Bellens : le Dr Jekyll et Mr Hyde de Belgacom

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Ses amis le décrivent comme une personne drôle, attentive, sensible. En dehors de ce cercle, les commentaires sont diamétralement opposés. D’aucuns reprochent à Didier Bellens son manque d’intelligence émotionnelle, entre autres. L’homme ne laisse en tout cas pas indifférent. Portrait de celui qui vient de mourir à 60 ans.

Portrait réalisé en mars 2008

“Je suis très sensible”, avoue Didier Bellens. Ces mots étonnent tant le patron de Belgacom a la réputation d’être un homme froid voire brutal.

Didier Bellens collectionne les inimitiés et les témoignages négatifs à son sujet sont – bien plus que chez d’autres patrons – très nombreux. Tout le monde s’accorde cependant sur un point : l’homme est doté d’une grande intelligence. Il comprend vite les enjeux. Si un dossier n’est pas clairement ficelé, ses interlocuteurs l’apprendront à leurs dépens. Les présentations internes, de manière générale, ne peuvent d’ailleurs excéder dix pages, plus une page de résumé. “Je suis un homme pressé, reconnaît Didier Bellens. Dès que je sais où je veux aller, le chemin à emprunter m’apparaît comme une évidence. Et forcément, je court-circuite et je perds des personnes en cours de route…”

“Je veux m’amuser”

Le moteur du parcours professionnel de Didier Bellens ? “Je veux m’amuser”, résume cet homme qui recherche également le défi intellectuel. Que ce soit dans l’action, dans la mise sur pied de nouveaux projets ou d’accords, notamment avec les syndicats. “Ce qui m’excite avant tout, c’est le lancement de projets, ajoute-t-il. Lors de la mise en oeuvre de Belgacom TV, par exemple, j’ai pris beaucoup de plaisir à déterminer ce qu’on allait offrir, en essayant d’être le plus créatif possible.” Il en va de même pour le projet e-health et l’initiative lancée lors du voyage royal en Irlande à l’automne dernier. En quelques coups de fil, une première réunion a été fixée, les différents acteurs – chercheurs de plusieurs universités et responsables de Belgacom – ont été réunis à son initiative. “C’est un homme qui a une vision très claire des objectifs à atteindre, estime Véronique Halloin, vice-recteur à la recherche et au développement de l’ULB et amie de longue date de Didier Bellens. Nous avons parfois des réunions de 20 minutes très efficaces et qui abordent les points clés.”

L’homme est capable de déléguer, mais il assure toujours un suivi serré. “Lors du lancement de Belgacom TV, je débutais chaque comité exécutif par ce projet, se rappelle Didier Bellens. Mes collègues tiraient la tête pendant dix minutes… mais j’estimais que tout le monde devait être au courant des développements. A présent, nous abordons le sujet une fois par trimestre ou quand c’est nécessaire.”

Autre domaine qu’il aime particulièrement : simplifier – et vendre – des produits technologiquement très complexes. “Nous investissons beaucoup de temps à la simplification de l’utilisation du produit, insiste-t-il. Les aspects technologiques sont très complexes, mais l’idée de base est toujours simple. C’est elle qu’il faut vendre, d’abord en interne puis au client”

Pour percevoir les nouvelles tendances et demandes du marché, Didier Bellens participe de temps en temps à des réunions avec les responsables ICT et les CEO de certains grands clients. “C’est l’occasion de comprendre leur évolution et leurs besoins technologiques”, apprécie Didier Bellens qui aime se rendre également sur “son” terrain.

Le patron de Belgacom débute ses journées de travail vers 8 h. Dans la voiture, il lit quelques journaux, dont le Financial Times, La Libre Belgique et De Standaard tout comme la revue de presse ICT qui reprend les articles du secteur, en Belgique et à l’étranger. Vers 9 h, il parcourt son courrier et ses mails. Le même exercice est prévu dans l’après-midi. Des réunions ponctuent la journée. Il y a évidemment les rendez-vous incontournables comme le lundi matin, consacré au comité de direction. Ou la matinée du vendredi, destinée aux projets particuliers et l’occasion de nombreux brainstormings. Enfin, chaque jeudi matin, il rencontre le président de son conseil d’administration et, une fois par mois, la matinée du jeudi est consacrée aux commissions paritaires.

Côté pile : bon camarade en comité restreint

Pour décompresser, “rien de mieux que de voir mon fils ramper à quatre pattes, dit-il sans une once d’hésitation. C’est très rafraîchissant !” Il veille également à passer régulièrement dans la salle de sport qu’il a installée à son domicile. Pendant une demi-heure – “le temps que chauffe le sauna” – il utilise le rameur, les poids ou le vélo, en regardant Belgacom TV. “J’en sors totalement requinqué.” Il apprécie aussi volontiers se rendre à un concert à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth ou à l’opéra. “Je ne me lasse pas des mises en scène des grands opéras classiques, explique cet habitué de la Monnaie. C’est un spectacle complet qui allie la danse, le chant et une mise en scène parfois renversante.”

Ses vacances, il les passe en famille et, souvent, avec un petit cercle d’amis. On y retrouve notamment Pierre Drion, associé chez Petercam qui est notamment intervenu dans l’opération de Telindus, Eric De Keuleneer, directeur de Credibe et professeur à la Solvay Business School ou encore Véronique Halloin, vice-recteur à la recherche et au développement de l’ULB. Il les côtoie souvent pendant l’été, lors de séjours dans le Nord de la France ou sur le voilier de Michel Helbig de Balzac, le mari de Véronique Halloin. “Didier est un des membres les plus actifs sur le bateau, constate cette dernière. Il veille aux voiles et se débrouille bien à la barre. Nous rions également beaucoup.” D’autres voyages l’ont marqué comme ceux au Népal, au Pérou, en Libye ou encore des trekkings au Viêtnam et dans l’Atlas marocain. “Nous logions sous tente, jouions au rikiki, racontions des blagues alors qu’il gelait dehors”, se rappelle un de ses amis.

Côté face : méprisant et cassant en société

Dans de plus grands groupes, par contre, le contact passe plus difficilement. Ainsi, lorsque pour ses 50 ans, son épouse lui avait fait la surprise de réunir ses meilleurs amis, il est resté muet alors qu’on lui proposait de dire quelques mots. “Il a un réel handicap social”, estime une personne de son entourage. Un avis partagé par nombre de nos interlocuteurs. “C’est un homme d’une grande intelligence, certes, mais Didier Bellens manque cruellement d’intelligence émotionnelle”, rapportent plusieurs sources.

Au sein de Belgacom, mais également lors de réunions avec des gens extérieurs, les exemples sont nombreux où ses interlocuteurs ont senti un réel mépris de sa part. Soit il ferme les yeux – tout le monde en vient à penser qu’il dort – lors de présentations, soit il adopte un ton très méprisant. En interne, il lui arrive également de descendre en flèche un collaborateur devant des témoins. Et lorsqu’il arrive avec 45 minutes de retard devant un parterre de 700 membres du personnel, il ne présente aucune excuse. Par contre, il lui est arrivé de critiquer vertement les membres de son conseil d’administration lors d’une réunion qui regroupait les hauts cadres. Une attitude qui n’a pas amélioré ses relations, déjà tendues, avec le CA. “Il ne saisit pas toujours qu’il est heurtant ou cassant”, estime un ami. L’intéressé le concède : il préfère les événements qui regroupent quelques patrons ou les dîners en petit comité.

“Je déteste la médiocrité”

A sa table, il y aura toujours de bons vins, des Bordeaux de préférence. “J’ai une cave qui se défend, assure Didier Bellens. J’ai goûté aux bons vins lors de mon passage au sein du groupe d’Albert Frère.” Il est aussi un fin bec. Belgacom dispose, dans les tours, d’un remarquable restaurant baptisé Sky Club. “Si on décide d’avoir un restaurant, soit on le fait très bien, soit on ne le fait pas”, estime-t-il. Certains échos rapportent que lorsqu’il a déjeuné à la cantine du personnel, il n’a pas résisté à commander un plat du Sky Club. L’effet, auprès du personnel, s’est révélé des plus négatifs. S’il déjeune à l’extérieur, on le rencontrera régulièrement à L’Ecailler du Palais Royal. Mais l’homme fait attention à sa ligne et craque rarement pour un dessert. “J’étais, précédemment, un grand consommateur de café, je suis à présent passé au thé vert, explique-t-il. Ce qui ne m’empêche pas de prendre un espresso après le déjeuner.”

Différents interlocuteurs le voient plutôt comme un homme impulsif, qui sait se montrer brutal et dont les critiques sont alors souvent mal perçues. “J’essaye d’être clair sur ce que je pense pour éviter toute ambiguïté”, rétorque Didier Bellens, surpris qu’on puisse le trouver brutal. Certains comportements l’irritent lui aussi particulièrement : “Je déteste la médiocrité et les changements de règles en cours de route.” Ce qui complique ses relations, parfois difficiles, avec certains hommes politiques… “Il n’a pas le sens du compromis, concède un proche. Cela le dessert en Belgique. Il éprouve de grandes difficultés à céder sur certains points pour arrondir les angles.” Une attitude qui ne l’a pas empêché de diriger Belgacom.

Nathalie van Ypersele

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