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Comment mesurer la solvabilité d’un Etat ?

Si on en tenait compte, l’incapacité de la Belgique à engager toute réforme structurelle pèserait très lourd dans le classement des Etats vulnérables.

Le récent plan concocté par les autorités européennes et le FMI permet d’assurer le financement des pays de la zone euro qui éprouveraient trop de difficultés à se financer sur les marchés financiers. De la sorte, ce plan résout le problème de liquidité qui pourrait se poser, tout comme le plan de 110 milliards d’euros a résolu le problème de liquidité de la Grèce. Mais ces plans n’apportent aucune solution au problème de solvabilité que pourrait rencontrer l’un ou l’autre pays. C’est d’ailleurs cette ambiguïté qui a suscité les hésitations de l’Allemagne lorsqu’il a fallu organiser dans l’urgence le plan de financement. Si le concept d’insolvabilité est assez clair au niveau d’une entreprise, il l’est beaucoup moins pour un Etat souverain. Que signifie en fait la “faillite” d’un Etat ?

Indicateurs (trop) basiques

Les deux critères les plus souvent utilisés pour mesurer le risque de faillite sont le ratio d’endettement d’une part (dette/PIB) et le déficit public d’autre part (en % du PIB). On peut en effet considérer que le ratio d’endettement donne une mesure des engagements d’un pays. Outre le fait que cette mesure mélange un stock (la dette) et un flux (le PIB), elle est très incomplète, car il n’y a pas vraiment de seuil absolu à partir duquel l’endettement est incontrôlable. Du moins, ce seuil dépend d’autres variables macroéconomiques. Le cas du Japon, endetté à hauteur de 200 % de son PIB, est sur ce point emblématique.

Si l’on considère que le déficit public donne une idée de la progression future de l’endettement, alors cette variable apporte une précieuse information supplémentaire. Mais cette information n’est vraiment pas suffisante, et les contre-exemples de pays ayant des déficits importants mais n’éprouvant pas de difficulté particulière de solvabilité sont très nombreux. Dès lors, se limiter à ces deux variables pour juger de la capacité d’un Etat à faire face à ses engagements est bien trop réducteur.

Indicateurs de flux et de stock de richesse

On devrait donc prendre en compte des indicateurs de risque plus larges. Par exemple, on rappellera que la solvabilité d’un Etat, autrement dit sa capacité à faire face à ses engagements, n’est rien d’autre que la capacité (toute théorique, j’insiste…) à ponctionner, si nécessaire, la richesse créée dans le pays ou le stock de richesse accumulé au cours du temps. D’autres indicateurs peuvent donc être utilisés, mêlant la constitution et le stock de richesse, à l’image de l’indice de vulnérabilité des pays européens mesuré récemment par D. Gros et T. Mayer (CEPS, mai 2010).

Sachant notamment que les ménages se constituent chaque année une épargne, celle-ci peut couvrir, macro-économiquement parlant, les besoins de l’Etat. Pour cette raison, le taux d’épargne des ménages ou le ratio entre l’épargne des ménages et le déficit public sont bien plus importants que les deux indicateurs précités. On pourrait y ajouter que l’épargne des ménages au cours d’une année fait gonfler le stock de richesse global de ceux-ci. Pour mesurer la solvabilité d’un Etat, on pourrait donc considérer également le rapport entre le stock de dette du secteur public et le stock de richesse des ménages. Car finalement, n’est-ce pas le patrimoine des ménages qui garantit la capacité de financement de l’Etat ?

Le cas de la Belgique est ici intéressant. Certes, le ratio d’endettement est de l’ordre de 100 % du PIB et le déficit de 4,8 % cette année probablement. Les mauvaises langues, même relayées par le Financial Times, diront que c’est un bilan proche de celui de la Grèce ou du Portugal. Et pourtant, en excluant le patrimoine immobilier, le stock total de richesse nette des ménages belges atteignait pas moins de 715 milliards d’euros en 2009, soit deux fois la dette totale de l’Etat. N’est-ce pas une belle garantie pour la capacité de remboursement de l’Etat ? Si l’on y ajoute un taux d’épargne parmi les plus élevés d’Europe, on se rend déjà compte à quel point la situation belge n’a rien à voir avec celle des pays actuellement dans le collimateur des marchés financiers.

Indicateurs de courage politique

Il faudrait enfin compléter ce tour d’horizon des indicateurs de solvabilité par des éléments plus qualitatifs. Il s’agit principalement de la capacité (ou faudrait-il dire le courage ?) politique à implémenter des réformes structurelles profondes lorsque la dynamique de la dette devient explosive et/ou à ponctionner les moyens nécessaires à l’équilibrage des finances publiques. Ces indicateurs qualitatifs sont évidemment très difficiles à définir : stabilité politique ? Poids de la majorité au pouvoir ? Horizon électoral ? Mais ils ont démontré toute leur importance récemment : si le plan concocté pour la Grèce est économiquement viable, rien ne garantit aujourd’hui qu’il pourra être implémenté. Socialement, ce pays est au bord de l’implosion. Dans le même ordre d’idées, on peut douter de la capacité du gouvernement français à retarder l’âge de la retraite pour faire face au problème des finances publiques et du vieillissement de la population. Et heureusement, les indices de vulnérabilité calculés jusqu’à présent ne prennent pas en compte ce type d’indicateurs, car l’incapacité de la Belgique à engager toute réforme structurelle pèserait très lourd dans le classement, et lui ferait perdre quelques places…

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