Les applis mobiles sont-elles vraiment condamnées ?

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Assistants vocaux, fonctionnalités des messageries, “chatbots”, saturation des smartphones, etc. Les innovations suceptibles d’entraîner la mort des applications mobiles semblent nombreuses. Mais derrière les grandes formules, qu’en est-il vraiment du marché des applis ?

Si la pratique est encore loin de s’être imposée, l’utilisation de la voix constitue souvent un argument pour prédire la fin des applications mobiles et surtout la fin de l’âge d’or de l’App Store d’Apple, qui propose pas moins de 2 millions d’applis à télécharger. Ces dernières doivent, par ailleurs, faire face à différentes évolutions susceptibles, selon certains, de leur porter un coup (fatal ? ) : développement des messageries instantanées, web mobile, chatbots, etc. Sans compter les arguments très terre à terre liés à l’usage quotidien qu’en font les utilisateurs de smartphones : ils n’utiliseraient au final que quelques applications (Facebook, WhatsApp, Instagram, etc.) et finiraient par supprimer toutes les nouvelles applis qu’ils essaient et qui ne leur conviennent pas.

Mort annoncée… depuis 2014

En réalité, la fin du secteur des applis est annoncée depuis quelques années déjà. En 2016, le spécialiste Peter Kafka, du célèbre site Recode, sonnait le glas de l’âge d’or du marché. A l’époque, il soulignait que le téléphone était ” déjà rempli d’applications ” et que les gens ” arrêtaient d’en télécharger, sauf pour des exceptions comme Uber ou Snapchat “… Et même avant lui, Deloitte avait publié une étude (intitulée Mobile Customer 2014) réalisée sur le marché anglais laissant entendre que le business des applis amorçait son grand déclin avec seulement 1,8 application téléchargée mensuellement par utilisateur moyen en 2014, contre 2,4 en 2013. Pourtant, le dernier rapport d’Apple sur la question (daté de juin 2017) mentionne un total cumulé de 180 milliards de téléchargements d’applications depuis 2008, dont 40 milliards entre juin 2016 et septembre 2017… Alors, qu’en est-il vraiment ?

Les applications publicitaires pour des marques étaient de grosses fumisteries… Ce qui est mort ce sont les applis bidons, pas le marché lui-même.” Brice Le Blévennec, co-CEO d’Emakina

Selon Comscore, 85 % du temps passé à utiliser des applications s’effectuerait au bénéfice d’une petite poignée d’applis, cinq seulement. Mais ce pourcentage doit évidemment être mis en balance avec le profil des utilisateurs. Pour Brice Le Blévennec, co-CEO d’Emakina, on ne peut pas parler des utilisateurs d’applis comme un seul et même ensemble. ” Il faut faire la part des choses : mes enfants téléchargent au moins trois applis par jour et jonglent entre une multitude d’entre elles. Et sans doute qu’une certaine partie de détenteurs de smartphones n’en utilisent que très peu. ”

Quant aux 15 % du temps consacré à d’autres application, il ne faudrait pas totalement le sous-estimer. ” Des tas d’applications ne sont utilisées que quelques minutes par jour seulement, note Christophe Chatillon, CEO de Tapptic. Les horaires de sociétés de transport, les applis bancaires, quelques médias… Mais si l’on combine ces heures quotidiennes et le nombre d’utilisateurs que certaines applications peuvent cumuler quand elles ont atteint leur public, même de niche, cela fait beaucoup. Imaginez quand vous êtes un média français et que vous comptez 14 millions de téléchargements… ”

L’âge de la maturité

Il est néanmoins clair que l’univers des applications évolue fortement. D’abord, il fait face à l’arrivée de nouvelles technologies ( lire l’encadré ” Qui veut la peau des applis ? ” plus bas) qui pourrait détourner les utilisateurs d’applications. Mais surtout, le marché devient aujourd’hui bien plus mature. ” Certains types d’applications ne se font plus du tout, admet Brice Le Blévennec. Ainsi, les applications publicitaires pour des marques étaient de grosses fumisteries. Qui possède encore aujourd’hui des applis pour des marques sur son téléphone ? Personne. Autre domaine qui n’a pas marché : les applications à usage unique. ” Et l’expert insiste : les applications à des fins purement marketing sont bien mortes. Par contre, selon lui, celles qui créent de la valeur gardent évidemment tout leur sens. C’est-à-dire celles qui s’adressent à un public bien déterminé avec une véritable proposition : horaires de trains pour les navetteurs, réservation de tickets pour voyageurs fréquents, gestion des comptes, etc. ” Aujourd’hui, tout passe par des applications, argumente Brice Le Blévennec. Avec le développement des objets connectés, je pilote l’ensemble de ma maison via mon téléphone et il y a beaucoup d’autres exemples. Ce qui est mort, j’insiste, ce sont les applis bidons. Pas le marché lui-même. ”

D’ailleurs, quand l’application trouve son public, elle peut devenir très populaire : l’appli belge de listes de courses myShopi compte 1,5 million de téléchargements et revendique 900.000 utilisateurs réguliers. Du côté de chez Brussels Airlines qui n’a lancé son appli mobile qu’il y a un an, on maintient que celle-ci garde une légitimité : ” Pour les clients en déplacement, l’appli reste le meilleur environnement comme canal de vente, détaille Laurent Willen, head of online sales chez Brussels Airlines. Plus efficace et mieux optimisé qu’un site mobile. Par ailleurs, elle garde tout son sens pour proposer, en marge du seul achat de ticket d’avion, un service à nos clients. A terme, l’idée est de positionner l’appli comme un compagnon de voyage qui peut aider nos utilisateurs dans la confection de leurs bagages, pour le check-in, les infos à destination, le choix des hôtels, etc. On peut imaginer beaucoup de choses. ”

De nouveaux compléments aux applis

Les applis mobiles sont-elles vraiment condamnées ?
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Les applis auraient, selon Philippe Van Ophem, serial entrepreneur du numérique, encore ” de beaux jours devant elles “. Les nouvelles technologies ” devraient devenir complémentaires des applications mobiles, prédit l’entrepreneur. Il se télécharge encore beaucoup d’applis et, même pour un usage limité dans le temps, elles gardent un sens. Prenez l’appli des parcs d’attraction, des chaînes d’hôtels ou des clubs de vacances : elles sont utilisées intensément pendant une courte période, mais drainent du monde toute l’année. ” Reste une véritable difficulté : se faire connaître. ” Le buzz des applis étant passé, il est devenu plus difficile d’en faire la promotion, observe Philippe Van Ophem. Ce qui peut avoir pour effet d’augmenter sensiblement le coût d’acquisition de ses utilisateurs. ”

A ce jour, les alternatives aux applications restent très marginales. Chez Tapptic, l’un des gros acteurs belges du développement d’applis, les nouveaux projets (assistants vocaux, etc.) ne représentent même pas 20 % de l’activité. ” Cela reste de petits projets et du test “, précise son CEO Christophe Chatillon. Certaines solutions peuvent, certes, cannibaliser des fonctionnalités d’applis mais sans pour autant les vider totalement de leur substance.

L’exemple de l’appli Hunterz ne manque pas d’intérêt. Développée par la start-up Øpp, elle permet aux collaborateurs d’une entreprise de jouer les chasseurs de tête, de recommander des candidats à leur département RH et d’être récompensés pour cela. Il s’agit d’une appli lancée voici un an et qui s’installe sur le smartphone. Classique. ” Toutefois, il est clair que si nous nous étions lancés aujourd’hui, nous aurions commencé par lancer un chatbot, admet Dominique Mangiatordi, CEO de Øpp. On aurait allégé l’application et on aurait plus joué sur l’aspect conversationnel. Mais on aurait toujours gardé l’appli, laquelle demeure essentielle pour la centralisation des infos et pour la gestion du profil d’utilisateur. ” Mais, de l’avis de tous les observateurs, une fois qu’elle parvient à entrer sur les téléphones et à y rester, l’appli conserve énormément de valeur !

Qui veut la peau des applis ?

– La voix et les assistants vocaux

Les assistants vocaux du type Amazon Echo ou Google Home excitent pas mal d’experts et de consommateurs… à l’étranger. En Belgique, seuls les plus geeks disposent de ce matériel et l’usage est évidemment extrêmement restreint.

Plusieurs ” gourous ” du numérique n’y croient d’ailleurs pas. C’est le cas de Brice Le Blévennec, co-CEO du groupe Emakina, qui souligne un nombre important de freins à son développement. Il nous glissait déjà, il y a un an, que ” dans la plupart des cas, il sera toujours plus simple d’utiliser un clavier ou un écran tactile que de parler à un assistant qui ne comprend pas toujours ce qu’on lui dit. Même avec une qualité conversationnelle, ce ne sera pas aussi pratique et discret qu’un écran tactile “. Si l’achat d’un livre, la mise en route de la musique ou la rédaction d’un e-mail peut totalement s’envisager en vocal, la gestion des comptes bancaires ou la réservation d’un voyage se révélera plus compliquée. ” A court terme, il est difficile d’envisager que la voix prennent totalement le contrôle de la réservation de tickets d’avion, analyse Laurent Willen, head of online sales chez Brussels Airlines. Quand nous interrogeons nos utilisateurs, ils disent qu’ils ont besoin de contrôle et d’être rassurés. Dans la logique de la voix, la vérification des tarifs et des horaires n’est pas aussi évidente. ”

– Les “chatbots” et l’intelligence artificielle

Discuter avec un ” robot ” dans la messagerie de Facebook (ou ailleurs) pour obtenir des informations auprès des entreprises et des marques. Voilà en résumé le concept des chatbots, des systèmes automatiques de ” discussion ” avec les internautes. ” Ces interfaces conversationnelles ont du sens dans un nombre croissant de situations, analyse Dominique Mangiatordi, fondateur de la firme Øpp. Il faut aller voir ce qui se fait au niveau du service après-vente aux Etats-Unis grâce à des chatbots, cela peut être assez puissant. ” Aujourd’hui, les chatbots apportent des réponses en allant puiser des informations dans des bases de données. Tout reste encore assez ” scripté “, mais les promesses de l’intelligence artificielle sont grandes et l’IA devrait – un jour – permettre à la machine de mener une véritable discussion. Aujourd’hui, ce n’est pas encore le cas. ” Dans certains cas, le bot peut avoir une véritable valeur ajoutée “, enchaîne Dominique Mangiatordi qui concède que, pour l’instant, dans beaucoup de cas, cela reste un ” gadget ” et n’est pas de nature à tuer les applications.

Les solutions “non app” des GAFA et des messageries

Depuis quelque temps, Apple, Google ou Facebook expérimentent de nouvelles formules aux utilisateurs, qui ne sont pas des applications. Si Google a mis au point un système baptisé Instant Apps, qui consiste à proposer la même expérience qu’une application mais en restant sur le Web, Facebook essaie d’insérer des ” mini apps ” dans sa messagerie Messenger qui se lancent en ligne. Apple fait pareil dans son système iMessage. En ligne de mire : répliquer la prouesse du géant chinois Tencent avec sa messagerie WeChat. Cette dernière est parvenue à intégrer un nombre important de fonctionnalités sans téléchargement ni installation. Elle dispose d’un store intégré de ” mini programs ” où l’on trouve de quoi regarder des vidéos, faire des paiements, trouver des vélos partagés, réserver un ticket de cinéma, etc. ” Si cela peut fonctionner sur le marché asiatique, cela ne marche pas chez nous, insiste le patron d’Emakina. Facebook peine à instaurer un tel écosystème… ” Certes, quelques tentatives devraient émerger : au début du mois, Belfius annonçait le lancement de Pengo, une fonctionnalité permettant de réaliser des paiements mobiles entre particuliers au travers de Facebook Messenger et de WhatsApp.

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