La justice néerlandaise réveille le dossier Fortis

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La cour d’appel néerlandaise ouvre la voie à des indemnisations pour les actionnaires lésés. En Bourse, l’action Ageas a été chahutée. Un moment suspendue, elle a perdu jusqu’à 19% ce mardi.

La justice néerlandaise a rendu un arrêt qui réveille le dossier Fortis. Contrairement à la Belgique où les actionnaires mécontents de Fortis n’ont pu introduire une véritable “class action”, cinq cents actionnaires néerlandais avaient créé une fondation, la stichting FortisEffect, qui avait “esté en justice”.

Avec succès, donc, puisque la Cour d’appel d’Amsterdam a rendu un jugement qui condamne Ageas (l’héritière de Fortis) pour communication trompeuse lors de la première augmentation de capital du groupe, entre les 26 et 30 septembre 2008 .

Quand Fortis a-t-il menti ?

A ce moment, souvenons-nous, on pense encore que l’Etat néerlandais interviendra de concert avec la Belgique et le Luxembourg pour sauver le groupe. La Belgique est prête à injecter 4,7 milliards, le Luxembourg 2,5 milliards et les Pays-Bas 4 milliards.

Un week-end plus tard, on se rendra compte que ce sauvetage ne tient pas la route, en raison notamment de la volonté des Pays-Bas, qui s’estiment lésés dans ce deal, de faire cavalier seul. Et l’on se décide alors à dépecer Fortis : les actifs néerlandais (banques et assurances) seront repris par les Pays-Bas, les actifs bancaires belges seront vendus à BNP et l’assurance belge et internationale restera aux actionnaires de Fortis, sous le nouveau nom d’Ageas.

Que dit la justice néerlandaise ?

Que pendant les quelques jours entre le premier et le second sauvetage de Fortis, la société a menti. Non seulement elle a, dans ses communiqués, enjolivé la situation (le président du conseil de Fortis Bank Nederland se réjouit par exemple le lundi 29 septembre, d’une recapitalisation qui “met fin à une situation instable et permet de restaurer la confiance dans notre société”. Mais Fortis, en outre, a occulté des éléments négatifs : le groupe assure par exemple que l’argent de la recapitalisation soit parvenu sur ses comptes, ce qui n’est pas le cas.

Quelle est la portée de l’arrêt ?

Après avoir été condamné à une amende restreinte (quelques centaines de milliers d’euros) par les régulateurs belge et néerlandais, après avoir été condamnée par l’Ondernemingskamer (le Tribunal de Commerce néerlandais), cette décision au civil ouvre la voie à des indemnisations importantes pour les actionnaires. En effet, pendant la période concernée, entre le 26 septembre et le 3 octobre 2008, l’action Fortis a chuté de 5 à 0,8 euros. Il y avait alors 1,2 milliard d’actions Fortis dans le marché. “Le dommage peut donc se chiffrer en milliards d’euros” observe Adriaan De Gier, l’avocat de FortisEffect.

Ageas, de son côté dit “regretter la décision de la Cour”. L’assureur ajoute qu’il “procédera à une analyse approfondie de l’arrêt et envisagera d’éventuelles mesures.”

Est-ce une victoire importante ?

“C’est une victoire totale, mais qui a pour l’instant un objet limité, commente Me Laurent Arnauts, qui fédère les intérêts de 1.300 actionnaires belges et indique qu’il pourrait se joindre à la procédure néerlandaise pour faire déjà bénéficier ses clients belges du versement d’une indemnité partielle sur base de ce jugement. Victoire totale, dit-il, parce qu’elle est obtenue en juridiction d’Appel (il ne reste donc plus que la possibilité de la Cassation pour inverser la décision). C’est aussi un arrêt modèle, ajoute l’avocat, parce que la justice néerlandaise, dans ses attendus, se sert de la jurisprudence de la Cour européenne de Justice. Elle applique déjà le droit européen en droit national. Mais l’objet de la décision reste limité, poursuit Laurent Arnauts, puisqu’il ne concerne que la semaine du 26 septembre au 3 octobre 2008.”

Toutefois, dans ses attendus, le jugement de la Cour de Justice d’Amsterdam mentionne aussi les événements antérieurs de 2008 : la communication trompeuse sur l’impact des subprime et sur le difficile bouclage du financement du rachat d’ABN Amro. Ce jugement pourrait donc apporter de l’eau au moulin des actionnaires qui s’estiment lésé par une communication trompeuses du groupe bien avant la fin septembre 2008.

Ageas n’a pas provisionné.

“Il y a toutefois une affaire dans l’affaire, ajoute encore Laurent Arnauts. Ageas n’a pas provisionné les risques de ce litige, s’étonne-t-il. Alors que la plupart des institutions financières touchées par la crise ont constitué des provisions en raison d’un risque de litige ou, à tout le moins, ont mentionné une fourchette d’un risque de dommage, Ageas n’a rien provisionné. Au contraire, poursuit Laurent Arnauts, la société a joué à Saint Nicolas en distribuant de jolis dividendes, en rachetant ses propres actions et en envisageant des acquisitions. Cette absence de provision est pour moi une affaire dans l’affaire”, ajoute l’avocat bruxellois.

Pierre-Henri Thomas

Ageas poursuit sa descente aux enfers Mercredi 30/7 – 11h40 : Le cours de l’action Ageas continue à plonger mercredi. A 11h, elle avait perdu 8,8% par rapport à la clôture de la veille, lorsqu’elle avait déjà enregistré un recul de 7,58%. L’action vaut actuellement 25,35 euros.

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