Immobilier: séduisants, ces prix record…
Le marché immobilier a atteint un pic pendant la pandémie. Pour les investisseurs, le moment est-il idéal pour vendre? C’est qu’il s’agit aussi d’échapper à la réforme fiscale qui s’annonce et au durcissement des règles en matière d’énergie…
“C’est vrai, en termes nominaux, les prix immobiliers sont en hausse depuis un certain temps. Mais il faut nuancer cette hausse”, répond Sven Damen, économiste spécialisé dans l’immobilier lié à l’Université d’Anvers. Première observation: on parle donc bien d’une hausse des prix nominaux. L’évolution des prix réels, qui incluent l’inflation, est beaucoup plus modérée. “L’indice des prix hédoniques montre même une baisse des prix réels entre 2008 et 2016”, poursuit Sven Damen. Cet indice des prix “hédoniques” tient compte des caractéristiques de biens vendus (comme la taille, la finition et la situation) et brosse ainsi un portrait plus fidèle de l’évolution réelle de la valeur des biens en question.
Il peut devenir intéressant de vendre après 10 ans.”
Geert Berlamont (Dewaele)
Deuxième nuance: ces hausses des prix coïncident parfaitement avec l’évolution des capacités d’emprunt. “Les revenus ont augmenté, rappelle Sven Damen. Mais simultanément, les taux baissent depuis des années. Une baisse des taux d’un point de pourcentage accroît la capacité d’emprunt de 10 points de pourcentage. Et l’extension du bonus logement en Flandre en 2015 a également accru la capacité d’emprunt. Pour résumer: cette hausse des prix s’explique. Quand ceux-ci augmentent plus rapidement que la capacité d’emprunt, on peut y voir une forme de survalorisation. Et aussi un indice de détérioration de l’accessibilité à la propriété. Mais qu’observons-nous sur la période de 2008-2017? Que l’accessibilité s’est en fait améliorée. Elle s’est juste stabilisée en 2018 et 2019.”
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Inélasticité de l’offre
C’est alors qu’a frappé la crise sanitaire. “A partir de 2020, notre modèle montre subitement une survalorisation, poursuit Sven Damen. Et celle-ci est manifestement liée à la crise sanitaire. Après le confinement, on a clairement assisté à une ruée sur l’immobilier. Il en a résulté une forte pression sur les prix.” Laquelle s’explique par l’inélasticité de l’offre qui caractérise le marché immobilier: une augmentation de la demande et/ou des stimuli du côté de la demande ont rapidement un fort impact sur les prix. “Nous calculons le rapport entre le prix de vente réel et le prix initialement demandé sur la base des données fournies par le réseau d’agents ERA. Ce dernier trimestre, ce rapport s’établissait à 95%, le plus haut niveau de son histoire. Cela montre que les acheteurs ont moins tendance à négocier à la baisse. Dans certains segments ou parties de marché, ils font même des offres supérieures au prix demandé.”
Ce “choc” provoqué par la crise sanitaire est assez spectaculaire. En 2019, le modèle de Sven Damen indiquait encore une sous-valorisation. En 2020-2021, l’indicateur bascule dans une survalorisation de plus de 10%.
Selon la devise boursière “buy low, sell high”, l’investisseur immobilier pourrait y voir le moment idéal pour vendre un ou plusieurs biens de son portefeuille. “Le marché immobilier n’est pas la Bourse, réagit Geert Berlamont, administrateur délégué du groupe immobilier Dewaele. En Bourse, les frais d’entrée et de sortie sont nettement plus faibles. Pour récupérer les frais de transaction d’un achat immobilier avec une plus-value à la vente, il faut tenir compte d’un horizon de deux à cinq ans, parfois davantage. De plus, si l’objectif est de réinvestir l’argent touché, il n’existe actuellement guère d’alternatives à l’immobilier ou à la Bourse. Donc pourquoi vendre un immeuble s’il faut à nouveau faire des frais pour en acquérir un nouveau?”
Faibles risques
L’investisseur immobilier qui a l’art de détecter les quartiers émergents pourrait naturellement échanger son immeuble cher dans un quartier prisé contre deux biens dans un quartier sur le point d’exploser. Et vendre maintenant pourrait également être la bonne stratégie si les prix immobiliers subissaient une grave correction. Mais le marché immobilier est très difficile à “timer“, rappelle Geert Berlamont. “Nous entendons depuis très longtemps que cette hausse ne peut continuer, remarque ce dernier. Et chaque année, nous constatons que les prix ont à nouveau augmenté. Je n’oserais pas affirmer que le sommet est atteint.”
Sven Damen le rejoint: “L’économiste John Maynard Keynes a dit un jour que le marché pouvait rester irrationnel plus longtemps que vous ne pouviez rester solvable. C’est un peu le cas ici. Nous observons certes une survalorisation, mais cela ne suffit pas pour affirmer qu’une correction est irrémédiable. Un scénario comme celui de 2008-2017 me semble plus vraisemblable. Avec des prix qui augmentent moins rapidement que les revenus ou la capacité d’emprunt, ce qui améliore à nouveau l’accessibilité à la propriété. Sans une grave crise qui mettrait en péril l’octroi de crédits, je pense que le risque d’une lourde correction est réduit.”
L’immobilier fera-t-il partie de la future réforme fiscale? Une fois que la clarté sera faite à ce sujet, les Belges pourront en tenir compte dans leurs projets.”
Michel Maus (VUB)
Une “prise de bénéfice” par la vente des biens immobiliers peut cependant être une stratégie intéressante d’un point de vue fiscal, affirme le professeur de droit fiscal Michel Maus (VUB). “Dans la plupart des cas, la plus-value n’est pas imposée. Les briques sont cependant soumises à une taxe sur la plus-value (de 16,5%, Ndlr) si vous vendez dans les cinq ans suivant l’achat. Pour un terrain, le délai est fixé à huit ans. Si vous vendez le terrain au cours des cinq premières années, le tarif atteint 33% ; entre la cinquième et la huitième année, c’est 16,5%. Mais même dans ce cas, il y a de fortes chances que l’investisseur immobilier ne soit pas imposé. La plus-value est en effet calculée sur un prix d’achat corrigé: le prix d’achat est majoré de 25%, puis 5% par année écoulée depuis l’achat. Concrètement: si vous vendez après deux ans, vous devez enregistrer une plus-value de plus de 30% avant d’être imposé.”
Une priorité: analyser son portefeuille
Indépendamment de l’opportunité de vendre, il est utile d’analyser régulièrement son portefeuille immobilier, estime Geert Berlamont. “Je suis toujours étonné de constater que de nombreux propriétaires ne font jamais cet exercice. Pour leurs placements mobiliers, ils reçoivent une foule de rapports de leur private banker. Mais concernant leur immobilier, ils naviguent complètement à vue. Ils sont déjà heureux si aucun problème n’apparaît et si le locataire ne se plaint pas. Pourtant, tous les investissements immobiliers ne sont pas de bons investissements. Quand nous réalisons des analyses de portefeuille pour nos clients, nous en arrivons souvent à la conclusion qu’il est plus sensé de vendre.”
Quelles peuvent être les bonnes raisons de remettre un immeuble sur le marché? “Le premier paramètre est naturellement un rendement médiocre, répond Thomas Verschaeve, responsable de l’immobilier d’investissement au sein du groupe immobilier Dewaele. En fonction du type d’immeuble, de son âge et de sa situation, le rendement variera dans une fourchette de 3 à 6-7%.”
Nous observons certes une survalorisation, mais cela ne suffit pas pour affirmer qu’une correction est irrémédiable.”
Sven Damen (Université d’Anvers)
On peut également décider de vendre quand il devient indispensable de procéder à de lourds investissements dans l’immeuble. “Tôt ou tard, tout propriétaire d’un bien immobilier se trouve à un moment charnière, rappelle Thomas Verschaeve. Faut-il encore prendre en charge ces investissements ou est-il préférable de vendre? Si vous investissez, vous êtes à l’abri pour longtemps. Mais si l’immeuble ne satisfait pas aux exigences actuelles du marché locatif même après une rénovation, la meilleure option est peut-être de vendre. Vous pourrez alors miser sur de jeunes starters qui veulent profiter de la possibilité d’étaler les frais et les efforts de rénovation sur une plus longue période. En outre, de nombreux professionnels se spécialisent dans la rénovation de tels immeubles.”
A partir de quel âge le risque de se retrouver contraint de procéder à des investissements augmente-t-il? “Dix ans est un horizon classique, répond Geert Berlamont. En dessous, un immeuble sera encore considéré comme jeune par les candidats acquéreurs. Il peut devenir intéressant de vendre autour de ce délai: vous pouvez demander un prix élevé, et vous n’avez pas les préoccupations qui accompagnent les investissements dans une rénovation.” “Le durcissement constant des normes et réglementations met cependant ce délai de 10 ans sous pression”, remarque encore Thomas Verschaeve.
Efforts climatiques et menace fiscale
La lutte contre le changement climatique exigera encore des mesures supplémentaires et des normes plus strictes. Au départ, ces mesures ciblaient surtout les nouvelles constructions. Mais les habitations existantes se retrouvent de plus en plus dans le collimateur du législateur. Ce n’est pas illogique, puisque le gros du patrimoine immobilier belge est âgé et mal isolé. A la veille de la conférence sur le climat de Glasgow, la Flandre a, par exemple, décidé d’imposer une obligation de rénovation à ceux qui achetaient un logement énergivore. Cette mesure entrera en vigueur en 2023.
Geert Berlamont ne s’attend pas à ce que cette mesure ou d’autres du même type provoquent un tremblement de terre sur le marché résidentiel. “Elle s’inscrit dans une évolution qui est en cours depuis longtemps. De telles mesures peuvent provoquer un bref choc, mais elles deviennent assez rapidement la nouvelle norme. Les acheteurs et les investisseurs tiennent déjà compte des performances énergétiques d’une habitation. N’oubliez pas non plus que ces normes plus strictes sont également compensées par un vaste éventail de primes qui réduisent l’investissement net pour le propriétaire.”
Les investisseurs immobiliers doivent-ils s’inquiéter davantage d’une réforme approfondie de la fiscalité du logement? Le gouvernement fédéral a en effet exprimé l’ambition de revoir en profondeur la fiscalité dans notre pays. “L’accord de gouvernement parle de ‘préparer’ et pas d’ ‘exécuter’ ; la nuance est importante, réagit Michel Maus. Mais si le gouvernement se respecte, il ne pourra pas éviter d’intégrer la fiscalité immobilière dans cette réforme. Et la problématique du revenu cadastral (RC) reviendra immanquablement sur la table. Amis et ennemis s’accordent désormais à dire que dans sa forme actuelle, le RC ne peut plus servir de base à un impôt. Une alternative logique serait une imposition sur la base des revenus locatifs réels. Mais c’est risquer une demi-révolution. L’émotion provoquée par la suppression du bonus logement fédéral pour une deuxième habitation – une mesure sur laquelle tout le monde ou presque était d’accord – illustre à quel point ce sujet est sensible. Pour faire passer la pilule, on pourrait compenser par une série de possibilités de déduction, par exemple pour les investissements dans les performances énergétiques des habitations. Ce pourrait être un levier pour intégrer le segment locatif dans la durabilisation du parc immobilier.”
Afin de dissiper les incertitudes, il est cependant important que le gouvernement annonce rapidement les lignes de force de la réforme fiscale. Et Michel Maus de s’interroger: “La fiscalité immobilière fera-t-elle partie de la réforme? Une fois que la clarté sera faite à ce sujet, les Belges pourront en tenir compte dans leurs projets”.
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