoin. Si tel était le cas, le Groupe S et moi-même ferions en sorte de préserver une activité durable et rentable en Belgique. Pour la simple et bonne raison qu’un employé qui quitte Carrefour Belgium, c’est une fiche de paie en moins pour le Groupe S.”

La communication dans le sang Seule certitude : l’homme est un excellent – habile, diront certains – communicateur. Son expérience des radios libres (il a tenu le micro de Radio Campus, la petite radio de l’ULB, pendant plusieurs années), son implication dans le monde du rock alternatif, etc. n’y sont certainement pas étrangères. Doté d’un carnet d’adresses fourni, il sait utiliser la presse ainsi qu’un large réseau de relations tissé au fil des années pour, le moment voulu, faire passer des messages. Mais uniquement pour ce qui peut être dit, respectant toujours la parole donnée sur ce qui doit rester confidentiel.

C’est que de l’avis général, l’homme est reconnu pour son intégrité et son attitude constructive. Même si certains le trouvent dur, un brin autoritaire, sa démarche visant à rechercher des solutions à travers le consensus entre employeurs et syndicats force le respect. “Il a cette grande faculté de pouvoir s’adapter à ses interlocuteurs et aux circonstances imposées par la situation pour en retirer des pistes de solutions profitables à l’ensemble des parties”, estime un patron pour qui le fait qu’il ait aussi travaillé en entreprise est un réel plus. L’homme est-il pour autant métamorphosé ? “Moi qui ai été un laïque convaincu, cela fait un an que je lis la bible et essaye de m’en inspirer.” Une nouvelle spiritualité qui n’empêche pas ce père de trois enfants d’être amateur de bonne chère et passionné d’£nologie. Un sujet sur lequel il est intarissable.

Sébastien Buron

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