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Les Etats vont (re)battre monnaie

On croyait les accords monétaires de Bretton Woods dénoncés en 1971, condamnés en 1973 par Nixon et enterrés par les accords de la Jamaïque en 1976 sous Ford. A l’époque, un cycle de 30 ans s’était achevé. La fin de ces accords avait signé l’abandon de l’étalon-or. La création de monnaie avait alors été transférée progressivement aux banques privées.

On croyait les accords monétaires de Bretton Woods dénoncés en 1971, condamnés en 1973 par Nixon et enterrés par les accords de la Jamaïque en 1976 sous Ford. A l’époque, un cycle de 30 ans s’était achevé. La fin de ces accords avait signé l’abandon de l’étalon-or. La création de monnaie avait alors été transférée progressivement aux banques privées.

En 2009, près de quatre décennies plus tard, les excès du crédit bancaire, conjugués à la fin d’un modèle de croissance, remettent les banques sous tutelle publique. Cela constitue un revirement majeur car les pouvoirs publics vont, à nouveau, contrôler la création monétaire, comme du temps des Bretton Woods. Voici pourquoi.

La crise financière 2007-2009 replace les banques sous le strict contrôle des Etats. Cette surveillance s’exercera pour d’évidentes raisons prudentielles. Mais pas seulement : les États devront s’assurer que les banques souscrivent aux obligations d’État destinées à financer les déficits. Ils vont devoir capturer l’épargne privée au travers des banques qui devront leur faire crédit. La crise a, en effet, révélé l’effrayante réalité de nos économies : un endettement public insupportable, suscité par l’incapacité des gouvernements européens à anticiper le financement des pensions et à réformer les systèmes de redistribution. Ces derniers, hérités des années d’après-guerre, ont conduit à financer le bien-être au détriment des générations futures.

Situation ambigüe

Cette dette, il faudra la financer avant de la rembourser. C’est à ce niveau que les banques vont intervenir. L’actionnaire et garant des banques (c’est-à-dire l’Etat) sera, plus lourdement qu’avant, leur emprunteur. Cette situation ambigüe sera confortée par une logique implacable. Pour éviter de devoir à nouveau intervenir dans leur sauvetage, les Etats exigeront des banques qu’elles prennent moins de risques dans l’octroi de crédits. Or les obligations d’État sont justement des crédits de la meilleure qualité puisqu’ils sont garantis par la capacité des Etats à lever des impôts. Contrairement aux crédits ordinaires, les banques ne doivent d’ailleurs pas disposer de capitaux propres en proportion de ces obligations d’Etat car les Etats sont postulés comme étant toujours solvables. L’actionnaire (l’Etat) peut donc promouvoir le placement de ses propres dettes. Ceci se fera au détriment des crédits privés, phénomène bien connu en économie sous le vocable d’éviction (crowding out, en anglais), selon lequel les pouvoirs publics évincent le secteur privé du crédit.

Au-delà des garde-fous réglementaires, cela devient une situation circulaire puisque les banques ont dilué leurs déséquilibres dans ceux des États. Ou, inversement, les États ont trouvé dans leurs participations bancaires des créanciers fidèles. Les États et les banques entretiendront mutuellement leur solvabilité dans une relation impure qui confond les rôles d’actionnaire, de débiteur et de créancier. Les Etats ont saisi les banques. Les banques vont saisir les Etats.

Les banques ne sont pas dupes : à peine aidées et recapitalisées, elles se dépêchent de rembourser les aides publiques et de se défaire des garanties étatiques. Elles ont raison, car le pire serait de développer une doctrine d’actionnariat d’État. Les autorités n’ont ni vocation, ni compétence à demeurer actionnaires des banques. Ces dernières ne doivent pour autant se faire aucune illusion : elles seront interpellées par les Etats, qui ne pourront pas se passer de leur capacité de financement. Les Etats pourront, quant à eux, légitimement opposer aux banques qu’ils ont dû sauver le système bancaire et doivent le contrôler.

De surcroît, les Etats garantissent désormais de manière explicite les dépôts, pour un montant réévalué (100.000 euros en Belgique). Mais ils exigeront une contrepartie implicite : le contrôle des crédits et l’achat d’obligations d’Etat, qui constituent justement une excellente contrepartie de la garantie des dépôts. La liquidité du système bancaire sera, in fine, assurée par les contribuables et les Etats vont utiliser leur droit régalien de battre monnaie bancaire.

Argent nationalisé

La création monétaire va donc réintégrer la sphère étatique, puisque les banques vont monétiser les emprunts d’Etat. Aussi curieux que cela puisse paraître, l’argent sera à nouveau nationalisé alors que la fin des Accords de Bretton Woods l’avait privatisé. Cette situation sera génératrice d’inflation, qui contribuera justement à alléger le poids des dettes publiques.

Au travers de la crise de 2009, c’est donc un cycle de 70 ans qui s’achève. Les premières 30 années, appelées les Trente Glorieuses, auront été bâties sur les accords monétaires de Bretton Woods (1944-1971). Les 40 années suivantes (1971-2009) auront été, pour partie, celles des illusions. Les prochaines seront celles de l’ordonnancement des dettes publiques au travers du secteur financier, placé sous tutelle publique. Les banques vont être instrumentalisées pour faire atterrir les systèmes sociaux devenus impayables.

Bruno Colmant Prof. à la Vlerick Management School et à l’UCL, membre de l’Académie royale de Belgique.

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