Ginkgo, le fonds qui donne une nouvelle vie aux sites industriels désaffectés

A Uccle, l'ancien site de l'imprimerie Illochroma, qui s'étend sur 4,2 ha, a été racheté par Ginkgo qui y bâtira logements, commerces et bureaux. © Photos : PG

Il existe en Europe plusieurs millions de sites industriels désaffectés. Le fonds Ginkgo, de la banque Edmond de Rothschild, compte leur redonner une nouvelle vie. Il opère essentiellement en Belgique et en France. Mais il se prépare à faire des petits au Royaume-Uni et en Espagne.

Dans la foulée de la crise de 2008, la direction du groupe Edmond de Rothschild à Genève a désiré imposer un tournant à sa politique de gestion d’actifs. Désormais, la banque d’affaires allait soutenir davantage la création de fonds à ” double impact “. Impact financier, en générant un bon rendement. Mais aussi impact social et environnemental.

L’un de ces nouveaux fonds, Ginkgo (du nom d’une des plus anciennes essences d’arbres sur la planète) est spécialisé dans la réhabilitation de vieilles friches industrielles polluées. Un premier fonds a été lancé en 2010, puis un deuxième l’été dernier. Les deux représentent une levée de fonds de 240 millions d’euros.

Et, cerise dans la kriek, Ginkgo affiche une nette coloration belge. Cette famille de fonds est en effet dirigée depuis Genève par le Belge Bruno Farber. De plus, Ginkgo développe plusieurs projets dans notre pays et compte parmi ses actionnaires la SFPI (le bras financier de l’Etat fédéral) et la SRIW, qui se trouvent aux côté de la Caisse des dépôts française, de la Banque européenne d’investissement ainsi que, naturellement, Edmond de Rothschild.

” J’avais identifié comme thématique d’investissement la réhabilitation de friches industrielles contaminées, explique Bruno Farber. Une activité qui marchait bien aux Etats-Unis, mais qui n’avait pas encore pris en Europe. ” Pourtant, l’Europe compte 3 millions de sites industriels désaffectés alors que le continent souffre d’un étalement urbain incontrôlé qui réduit les terres agricoles comme une peau de chagrin. En une décennie, la France a perdu plus de 680.000 ha de terres agricoles, dont une grande partie a été consommée en routes, centres commerciaux et surtout en nouveaux lotissements.

Bruno Farber, directeur général de Gingko
Bruno Farber, directeur général de Gingko ” Dans un projet moyen, nous investissons 10 à 15 millions de fonds propres. “© Photos : PG

Un travail “très compliqué”

” Nous achetons des terrains contaminés bien situés, explique Bruno Farber. Nous les décontaminons et les réhabilitons, nous obtenons les permis d’urbanisme, nous développons des programmes immobiliers et nous ‘sortons’ ensuite de cet investissement en vendant ces programmes immobiliers. Cela semble simple, mais c’est en réalité un travail très compliqué. C’est ce qui explique qu’il existe très peu de fonds d’investissement dans ce créneau. Car il faut trouver des investisseurs qui veulent prendre le risque de la dépollution, puis le risque d’un développement immobilier. Les opérateurs immobiliers n’ont pas d’expertise en matière de dépollution. Ils s’adressent donc à des bureaux d’études qui ne désirent eux non plus pas prendre de risque et présentent des estimations de frais de dépollution assez élevées .”

Pas étonnant dès lors que les promoteurs immobiliers classiques ne désirent pas s’y risquer, d’autant que la première phase de tels projets de réhabilitation nécessite une mise de fonds propres non négligeable. ” Dans un projet moyen, nous investissons 10 à 15 millions de fonds propres. La première phase, celle qui consiste à aménager et dépolluer, est très coûteuse parce que les banquiers ne sont généralement pas très chauds pour la financer. Mais une fois que le terrain est réhabilité, nous obtenons alors le financement traditionnel des banques pour les opérateurs immobiliers “, précise Bruno Farber C’est sans doute difficile, mais la demande est là. ” Nous voyons passer une centaine de projets par an, affirme Bruno Farber, mais nous n’en sélectionnons que trois ou quatre. Nous ne prenons pas les terrains mal situés, sur lequel il n’y a pas de marché, ni les terrains trop grands ou trop petits, ni ceux qui, paradoxalement, ne sont pas assez pollués car nos actionnaires demandent le traitement du passif environnemental soit une vraie valeur ajoutée pour nos projets. ”

Dans ce paysage, l’avantage compétitif de Ginkgo, outre la présence d’actionnaires de premier choix, est de pouvoir disposer d’experts très pointus en matière de réhabilitation et de dépollution, de techniques évoluées permettant de recycler sur site une grande partie des déchets et d’offrir un projet vertical : la dépollution d’un terrain s’effectue alors qu’un projet est déjà conçu, ce qui permet d’éviter des frais : ainsi, s’il faut dépolluer une partie d’un terrain en profondeur, on s’arrangera pour placer les parkings à cet endroit, afin de ne réaliser qu’un seul travail d’excavation.

Belgique, France, Royaume-Uni, Espagne, etc.

Après huit années d’existence, le bilan de Ginkgo représente déjà 600.000 m2 de ” droits à construire “, 6.000 logements en création et 15.000 emplois créés. La forte coloration belge du fonds explique que sur 14 projets en cours, quatre sont localisés chez nous. Le premier projet belge est situé à Mont-Saint-Guibert : le site des anciennes papeteries accueille désormais les Jardins de l’Orne, une promotion de 280 nouveaux logements. A Tournai, ce sont les 22.000 m2 de l’ancien site Dunlop qui sont devenus les Jardins de la Pasture. Un projet mixte, mêlant des bureaux (BNP Paribas Fortis y a installé son siège local qui a été inauguré tout récemment) et à terme 230 logements. A Ottignies, ce sont les anciennes sablières qui reprennent vie avec une bonne quarantaine de logements en construction. Et plus récemment, l’ancien site de l’imprimerie Illochroma à Uccle, qui s’étend sur 4,2 ha, a été racheté par Ginkgo qui y bâtira logements, commerces et bureaux.

” Ce que nous faisons peut être répliqué dans d’autres pays, poursuit Bruno Farber. Nous sommes d’ailleurs en train de lancer un troisième fonds, en livres sterling, qui sera centré sur des projets au Royaume-Uni. Et d’ici un an ou deux, un autre fonds devrait se focaliser sur l’Espagne et le Portugal. ” L’arbre continue de grandir.

Objectif : lever 3 milliards en trois ans

Ginkgo fait partie de la plateforme de private equity du groupe Edmond de Rothschild, plateforme dirigée par Johnny El Hachem et qui gère aujourd’hui 2,3 milliards d’euros au travers d’une dizaine de stratégies d’investissement de niche. Ces fonds visent en général un retour sur investissement annuel de 15 %, voire davantage et s’adressent surtout à des investisseurs institutionnels qui peuvent être regroupés en trois familles.

– Il y a ceux centrés sur des stratégies de croissance (Eres, Privilege Access ou Triventure, ce dernier se focalisant sur des entreprises actives dans la santé et les sciences de la vie).

– D’autres sont centrés sur les marchés émergents. Amethis Finance est par exemple spécialisé dans l’investissement dans des entreprises situées dans l’Afrique sub-saharienne.

– Et la troisième catégorie est centrée sur des stratégies portant sur des actifs réels. Moringa investit dans l’agrobusiness en Amérique latine et en Afrique, Aina Hospitality se spécialise dans l’investissement hôtelier en Europe, TIIC dans les infrastructures et le transport, Pearl dans les infrastructures environnementales (eau, énergie renouvelable), Ginkgo dans les projets immobiliers au départ de terrains pollués.

La centaine de professionnels qui pilotent ces fonds disposent d’une réelle liberté de gestion et poursuivent une stratégie de double impact. Impact financier, mais aussi social et environnemental. Les investissements réalisés par ces divers instruments ont ainsi permis d’investir 250 millions dans des infrastructures environnementales, de créer ou sauvegarder plus de 5.100 emplois, de réhabiliter 7.500 ha de terres concernant 6.500 fermiers, de dépolluer 600.000 m2 de terrain, de créer en Afrique 3.600 emplois (dont 37 % occupés par des femmes)…

L’objectif du groupe Edmond de Rothschild est de lever d’ici à 2021 3 milliards d’euros supplémentaires afin de porter l’encours sous gestion à plus de 5 milliards d’euros.

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