Hollande plus fort que Sarkozy pour vaincre la finance ?

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La formule a fait mouche. François Hollande a désigné dimanche au Bourget son seul vrai adversaire : “la finance sans visage”. Mais le candidat socialiste a-t-il les moyens de ses ambitions ? Les réponses de Dominique Plihon, économiste spécialiste de la régulation.

La ” finance sans visage “, premier adversaire du candidat socialiste, la formule utilisée dimanche au Bourget par François Hollande a fait mouche. Dans les rangs de la majorité on l’a même un peu moquée : déclarer que la finance est l’adversaire “c’est aussi idiot que dire je suis contre la pluie”, a notamment réagi François Baroin. Pourtant, avant lui, d’autres se sont attelés à la difficile tâche de réguler la finance mondiale, au premier rang desquels Nicolas Sarkozy. N’en déplaise au ministre de l’économie, le candidat socialiste vient de récupérer avec une grande habilité l’un des thèmes favoris du Président de la République. Mais aura-t-il les moyens de ses ambitions ? Interview de Dominique Plihon, économiste professeur à Paris XIII, membre d’Attac et du collectif les Atterrés.

La finance est-elle à l’origine de tous les maux de l’économie, comme le suggère François Hollande?

La crise que nous traversons est une crise du capitalisme financier. C’est la libéralisation financière à outrance qui nous a conduit à la situation actuelle. Il ne s’agit toutefois pas de remettre en cause l’utilité de la finance. Lorsqu’elle est mise au service de la société, la finance peut s’avérer précieuse, comme l’ont prouvé certaines périodes de l’histoire, les 30 Glorieuses par exemple. En revanche, les économistes libéraux se sont trompés sur sa capacité à s’autoréguler. Sans un contrôle strict par les autorités, la finance finit toujours par se pervertir. Keynes a été l’un des premiers à s’en rendre compte : “Lorsque l’organisation des marchés se développe l’activité de spéculer l’emporte sur l’activité d’entreprendre “, écrivait-il dans sa Théorie générale.

Pensez-vous que les propositions de François Hollande soient crédibles?

Dans l’ensemble, les propositions du candidat socialiste ne sont ni surprenantes ni révolutionnaires. Toutefois elles vont dans le bon sens : la taxe sur les transactions financières par exemple est infiniment souhaitable, tout comme la séparation des établissements financiers en banque de dépôt et banque d’affaire. Une fois ce constat fait, il reste à savoir si François Hollande traduira ses idées en acte. Aujourd’hui l’exemple de Nicolas Sarkozy rappelle que rien n’est gagné. Disons seulement que le candidat socialiste a pour lui le bénéfice du doute, quand le chef de l’Etat nous a déjà prouvé qu’il n’était pas prêt à réformer le système en profondeur.

La taxe sur les transactions financières est “infiniment souhaitable” dites-vous, même si tout le monde n’en veut pas, notamment la Grande Bretagne?

Pour rendre la mesure la plus efficace possible, il faudrait la mettre en place à l’échelle mondiale. Mais cela ne signifie pas qu’elle serait complètement inutile dans le cadre d’une coopération renforcée entre les quatre pays européens qui y sont favorables, en l’occurrence la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie. Aujourd’hui, il existe un projet de directive européenne tout à fait crédible pour limiter la spéculation et abonder un budget européen utile en ces périodes de disettes budgétaires. Une autre vertu de cette taxe serait de relancer la construction européenne par la mise en place d’un impôt commun.

Certains économistes estiment déjà qu’une taxe trop faible aurait un impact limité sur la spéculation…

C’est faux. Prenez l’exemple du trading haute fréquence, qui s’appuie sur des micro-opérations réalisées à intervalles très courtes. Si à chaque opération de vente et d’achat, vous ponctionnez une partie de son montant, même 0,05%, je peux vous assurer que cela dissuadera certains brokers. Actuellement, le danger serait plutôt que la taxe se résume à un impôt de Bourse, comme certains proches de Hollande commencent à l’envisager. Cela conduirait à en exclure toutes les opérations hors marché, réalisées de gré à gré. Autant dire que cela n’aurait pratiquement plus aucun intérêt.

L’autre proposition phare du candidat socialiste est la séparation des banques de dépôts et de marché. En quoi cela pourrait réduire le risque systémique ? Lehman Brother par exemple était une simple banque d’investissement…

C’est exact, mais là encore, il ne faut pas en tirer de conclusions trop hâtives. Sur le principe déjà cette séparation aurait du sens. Les banques sont aujourd’hui des mastodontes aux pouvoirs colossaux qui empêchent toute forme de concurrence, présentent un risque considérable pour l’économie, et disposent d’une puissance telle que les gouvernements sont dans l’incapacité de les contrôler. Il est donc intellectuellement et démocratiquement souhaitable d’en réduire la taille.

Reste à savoir comment le faire. Aujourd’hui, la séparation des activités de dépôts et de marché semble la solution la plus adaptée. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas normal que les acteurs de la vie économique puissent être fragilisés par les activités spéculatives des banques de marché. Or si les banques d’investissement ont besoin de la banque de détail pour vivre, l’inverse n’est pas vrai.

Idéalement, la séparation totale entre les deux activités est la plus à même de répondre à la double question de la taille et de la connectivité entre les activités de dépôt et de marché. Ce n’est pas la solution qui a été adoptée aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, qui ont préféré sanctuariser au sein des établissements financiers la banque de détail. Quoi qu’il en soit, l’efficacité devient réelle lorsque la loi tend à diminuer l’aléa moral des banques d’affaires : si ces dernières peuvent plus facilement faire faillite, alors leur comportement face au risque se modifiera en conséquence.

Les Etats-Unis et la Grande Bretagne seraient donc des exemples à suivre. Paradoxal, non?

Il ne s’agit pas d’ériger les Etats-Unis et la Grande Bretagne comme des modèles absolus, bien au contraire. Toutefois, force est de constater que sur certains points, ils sont allés beaucoup plus loin que les Européens, et notamment en matière bancaire. L’équivalent américain du conseil européen de risque systémique est par exemple doté d’un pouvoir de contrôle et de sanction beaucoup plus important que son homologue européen.

Encadrement des bonus, paradis Fiscaux… les différents G20 n’ont-ils pas déjà essayé de faire évoluer ces pratiques? Comment François Hollande pourrait-il s’y prendre pour que ça change?

Comme la plupart des sujets qui ont été abordés aux G20, les bonus et les Paradis fiscaux ont été un échec total parce que les gouvernements n’ont pas voulu se donner les moyens de s’attaquer au fond du problème. Aujourd’hui, il n’y a plus aucun Etat sur la liste noire de l’OCDE, et même Nicolas Sarkozy a abandonné l’idée de défendre son bilan en la matière. En réalité, pour mettre un terme à la fraude fiscale, il faut que la liste des Paradis Fiscaux soit établie par des experts indépendants des autorités publiques, mais surtout que les entreprises déclarent elles-mêmes leurs filiales à l’étranger. C’est en renversant la charge de la preuve que l’on mettra de la transparence dans le système, et que la pression de l’opinion publique pourra jouer à plein. Mais aujourd’hui les gouvernements ne sont pas prêts à aller si loin…

Quelles pourraient être les autres propositions pour réguler la finance mondiale?

De nombreuses pistes restent à explorer. Le rôle de la BCE par exemple dans le financement de l’économie devrait être repensé. Il n’est en effet pas normal que l’institution de Francfort refinance de manière indifférenciée tous les établissements bancaires. Pour dégonfler la dimension financière et spéculative des banques, il faut en effet que la BCE puisse donner la priorité à tel ou tel type d’investissements.

Autre réforme importante, celle de la gouvernance des grandes entreprises. Pour casser la logique dominante actionnariale, il est impératif d’introduire dans les conseils de surveillance des grands groupes des salariés, des usagers et des représentants de la société civile. Dans le cas contraire, il n’y aura personne, là où les décisions se prennent pour insuffler le changement.

Trends.be, avec Lexpansion.com

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