“L’innovation n’a aucun intérêt si elle ne répond pas à un besoin d’usage”

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La Région bruxelloise s’est récemment engagée à soutenir les jeunes entreprises actives dans l’e-santé. Présent depuis 40 ans, Econocom n’est certes plus une start-up. Mais en tant qu’intégrateur de solutions informatiques en étroite relation avec des porteurs de projets, le groupe profitera de l’élan politique. Entretien avec Laurent Casu, Medical Business Unit Manager.

Menant de la veille technologique, le groupe Econocom a-t-il rapidement compris qu’il convenait de se diversifier dans la santé?

Laurent Casu : Notre diversification date de 2009. On a bien senti qu’il fallait se spécialiser dans ce secteur, ou ne fut-ce que cerner les besoins et les enjeux qui allaient se modifier. En imagerie médicale par exemple ou simplement pour répondre à la problématique d’information à tout moment et en tout lieu. On a des environnements hospitaliers atomisés avec des médecins qui voyagent entre des sites distincts. On évite les redondances, le dossier informatisé se généralise de plus en plus. On doit intégrer une nouvelle méthodologie et s’approprier les nouveaux outils technologiques, digitaux notamment, pour viser le sans-papier, l’optimisation de l’ambulatoire, l’évolution des techniques de la chirurgie avec des actes hyper-experts, qui prennent de moins en moins de temps avec un confort nettement amélioré par rapport aux séquelles du patient.

Toute cette complexité due à la structure et l’activité des hôpitaux demande-t-elle une approche sur mesure ?

Oui, il est impératif de mener le projet en collaboration avec les gens de métier. On n’a pas une solution technologique qui va tomber du ciel entourée d’un beau papier cadeau pour correspondre aux besoins de tout le monde. Cela demande à chaque fois une adaptation parce que chaque unité de soins fonctionne différemment. Les priorités sont différentes, les problématiques d’infrastructure, les contraintes d’hygiène.

Sans compter que les unités de soins réunissent toutes sortes d’intervenants, avec des attentes elles aussi très spécifiques.

Effectivement. Alors on part des acteurs du terrain et on construit ensemble. C’était le cas par exemple de la chambre connectée qu’on a co-développée avec un cluster santé basé sur Lille. On l’a intégrée au Grand hôpital de Charleroi. Nous avons composés avec les personnes du nursing, ou par rapport aux spécialités telles que la maternité. Il fallait discuter pour identifier les produits les plus adaptés ou parfois même devoir créer quelque chose qui n’existait pas.

Autant de contraintes, cela ne décourage jamais ?

Au contraire. On a un rôle un peu d’évangélistes à ce moment-là. Nous sommes en relation quotidienne avec les nouvelles technologies, avec les salons spécifiques et il y en a de plus en plus. Le prochain, le HIT, se tient à la fin du mois à Paris. Et il ne faut pas toujours aller voir de grands constructeurs d’appareillages médicaux, les grandes marques. Parfois, dans de petites niches, on découvre des technologies très intéressantes. Le salon ISE par exemple est très utile pour toute la partie hospitality (le confort du patient lors de son séjour à l’hôpital, ndla). On ne va pas essayer recréer les choses pour le monde hospitalier mais s’appuyer sur des éléments existants qui ont fait leur preuve dans des domaines reconnus, de la télévision, du broadcasting et ce genre de choses. Et partant de ça, on se demande alors comment l’adapter au monde médical.

De toute façon, ces technologies annexes n’auront de valeur que si elles permettent un gain de temps, simplifient la pratique ?

Evidemment. Il n’y a pas d’innovation, l’innovation n’a aucun intérêt si elle ne répond pas à un besoin d’usage, et un usage métier. Et pour avoir cela, vous devez avoir un dialogue avec les acteurs. Et pour dialoguer, il faut que vous compreniez le vocabulaire. Donc, on a compris qu’il fallait se verticaliser. Parce que quand vous êtes face à un chirurgien qui fait du non invasif, il va vous parler de toute une série d’éléments. Il faut que vous compreniez ce qu’il fait. Car on doit le conseiller, l’orienter vers quelque chose qui ne complexifie pas son travail mais justement l’accompagne et améliore ses interventions. Aujourd’hui on filme beaucoup, on prend beaucoup de captures d’images qu’on intègre dans le dossier médical en temps réel alors que tout cela était extrêmement compliqué avant car chaque modalité médicale avait son propre système d’enregistrement.

Les enjeux technologiques en santé, Econocom y est impliqué depuis 2009. Nos politiques semblent s’y intéresser davantage. Que doivent-ils encourager en e-santé ?

Je pense qu’il y a aujourd’hui dans l’ensemble des réseaux santé, on connaît le Résau santé wallon ou Abrumet, des interconnexions hub-métahub qui doivent se faire. On parle beaucoup de la problématique liée aux données de santé. On a d’ailleurs un très beau projet collaboratif d’une plateforme de données de santé partagée par le Chirec, Saint-Luc et l’Intercommunale de santé publique du pays de Charleroi, dans le cadre de l’anatomo-pathologie. Cette plateforme va héberger ces informations-là qui seront partagées par 3 hôpitaux, deux bruxellois et un wallon. On prend peu à peu conscience que toutes ces données qui arrivent dans tous les sens, un hôpital n’a pas la capacité de tout absorber. Il doit pouvoir s’appuyer sur des partenaires technologiques et surtout des partenaires locaux qui ont des infrastructures prévues pour ça, en garantissant la sécurité.

N’y a-t-il pas un risque de voir vos activités plafonner sur le petit marché belge et sa centaine d’hôpitaux généraux ?

C’est évident. C’est pour cela qu’aujourd’hui dans ce que nous appelons la “galaxie Econocom”, où on a la terre représentant Econocom, avec tout son savoir-faire, et autour de ça gravite un certain nombre de satellites. On réfléchit à une certaine prise de part, un investissement dans des domaines spécifiques de l’e-santé.

Un de mes métiers est de créer et de gérer des écosystèmes parce que jamais Econocom ne développera une application métier propre à une pathologie. Par contre, on sera là pour accompagner le développeur de l’application, pour l’aider à l’introduire, le positionner d’un point de vue budgétaire, informatique. C’est parfois compliqué d’avoir accès ne fut-ce qu’aux IT managers et comprendre leur langage. Nous, c’est notre rôle de facilitateur, de fédérateur.

Vous aidez des hôpitaux qui doivent gagner en efficience et quelque part fidéliser leurs “clients”. Mais au-delà de la dimension économique, les patients et la qualité des soins ont-ils une place dans vos solutions ?

Ah oui, clairement. On travaille aussi sur la problématique de la prise en charge du patient, pour des soins améliorés par les nouvelles technologies. Et bien avant une hospitalisation. On planche sur la préhosp, l’hospitalisation même et la posthop, grâce à des outils de smartphone, les applications de suivi de maladies chroniques, et les objets connectés. Or, leurs données vont aussi inonder le marché. Il faut qu’à un moment donné les hôpitaux prennent conscience de ce qu’on va pouvoir en retirer de tout cela. Si ces informations arrivent non structurées de n’importe quel type d’appareillage, cela posera un problème supplémentaire. Il faudra régler cet aspect et nous avons un rôle à jouer là-dedans, dans l’intérêt du patient.

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