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Ce terrible mot en “R”… qu’on pourrait aisément éviter

Le langage du monde politique a ses codes. Ainsi, il est de bon ton d’affirmer que le gouvernement “prendra ses responsabilités”, une expression fleurant bon la maîtrise volontariste, alors qu’elle ne signifie rien ni n’engage à rien. A l’inverse, il n’est pas question pour un ministre digne de ce nom de prononcer le mot “austérité” : il est tellement plus valorisant d’évoquer la “rigueur”. Les économistes ne s’imposant pas de telles contraintes, ils furent nombreux à annoncer une récession en Europe au lendemain de la publication des chiffres relatifs à l’évolution du PIB au deuxième trimestre.

Tandis que l’Allemagne a fait un peu mieux que prévu, avec une croissance de 0,3 %, et que la France a évité le rouge de justesse, l’enlisement des pays du sud, comme la chute de la Finlande (-1 %) d’ailleurs, impriment un triste -0,2 % tant pour l’ensemble de l’Union que pour la zone euro. Cette dernière avait déjà avoué -0,3 % au quatrième trimestre de l’an dernier. Avec une croissance nulle, mais pas négative donc, durant les trois premiers mois de cette année, l’eurozone échappait toutefois formellement à la récession, dont la définition exige deux trimestres successifs dans le rouge. Nul ne doute aujourd’hui que le trimestre en cours sera lui aussi affublé d’un signe négatif. En un mot comme en cent, nous sommes bel et bien en récession.

C’est un douloureux retour de manivelle, car l’Europe avait fait très bonne figure au lendemain de la crise, en particulier au début 2010, quand elle damait le pion aux Etats-Unis. Rebelote au début 2011, au point que notre croissance dépassait celle des Etats-Unis avant ce dernier trimestre 2011 qui a vu la tendance s’inverser complètement. Que s’est-il donc passé ? Il serait hasardeux de mettre cette panne sur le compte de la seule austérité, cette “rigueur” que tous les pays se sont imposés, à des degrés divers. Seule, peut-être pas. Mais qui oserait prétendre qu’elle n’y contribue pas, et sans doute très largement ? Comment ne pas remarquer, a contrario, que Washington ne s’y est toujours pas attelé et que son économie tient finalement le coup sur la durée ?

Sur les 10 premiers mois de l’exercice en cours (clôturé au 30 septembre), le déficit budgétaire américain est en repli de 11,5 % par rapport à l’an dernier, grâce notamment au bond de 30 % des recettes fiscales provenant des entreprises. Exprimé en pour cent du PIB, il devrait revenir à 7,8 %… ce qui est évidemment colossal suivant les normes européennes. Faut-il rappeler que la Belgique vise les 2,8 % ? Ce déficit calamiteux n’empêche pas le Trésor d’emprunter sur 10 ans à 1,6 % environ ces derniers mois, soit

à un taux proche de celui de l’Allemagne. Pays dont le déficit budgétaire est inférieur à 1 % !

Quel est ce miracle ? Point de miracle, mais une décision audacieuse : l’achat massif d’obligations d’Etat et autres papiers à long terme (notamment hypothécaires) par la banque centrale. La Fed ne ramasse pas tout, mais elle soutient les cours. Ceci rassure les autres acheteurs, qui maintiennent leurs emplettes. La leçon est claire : une politique semblable, menée par la BCE ou toute autre instance ad hoc, ne sauverait pas seulement les pays en difficulté, mais aussi la conjoncture européenne. Cela ne semble malheureusement pas limpide à tout le monde…

GUY LEGRAND, DIRECTEUR ADJOINT

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