Motivants, les bonus financiers ?

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Lorsqu’on parle bonus, c’est souvent pour s’offusquer des montants accordés à certains “top managers”, rarement pour s’interroger sur leur efficacité réelle. Trois experts doutent pourtant des effets des gratifications sur la motivation. Dans ces conditions, de quelles autres solutions disposent les entreprises ?

Il y a quelques semaines, KBC annonçait que les membres de sa direction renonceraient, cette année, à leur prime. En commission de la Chambre, Jean-Luc Dehaene admettait que les bonus accordés aux top managers de Dexia ne se justifiaient pas. Si les plantureux bonus l’ont toujours agacée, la population les juge particulièrement immoraux, à présent qu’elle doit contribuer au sauvetage des banques. L’accord du gouvernement d’Elio Di Rupo prévoit une proposition de loi interdisant l’octroi de primes aux banquiers ayant eu recours au soutien de l’État. La Chambre basse néerlandaise a, par ailleurs, approuvé récemment une loi semblable.

D’après le cabinet de consultance américain Johnson Associates, les bonus accordés à Wall Street seront cette année 20 à 30 % moins élevés que l’an passé ; ce qui n’a pas empêché le Centre for Economics and Social Research, en Grande-Bretagne, de calculer que 7,2 milliards de livres sterling de gratifications allaient pleuvoir sur la City cette année, soit plus que les 6,7 milliards octroyés en 2010. En réalité, la question de l’importance des bonus et de leur moralité en cache une autre : quels sont leurs effets sur les nombreux salariés (des grandes entreprises surtout) qui en bénéficient en fin d’année ? Ce cadeau les motive-t-il ? Les incite-t-il à mieux travailler ? Trois experts expliquent, recherches à l’appui, pourquoi les bonus ne fonctionnent pas toujours et suggèrent aux entreprises des manières de récompenser plus efficacement leurs salariés :

L’expert n° 1 : le psy

Un système de rémunération uniforme est inefficace

Le psychologue Filip De Fruyt (université de Gand) est expert en étude de la personnalité et d’évaluation du personnel. Pour lui, un système de rémunération uniforme est inefficace. “De façon trop simpliste, on pense que chaque forme de rémunération a un effet universel. Mais la récompense qui motive telle personne ne signifie peut-être rien pour son voisin.”

– Performances et résultats sont difficilement mesurables, car tributaires de nombreux facteurs. “De sorte qu’il n’est pas facile d’y associer des bonus. Prenez l’intéressement aux bénéfices : il est tout à fait possible que le management ait fait de son mieux mais que les prix des matières premières se soient subitement envolés, par exemple, ou que le marché ait fondamentalement changé. Les bénéfices des entreprises dépendent d’une multitude de facteurs, sur lesquels l’individu ne pèse peut-être qu’à concurrence de 0,01 %.”

– Les systèmes de bonus peuvent provoquer des comportements inappropriés. “Parmi les managers qui, année après année, obtiennent de généreuses primes, nombreux sont ceux qui en viennent à adopter un comportement de direction narcissique.”

Son conseil pour une rémunération efficace ?

“Une récompense ne se calcule pas nécessairement en argent. Certes, le jeune salarié père d’enfants en bas âge, qui doit rembourser un emprunt hypothécaire, préférera une gratification en espèces. Mais après 15 ans de dur labeur, une fois la maison payée et les enfants indépendants, il souhaitera probablement être rémunéré autrement – en se voyant accorder plus de temps pour voyager, la possibilité de suivre des formations ou un peu moins de responsabilités, par exemple. La constitution d’un portefeuille de rémunérations peut être envisageable. La récompense doit être en partie collective, en partie individuelle ; liée aux compétences et à la réalisation d’objectifs personnels.”

L’expert n° 2 : le consultant

“Les objectifs doivent être qualitatifs”

Le Néerlandais Kilian Wawoe a travaillé, notamment en Belgique, pour ABN Amro. Détaché à Monaco, il y a découvert une culture de primes, dont il s’est assez vite détourné. Il a quitté la sphère bancaire en 2010 pour enseigner à la Vrije Universiteit Amsterdam sur le thème des gratifications dans le secteur financier. Il travaille aujourd’hui comme consultant.

– Il y a plus que la motivation. “Les primes ont certes un effet motivant, mais elles n’engendrent pas nécessairement une amélioration des prestations. Accroître la motivation d’une personne qui ne dispose pas des compétences adéquates n’aura d’autre effet que de la frustrer.”

– Le calendrier des entreprises est trop rigide. “Une banque se dote d’une stratégie, formule des objectifs au niveau du groupe et communique aux collaborateurs leurs objectifs personnels. Les primes dépendront donc de la réalisation d’objectifs fixés en début d’année. Mais avec les événements en Grèce, le volcan en Islande ou la révolution en Egypte, le calendrier défini en janvier devient vite obsolète. Il faut savoir revenir sur les échéanciers qui ne sont plus appropriés. ”

– Les objectifs sont quantitatifs, malheureusement pas qualitatifs. “Les gens sont évalués sur des choses simples : le banquier, par exemple, sur le nombre de crédits hypothécaires vendus dans l’année. Les objectifs sont trop axés sur le quantitatif. La qualité n’est pas prise en compte ; or, elle demeure le principal critère.”

– Tout montant est relatif. “Le bonus le plus élevé que j’aie été appelé à accorder lorsque je travaillais pour ABN Amro s’élevait à 2,1 millions d’euros net. Pensez-vous que son bénéficiaire ait songé à dire merci ? Non : il s’est enquis du montant qu’allait recevoir son voisin – cinq millions d’euros. L’argent n’est pas important pour l’argent, mais pour la place qu’il confère sur une échelle de comparaisons.”

Son conseil pour une rémunération plus efficace ?

Kilian Wawoe, qui a décortiqué l’enquête scientifique consacrée aux bonus et à la motivation, évoque cette étude réalisée par le MIT, aux Etats-Unis, pour le compte de la Réserve fédérale américaine. Il s’avère que les bonus sont motivants dans le cas de tâches simples, faciles à mesurer ; par contre, lorsqu’on en arrive à des occupations compliquées requérant réflexion, ils ont un effet inverse. Que peuvent faire les entreprises dans ces conditions ?

Kilian Wawoe émet trois recommandations : donner aux salariés suffisamment d’autonomie, pour leur permettre d’imprimer eux-mêmes une certaine direction à leur travail ; les mettre en mesure de s’améliorer ; et les inviter à contribuer à la réflexion relative à la politique durable de la société. Les entreprises doivent également s’assurer que leurs collaborateurs disposent des compétences nécessaires à la réalisation de leurs tâches.

L’expert n°3 : le prof d’unif

“Insistez sur l’importance du travail de chacun”

Maître de conférences en psychologie du développement et psychologie sociale à l’université de Gand, Maarten Vansteenkiste s’intéresse à la raison pour laquelle les gens “font ce qu’ils font”.

– Les bonus, sources de tensions et de déceptions. “Si le bonus récompense les prestations du salarié ou de l’entreprise, il a aussi ses côtés négatifs. Il incite les collaborateurs à adapter leur comportement, par exemple à faire en sorte d’empêcher toute relation entre leurs collègues et leurs propres clients, par peur de perdre ces derniers. Cela peut créer des tensions. Le travailleur qui, une année, ne reçoit pas de bonus, est déçu. Quant à la politique d’octroi sélectif, elle laisse par la force des choses de nombreuses personnes sur le carreau ; celui qui touche une prime est satisfait mais le collègue qui, malgré ses efforts, aura manqué ses objectifs, sera dépité.”

Son conseil pour une rémunération plus efficace ?

“Mieux vaut mettre l’accent sur le plaisir de travailler et l’importance de la tâche. Evitez d’exercer des pressions d’en haut, car elles seront sources de stress, tout en étant préjudiciables à la qualité et au bien-être. Essayez de donner aux collaborateurs l’envie d’exécuter leur tâche. A ceux qui n’aiment pas leur travail, faites comprendre l’importance de leur contribution pour l’intégralité de l’entreprise. La rémunération ne joue qu’un rôle mineur dans la satisfaction au travail. Un bon salaire ne fait pas nécessairement des collaborateurs heureux.”

Benny Debruyne

Quelle forme de rémunération, pour quel objectif ?

Dans son récent ouvrage intitulé Bonussen, l’experte en conditions de travail Patricia De Wit passe en revue les différentes formes de rémunération et les objectifs auxquels elles peuvent être associées.

La rémunération est constituée du salaire mensuel, auquel s’ajoutent certains compléments fixes, comme le pécule de vacances et le 13e mois. Un bon argument en termes de recrutement, de rétention et un encouragement aux prestations.

Le bonus individuel est une forme de rémunération variable, un montant non garanti dont le paiement est fonction des résultats. Il encourage les prestations sur la base des objectifs.

L’intéressement aux bénéfices est une forme de rémunération variable, calculée sur les bénéfices de l’entreprise. Il favorise l’implication des collaborateurs et rend l’entreprise attrayante en tant qu’employeur.

Le régime de pension et les jours de congé supplémentaires sont autant d’arguments en faveur du recrutement et de la rétention.

Les compensations et suppléments compensent les désagréments, les heures supplémentaires et les frais.

Les formations, l’accompagnement professionnel et la participation à des activités sportives/associations sont profitables au développement personnel du travailleur. Ils sont bons pour le recrutement, la rétention et la vitalité.

Patricia De Wit, Bonussen, Editions Business Contact, 2011. Disponible uniquement en néerlandais.

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