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Des pourparlers à 119 milliards

La discussion ne passionne pas vraiment les foules, ni même peut-être le monde des affaires. Bien à tort ! L’enjeu est en effet colossal : un accord très large entre les deux parties représenterait une économie annuelle de 119 milliards d’euros pour l’Union européenne et de 95 milliards pour les Etats-Unis, a calculé le Centre for Economic Policy Research de Londres. Cela se traduirait par un revenu disponible en progrès de 545 euros par an pour une famille de quatre personnes. Voilà qui est à coup sûr plus parlant…

Cette discussion porte sur le “Partenariat transatlantique de commerce et d’investissements”, plus connu sous son sigle anglais : TTIP, pour Transatlantic Trade and Investment Partnership. La première session de pourparlers a eu lieu début juillet à Washington, la seconde s’est tenue cette semaine à Bruxelles et la troisième aura lieu à la mi-décembre dans la capitale américaine. Un accord final est attendu pour la fin de l’année… 2014.

L’objectif de ce partenariat est de “libéraliser autant que possible les échanges et les investissements entre les deux économies”, explique la Commission européenne. Il ne s’agit pas d’ouvrir en grand les frontières en supprimant les droits de douane. Ces derniers sont de toute manière devenus fort marginaux, avec 4 % à peine en moyenne. Il ne s’agit pas davantage de baisser la garde sur le plan réglementaire, en affaiblissant ainsi la protection juridique ou sanitaire du consommateur, insistent lourdement les autorités européennes. Celles-ci pointent par contre du doigt le fait que ces réglementations sont, sur le fond, souvent assez proches de part et d’autre de l’Atlantique, mais en utilisant des outils de mesure ou des procédures de contrôle différents. En d’autres termes, on fait deux fois le même travail, ce qui constitue un énorme gaspillage.

“Je ne crois pas qu’on puisse arriver à quoi que ce soit sans accord sur l’agriculture”, estime Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce. Le partenariat transatlantique n’est donc pas gagné d’avance, car l’agriculture représente toujours une grosse pierre d’achoppement en raison du fossé culturel qui sépare l’Europe et l’Amérique. Tandis que la première insiste sur les indications géographiques (appellation d’origine contrôlée, notamment), la seconde ne reconnaît que les marques. Sans parler du fameux boeuf aux hormones… Pour ce dernier, le commissaire belge rappelle toutefois l’accord récemment intervenu avec le Canada : ce pays exportera en Europe du boeuf sans hormones, élevé suivant une filière séparée. Quand on le veut vraiment, on trouve toujours une solution.

Outre les marchés publics, où la discussion se complique en raison d’une large autonomie des divers Etats américains, la protection des données constitue une autre grosse difficulté. Elle devrait être tenue à l’écart de l’agenda TTIP, a averti Viviane Reding, commissaire à la Justice, alors que les Américains insistent en sens inverse. Un motif de rupture, après le scandale des trop grandes oreilles de Washington ? Autre écueil : ces accords de principe obtenus en matière de produits et services financiers, “très difficiles à traduire en textes”, juge Karel De Gucht.

Encore une fois, ce n’est donc pas gagné d’avance. Le principal allié des négociateurs est peut-être bien… la Chine. Plus précisément son poids grandissant dans un commerce mondialisé et le danger que ce pays n’impose progressivement ses normes au niveau international. Washington serait en conséquence plus désireux qu’avant de conclure un accord avec ses alliés occidentaux. Finalement, les familles européennes ont une sérieuse chance de gagner 545 euros de plus à partir de 2015 !

GUY LEGRAND Directeur adjoint

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