Bienvenue à Googleland

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Fort de ses 70 milliards de dollars de cash, le géant américain investit tous azimuts. Il contrôlera bientôt une large part de nos activités, tout en commercialisant ses pubs ultra-ciblées. Zoom sur un écosystème tentaculaire.

Il est 13 h dans le très chic hôtel particulier du 9e arrondissement parisien qui héberge les bureaux de Google. Dans l’open space du premier étage, décoré d’une superbe 2 CV rouge, ingénieurs et commerciaux ont le nez collé à leur écran. Pas de temps à perdre, même pour un sandwich. Derrière eux, dans une salle de réunion colorée, John Hanke, le vénéré créateur des premières versions de Google Maps et de Street View, démarre sa présentation d’Ingress, un jeu vidéo pour smartphone, devant un parterre de journalistes.

Et, comme toujours chez Google, c’est l’innovation qui est mise en avant. “Ingress est un jeu comme on n’en a jamais vu. Il mélange enquêtes, combats en réseau et réalité augmentée”, s’emballe John Hanke. Concrètement, Ingress oblige les joueurs à se déplacer physiquement dans le monde réel afin de prendre le contrôle de portails virtuels grâce à leur smartphone. Et, visiblement, les gamers adorent. Depuis son lancement, fin 2013, le jeu – proposé gratuitement – a déjà été téléchargé 4 millions de fois. “Nous avons des joueurs dans tous les pays du monde, à l’exception de la Corée du Nord”, se félicite John Hanke, en tapotant sur l’écran de son smartphone.

Mais ce que le dévoué John Hanke ne dit pas, c’est qu’Ingress sert avant tout la stratégie de Google. Et celle-ci est simple : capter le plus possible de notre temps, afin de vendre un maximum de publicités. Avec Ingress, Google va pouvoir nouer des partenariats, récupérer des données personnelles sur les joueurs et proposer aux marques de mieux cibler leurs publicités. C’est ainsi que fonctionne le business model du géant américain. “Aujourd’hui, 90 % des recettes de Google proviennent de la publicité”, confirme l’économiste Pascal Perri.

Qu’il semble loin le temps où Google pouvait être considéré comme un simple moteur de recherche ! En quelques années, l’entreprise a muté pour devenir un écosystème tentaculaire, qui connecte des millions de gens sur PC ou smartphone et qui propose des centaines de services différents (cartes de navigation, stockage de données dans le cloud, réservation de voyages, etc.). “Le succès de cet écosystème se mesure à l’aune d’un seul critère : le nombre de minutes captées à chaque utilisateur. Son unique but est de vendre de la publicité ciblée, grâce aux données récupérées”, analysent les experts de Forrester. “Et, pour être sûr de ne pas passer à côté d’une pépite, Google achète à tour de bras”, complète Christophe Leblanc, managing director à la Société Générale. “Je n’ai jamais vu une telle boulimie”, confirme Pascal Perri.

Un nouveau “Big Brother” qui veut investir tous les secteurs

En trois ans, le glouton Google a racheté une centaine de sociétés pour un montant proche de 30 milliards de dollars. Sa cible type ? Des entreprises du Net basées dans la Silicon Valley, comme la chaîne de vidéos YouTube ou le site de partage de photos Picasa. Mais Google ne compte pas s’arrêter là. Ce nouveau Big Brother, symbole de ce 21e siècle hyper-connecté, entend bien investir tous les pans de la vie, du berceau au cercueil, et contrôler tous les secteurs clés de ce monde en construction. Santé, transport, énergie, robotique, domotique…

Tandis que sa filiale 23andMe travaille sur le séquençage de l’ADN, une autre, Calico, a pour projet fou d’augmenter l’espérance de vie de 20 ans d’ici à 2035. Pendant ce temps, la Google Car roule déjà sur les routes de Californie et, dans le ciel, ses ballons de communications relient les régions les plus reculées du globe à Internet, bientôt rejoints par une armada de drones planeurs et de satellites. Google multiplie aussi les achats dans la robotique. Il s’est offert Boston Dynamics, qui crée des chiens robots pour l’armée américaine. Et Nest, en janvier dernier, le leader mondial de la domotique et des objets intelligents, pour 3 milliards de dollars.

A ce rythme, Google sera bientôt présent partout : dans les maisons, sur les routes, dans le ciel… Par le biais des smartphones en permanence reliés à des capteurs, Google pourra accompagner toute la famille, des séances de shopping aux cours de sport en passant par la visite chez le médecin. Evidemment, le géant américain peaufine son discours messianique. Après tout, le consommateur-citoyen a tout à gagner à vivre à Googleland. Car les services proposés par Google facilitent la vie et permettent de gagner du temps. Mais jusqu’où peut aller la conquête du géant américain ? Et surtout jusqu’où peut aller son acceptabilité sociale ? “Gare à ne pas basculer dans un monde de flicage permanent, où des applications inciteront sans cesse les consommateurs à acheter tel ou tel produit”, s’inquiète Pascal Perri.

Sans Google, pas de relation avec le client final

Pour les entreprises, l’omniprésence de Google change aussi la donne. Il va devenir impossible de se passer de lui pour nouer une relation avec le client final. “Google veut être celui par qui il faut passer pour vendre quelque chose à quelqu’un”, explique Daniel Kaplan, délégué général de la Fondation Internet nouvelle génération (Fing). Vu l’avance prise par Google dans la maison connectée, Ikea sera bientôt obligé de nouer un partenariat avec le groupe américain, suggèrent les experts de Forrester. De même, avec son compteur électrique intelligent, Google pourra vendre des informations aux gestionnaires de réseau électrique ou aux fournisseurs d’énergie. Sur le Net, il se substitue déjà à certains sites marchands en proposant son moteur de recherche sur le tourisme. Aux Etats-Unis, Google investit même dans la fibre, menaçant de concurrencer les fournisseurs d’accès à Internet. “Il y aura forcément de la casse”, prévient Daniel Kaplan.

Les mauvaises langues prétendront que ces investissements tous azimuts manquent de cohérence. Et pour cause : Google pratique la stratégie du “spaghetti on the wall”. “En gros, Google lance son spaghetti contre le mur. Si ça colle, tant mieux, si ça ne marche pas, tant pis, il passe à autre chose.” Ainsi, en 2011, le géant de Mountain View a mis sur la table 12 milliards d’euros pour acheter Motorola. Mais son projet dans la téléphonie n’a pas réussi à décoller. Google a donc revendu la société. Finalement, peu importe l’addition : la puissance de feu de Google lui autorise tous les excès. Fin 2014, ses réserves en cash pourraient atteindre 70 milliards de dollars. De quoi effacer la dette d’un petit pays comme Porto Rico ! Selon le Financial Times, Google prévoit déjà d’en dépenser la moitié en nouvelles acquisitions. Bienvenue dans le Google world !

SÉBASTIEN JULIAN

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