Y a-t-il une bulle immobilière en Belgique ?

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Les prix de l’immobilier résidentiel ont flambé, l’offre de logements neufs stagne, les frais de transaction explosent et le taux de mobilité est au plus bas. Dans une récente étude, l’OCDE pointe la Belgique du doigt. Et en profite pour émettre une série de recommandations… accueillies de manière contrastée.

Entre 1980 et 2008, les prix des logements ont quasiment doublé en Belgique. Notre pays se place dans le groupe de tête des nations les plus touchées par la flambée de la brique résidentielle. Durant cette période, les prix réels (corrigés à l’aide de l’indice des prix à la consommation) ont grimpé au minimum de 90 %, affirme l’Organisation de coopération et de développement économiques dans sa dernière étude comparative baptisée “Objectif Croissance”, dont un chapitre est consacré aux politiques de logement. La Belgique se retrouve parmi les mauvais élèves de la classe, en compagnie notamment du Royaume-Uni, de l’Espagne et de l’Irlande :

Chez Stadim, le bureau d’études en immobilier dont les analyses font référence en Belgique, on ne dément pas les données de l’OCDE. “Selon nos chiffres, l’augmentation est même supérieure à 90 %, indique Paul De Wael, cofondateur de Stadim. Entre 1980 et 2008, les prix des maisons ont grimpé de 128 %, les prix des appartements de 86 %.”

Si l’on exclut les années 1980, une période de crise pour l’immobilier belge, la hausse avoisinerait même les 150 %, affirme l’expert. En revanche, pour ce qui concerne la comparaison entre pays, Philippe Janssens, administrateur délégué de Stadim, tient à émettre quelques nuances : “Il faut se méfier des analyses de l’OCDE. Chaque cas est particulier. Par exemple, si l’Allemagne a connu une hausse des prix moins forte que la Belgique, c’est parce qu’elle a connu la réunification au cours de cette période.”

Le robinet du crédit ouvert trop généreusement

Dans son étude, l’organisation préconise une flopée de remèdes pour combattre cette hausse des prix, dont les conséquences auraient été gravissimes sur l’économie mondiale. Le postulat de base de l’OCDE est assez alarmiste : “Les évolutions extrêmes observées sur les marchés du logement ont constitué une caractéristique essentielle de la crise économique actuelle et de la période qui l’a précédée.”

La faute à qui ? “L’évolution des prix réels des logements et de la construction résidentielle a été influencée non seulement par des facteurs macroéconomiques, tels que les revenus et les taux d’intérêt, mais aussi par des caractéristiques et des politiques structurelles concernant les marchés du logement et du financement du logement.”

L’une des principales causes de la hausse des prix est la trop grande facilité accordée aux ménages d’accéder à la propriété, estime l’OCDE. Les banques ont ouvert le robinet du crédit à une frange importante de la population qui, traditionnellement, n’y avait pas accès. Les jeunes ménages se sont rués sur les achats immobiliers, créant une pression au niveau de la demande. L’offre de logements n’ayant pas suivi, la mécanique de la hausse des prix s’est enclenchée inéluctablement, “dans des proportions allant jusqu’à 30 % en moyenne dans les pays de l’OCDE entre 1980 et 2005”.

L’OCDE met en cause les “innovations intervenues sur les marchés des crédits hypothécaires”, qui ont poussé la demande mais aussi accru le risque de défauts de paiement. Interrogée sur le cas belge, la chercheuse de l’OCDE Asa Johansson, auteur de l’étude, reste évasive : “Dans de nombreux pays, les exigences relatives à l’apport personnel ont été adoucies. Dans d’autres, des crédits différant le remboursement du capital sont apparus. Sans oublier les subprimes. Mais nous n’avons pas de données exactes sur les produits développés dans chaque pays.”

Chez Febelfin, on se veut (forcément) rassurant. Les subprimes, c’était de l’autre côté de l’Atlantique. “On est très loin des pratiques américaines, assure Michel Vermaerke, administrateur délégué de Febelfin. Les banques belges ont toujours veillé à s’assurer que leurs clients avaient une bonne capacité de remboursement. Il est vrai qu’au cours des derniers mois, nous avons connu une augmentation des contrats défaillants. Mais nous restons parmi les bons élèves européens, avec un taux de défaillance dans les contrats de crédit inférieur à 2 %.” Bart Van Opstal, président de la Fédération royale du notariat belge, renchérit : “Les crédits hypothécaires sont assez fiables en Belgique. Moins de 1 % des transactions se terminent par une exécution forcée.”

Quant aux quotités de financement (pourcentage maximum de la valeur du bien que la banque consent à prêter), elles n’auraient dépassé les 100 % que dans des cas exceptionnels, estime-t-on du côté de Febelfin. Chez Stadim, Philippe Janssens est moins affirmatif : “Entre 2005 et 2008, les quotités de financement maximum ont parfois atteint 110 %, voire 120 %. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.”

Une offre de logements trop rigide

L’augmentation des prix trouve donc une explication dans le recours trop fréquent au “crédit facile”, mais il paraît difficile d’affirmer que la Belgique a abondamment participé à ce mouvement.

Qu’à cela ne tienne, l’OCDE émet d’autres reproches : elle dénonce aussi le manque d’élasticité de l’offre de logements. Si les investissements dans le secteur de la construction résidentielle suivent l’augmentation de la demande, le marché se régule. Mais dans de nombreux pays, l’offre de logements ne s’adapte pas suffisamment vite, estime l’organisation internationale. Résultat : les prix explosent. Le marché belge de l’immobilier résidentiel est ainsi l’un des plus “inélastiques”, constate l’OCDE). Pas étonnant, dès lors, que les prix aient bondi dans de telles proportions.

Mais comment expliquer la rigidité du marché belge ? “Les limites physiques des terrains à aménager et le degré d’urbanisation peuvent limiter l’offre de logements dans certaines zones”, avance l’OCDE. Avec un taux d’urbanisation approchant les 20 % de son territoire, la Belgique est particulièrement bien servie. Si l’on y ajoute le phénomène démographique de retour vers la ville, on constate que l’offre de logements en Belgique est effectivement occupée à se raréfier.

“Actuellement, la construction de nouveaux logements ne suit pas la courbe d’arrivée des nouveaux ménages : il y a donc forcément une pression sur les prix”, déplore Robert de Mûelenaere, administrateur délégué de la Confédération Construction. Selon Philippe Janssens, la situation n’est cependant pas si catastrophique. D’après l’administrateur délégué de Stadim, il existe un différentiel positif de 8 % entre le nombre de logements disponibles en Belgique et le nombre de ménages : “La construction d’appartements a connu une forte hausse entre 2006 et 2008, précise-t-il. Les chiffres se sont ensuite tassés. Mais il n’y a pas de situation de pénurie.”

Toujours est-il que les nouvelles constructions se font rares sur le territoire belge. Et pas seulement à cause d’une saturation de l’espace. Les politiques d’urbanisation sont mises en cause par l’OCDE : délais de délivrance des permis, règles trop strictes en matière de développement urbanistique ou de construction de logements… On regrettera, cependant, une nouvelle fois l’absence d’analyse approfondie des marchés locaux, au profit d’une approche théorique un peu désincarnée.

Des travailleurs trop peu mobiles

Dernier constat intéressant de près le marché belge : les frais sur les transactions immobilières sont les plus élevés de la zone OCDE. Avec un taux peu flatteur de 14,78 % de la valeur du bien à la charge exclusive de l’acheteur, la Belgique trône depuis quelques années en tête de ce hit-parade.

Conséquence directe : le Belge hésite avant d’acquérir un nouveau logement. Il déménage peu, ce qui a un effet néfaste sur la mobilité des travailleurs. Le raisonnement de l’OCDE est limpide : cet engrenage vicieux a pour résultat final d’impacter le taux de chômage des pays au sein desquels les frais de transaction sont les plus élevés. La Belgique est clairement visée.

Le problème est bien connu des professionnels du secteur. “Les droits d’enregistrement handicapent la mobilité”, atteste Robert de Mûelenaere. “Je peux suivre le raisonnement de l’OCDE, renchérit Philippe Janssens. Mais cette faible mobilité a aussi ses avantages. La qualité des biens immobiliers est meilleure en Belgique que dans d’autres pays. Au Royaume-Uni, on déménage tous les 10 ans et la qualité du bâti se détériore vite. Chez nous, on déménage tous les 35 ans mais on procède à une rénovation lourde à la moitié de cette période.”

La fameuse brique dans le ventre… qui continue d’exercer sa fascination sur les Belges, même si l’OCDE la trouve indigeste.

Gilles Quoistiaux

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