Taux de la Fed: “L’incertitude fait plus de dégâts que la hausse elle-même”

Le Cri, Edvard Munch. © Wikicommons

Puisque la hausse des taux américains semble inévitable, les grands pays émergents pressent la Fed d’agir au plus vite, si possible dès cette semaine, pour mettre fin à une incertitude néfaste pour leurs économies déjà fragilisées.

Loin de vouloir repousser un durcissement monétaire, qui risque pourtant de les affecter en agissant comme un “aimant à capitaux” au bénéfice des Etats-Unis, les banquiers centraux des grandes économies émergentes multiplient les appels à l’action, alors même que leurs économies sont déjà sous la pression du ralentissement chinois, de la chute des matières premières et de la perspective de ce relèvement de taux.

“Ce qui est surprenant, c’est que nombre de banquiers centraux des pays émergents avec lesquels je parle souhaitent le relèvement le plus tôt possible”, a déclaré la semaine dernière à Tokyo à la Nikkei Asian Review Julio Velarde, chef de la banque centrale du Pérou.

“L’incertitude sur le moment de la hausse des taux fait plus de dégâts que la hausse elle-même n’en fera”, a-t-il assuré aussi au Financial Times.

Le gouverneur de la banque centrale sud-africaine Lesetja Kganyago reconnaissait, lui, cet été, que la devise du pays “restait vulnérable à la réaction du marché face à la normalisation” de la politique monétaire américaine, en raison du “double déficit” de l’Afrique du Sud. Comme elle, certains émergents ont à la fois une balance courante déficitaire et un déficit budgétaire, ce qui les rend particulièrement vulnérables.

Les marchés et les pays émergents ont en tête le précédent malheureux de l’été 2013. A l’époque, la simple évocation par le patron d’alors de la Fed, Ben Bernanke, d’une future hausse des taux avait semé la panique et des capitaux avaient été retirés en masse des pays émergents.

Ceux-ci avaient alors frôlé une crise des balances des paiements, avec des poussées d’inflation, des faillites en cascade et une explosion des déficits publics.

Si ces risques ne sont pas totalement écartés, cette fois-ci les pays émergents veulent aussi voir le message positif qu’enverrait une hausse des taux américains, maintenus à zéro ou presque depuis la crise financière.

Mais à en croire les dernières analyses, les pays émergents pourraient toutefois être déçus.

Passer à autre chose ?

Les membres du Comité de politique monétaire (FOMC) américain rendront leur verdict jeudi à 18H00 GMT, et il y a quelques semaines, les marchés pariaient en masse sur une annonce de durcissement monétaire. Mais les dernières statistiques mitigées sur l’emploi américain et les inquiétudes autour de la Chine pourraient inciter Mme Yellen à patienter encore un peu.

Si malgré tout elle passe à l’action, la spéculation continuera de plus belle, avertit déjà Philippe Waechter, économiste de la banque Natixis AM: les pays émergents “se disent que si les Etats-Unis bougent, la question de la sortie des capitaux sera réglée et ils pourront passer à autre chose. Mais je n’en suis pas sûr”.

“Il est préférable d’avoir une action (monétaire) précoce, une hausse bien annoncée et progressive”, souhaite par exemple Raghuram Rajan, gouverneur de la banque centrale indienne, au Wall Street Journal.

Pour M. Waechter, il est pourtant peu probable que la Fed enclenche un durcissement monétaire “en marches d’escalier”, avec une hausse faible à chaque réunion. Et, “s’ils montent jeudi, vendredi matin on se demandera quel sera le coup d’après”.

La question monétaire ne doit selon lui pas faire oublier les problèmes de fond des pays émergents, qui doivent trouver de nouveaux relais de croissance. L’essoufflement de la Chine comme la baisse du prix des matières premières mettent en effet à mal des économies très dépendantes de leurs exportations, sans que la demande américaine ne permette jusqu’ici de compenser.

La Banque des règlements internationaux (BRI) s’est elle inquiétée lundi des fragilités financières des économies émergentes, où les politiques monétaires exceptionnellement généreuses au niveau mondial ont favorisé un boom du crédit et de fortes hausses des prix de l’immobilier notamment.

“Ce que nous voyons ne sont pas des tremblements isolés mais le dégagement d’une pression qui s’est graduellement accumulée au fil des années le long des grandes lignes de faille”, a jugé Claudio Borio, directeur du département monétaire et économique de la très orthodoxe “banque centrale des banques centrales”.

Avec l’AFP

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