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Même devenu très puissant, vous vous retrouverez misérable…

Il assure avoir subi une “campagne de lynchage médiatique” et estime que “les journalistes adorent détruire ceux qu’ils ont mis la veille sur un piédestal”. Non, ce n’est pas un ex-CEO du secteur belge des télécoms qui s’exprime ainsi, mais Jean-Marie Messier, l’ancien patron du groupe français de médias Vivendi, qui comparaît en ce moment devant la cour d’appel de Paris.

Les Guignols de l’info, l’émission satirique de Canal+, avaient fait de J2M le célébrissime J6M, pour Jean-Marie Messier, Moi-Même, Maître du Monde. Il reste probablement le cas le plus emblématique de grand patron presque monté au ciel avant de descendre aux enfers. A l’image d’un cours de Bourse ayant fusé de 34 à 137 euros en 28 mois, pour s’écrouler à 11 euros (-92 %) après une nouvelle période de 28 mois. La folie des grandeurs financée avec une montagne de crédits, un château de cartes qui s’écroule quand survient la crise du secteur technologique. Analogie avec une grande banque belge devenue 100 % française la semaine dernière : ce n’est pas pour mauvaise gestion, une notion par trop subjective, que J2M se retrouve au banc des accusés, mais pour l’information jugée trompeuse donnée au marché. Même devenu très puissant, vous pourrez vous retrouver misérable, aurait pu écrire Jean de La Fontaine dans une variante des Animaux malades de la peste.

Comment, sur ce plan, ne pas faire le parallèle avec Didier Bellens, longtemps porté aux nues pour ses qualités de manager, mais ayant ensuite fait preuve d’une telle désinvolture qu’il s’est mis tout le monde à dos ? Et qui s’en va sans gloire, sous l’opprobre général. On a été jusqu’à lui reprocher des peccadilles au cours des dernières semaines, après lui avoir pardonné des frasques indignes, de l’éviction capricieuse de ses plus fidèles lieutenants à la nomination aux plus hautes fonctions de ses très proches collaboratrices. Un parfum de Roi-Soleil à Versailles… Perdre le sens des réalités est un danger qui guette toute personne trop longtemps encensée ou qui n’est plus confrontée à la contestation. Un grand patron prend des risques en éliminant ses contradicteurs ! Les souverains du Moyen Age ne toléraient-ils pas un fou du roi ?

Cette perte de repères n’est donc pas propre aux requins de la finance ayant nourri la crise de 2008, pas plus d’ailleurs qu’au 21e siècle. Notre pays en a fait la douloureuse expérience en 1988, avec l’OPA sur la Société générale de Belgique. Anecdote : son dernier gouverneur a toujours refusé une interview à Trends-Tendances, magazine sans doute trop critique à une époque de presse économique servile. Et indigne de lui ? Il fut par contre heureux d’accueillir notre prestigieux confrère Business Week… qui narra ensuite l’exotique saga d’un “club de barons découpant leurs coupons”. Oups !

Ce ne fut là qu’amuse-bouche avant le raid de Carlo de Benedetti et le “sauvetage” par les Français de Suez. La Vieille Dame, comme on appelait alors le holding avec un subtil mélange d’affection et de mépris, s’imaginait aussi pérenne qu’invincible. Ce véritable Etat dans l’Etat fut pourtant balayé en moins de deux et ses dirigeants ne firent même pas de la figuration dans la tragi-comédie en plusieurs actes qui scella son sort. Isolé dans sa tour d’ivoire, ce “club de barons” vivait encore dans les années 1960 et n’avait rien compris au capitalisme des années 1980. C’est en vain que Trends-Tendances joua alors le fou du roi…

GUY LEGRAND

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