Apple Intelligence : aveu d’échec ou 
coup de génie?

L’IA d’Apple permettra notamment de faire des réservations ou de retranscrire des appels téléphoniques. © Belga
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

La firme à la pomme a dévoilé ses plans pour intégrer 
de l’intelligence artificielle générative dans ses appareils. 
Une annonce très attendue qui a officialisé un partenariat 
avec OpenAI (ChatGPT). Mais, de la sorte, Apple admet-elle être incapable de faire elle-même de l’IA générative ?

Cela faisait longtemps que la Silicon Valley en parlait, que des bruits et des rumeurs couraient en coulisses. Tout a finalement été confirmé. Le boss d’Apple, Tim Cook, et le boss d’OpenAI, Sam Altman, ont en effet mis fin à de nombreuses spéculations lors de la dernière conférence Apple des développeurs : la firme à la pomme y a annoncé un partenariat avec OpenAI, nouvelle gloire de la tech internationale derrière ChatGPT, pour – enfin ! – intégrer de l’intelligence artificielle générative dans ses appareils.

C’est en tout cas ce qui a fait le plus de bruit après la Keynote d’Apple. Mais la firme de Tim Cook a aussi (voire surtout) annoncé le lancement de sa propre version d’intelligence artificielle avec un branding bien spécifique : Apple Intelligence (A.I. justement…). Une manière d’entrer de plein fouet dans LE créneau tech le plus hot du moment où on l’attendait depuis longtemps.

Comment décrypter cette annonce très attendue ? Est-ce un beau rattrapage de son retard ou un aveu d’échec en étant obligé d’amener OpenAI dans son bateau ? Réponse en sept questions.

1. Quelle était LA grosse info de la Keynote d’Apple ?

La presse a fait ses gros titres avec le partenariat Apple-OpenAI. En effet, l’innovateur du hardware s’associant à la star du moment en intelligence artificielle, cela ne pouvait que faire parler. Mais cela n’a pas toujours été très clair pour tout le monde : lors de sa dernière Keynote, Apple n’a pas seulement annoncé son partenariat avec la firme de Sam Altman. Une autre grande annonce a été faite : le lancement d’Apple Intelligence, sa propre version de l’intelligence artificielle.

Cette intelligence artificielle s’appuie sur une technologie spécifique, développée par Apple, qui permet de tourner, non pas dans le cloud, mais sur les téléphones de ses utilisateurs. Pour faire simple, la firme à la pomme “a créé un modèle, a priori, moins intelligent globalement que celui d’OpenAI, mais qui, grâce à l’accès aux infos du smartphone, permet de répondre à tous les besoins courants des utilisateurs au quotidien”, analyse Brice Le Blevennec, spécialiste de la tech et d’Apple en particulier.

L’Apple Intelligence ne fera pas tout, ni tout aussi bien que ChatGPT, mais Apple est parvenue à créer une IA qui répond de manière bluffante à de grands défis : rester en “local” sans transmettre d’informations personnelles et donc consommer moins d’énergie. De la sorte, elle aurait, selon le spécialiste, résolu deux points fondamentaux des difficultés de l’IA. “OpenAI et les autres acteurs comme Google font face à une difficulté fondamentale : le coût des serveurs, qui est gigantesque. A ce stade, elles déploient des infrastructures onéreuses qui consomment énormément d’énergie pour pouvoir répondre aux demandes des utilisateurs. Economiquement, le modèle n’est à ce stade pas viable. Avec ses petits modèles qui tournent sur le téléphone, Apple crée de l’IA quasi gratuite et c’est révolutionnaire.”

Et pour tout ce à quoi l’Apple Intelligence ne pourra pas répondre, les utilisateurs pourront interroger ChatGPT. Une approche qui pourrait se révéler gagnante.

2. Pourquoi le déploiement d’Apple Intelligence est-il fortement phasé ?

Si l’annonce d’Apple a été tonitruante, sa mise en application prendra un certain temps. En effet, la disponibilité d’Apple Intelligence ne se fera que très progressivement. Dans un premier temps, seuls les Etats-Unis sont concernés. Et encore : seuls les possesseurs d’appareils dernier cri comme l’iPhone 15 Pro ou les Mac/iPad de dernière génération. Ce qui ne doit représenter que 10 à 15 % des utilisateurs. Et pour autant qu’ils disposent de la version du système d’exploitation (iOS 18 et Sequoia). Sans oublier qu’Apple déclare lancer son IA en anglais avant toutes les autres langues. De quoi créer quelques déçus.

Mais, en réalité, c’est relativement malin de la part de la firme à la pomme. Et cela pour deux raisons. D’abord, parce que cela lui permettra de tester ses innovations sur les utilisateurs les plus à la pointe, donc potentiellement les plus friands de ce type de nouveautés. Et donc ceux qui seront les moins facilement découragés par les erreurs de jeunesse éventuelles et qui pourraient devenir les meilleurs ambassadeurs.

Le deal scellé entre Tim Cook et Sam Altman porterait sur un accord d’échange gratuit entre les deux entreprises. © Belga

Ensuite, en limitant la disponibilité de l’IA générative aux derniers modèles de l’iPhone, cela donne à Apple un argument pour inciter les utilisateurs de téléphone à renouveler plus vite leur appareil. Si par le passé, les propriétaires d’iPhone avaient tendance à changer d’appareil tous les deux ans en moyenne, c’est désormais tous les trois, voire quatre ans. Le cycle de renouvellement est donc plus long, ce qui n’arrange pas Apple. Il faut dire que le marché du smartphone a longtemps souffert d’un manque de véritable innovation technologique. Les annonces, ces dernières années, ont cessé de surprendre le grand public. L’IA et ce qu’elle promet de réaliser pourraient changer la donne.

3. Concrètement, que pourront faire les appareils d’Apple avec son IA maison ?

Apple Intelligence et une version améliorée de Siri, dopée par Apple Intelligence, offriront énormément d’avantages. Améliorer des textes, résumer des emails reçus, des messages ou des notifications. Créer des photos ou des illustrations à la demande. La recherche sera également facilitée ; les utilisateurs pourront demander à leur téléphone de retrouver une photo de leur “fils en train de courir sur la plage” ou “cette fameuse vidéo en Italie où ma femme est en train de manger une pizza”. L’IA d’Apple devrait aussi être en mesure de faire des réservations, de mener des recherches ou de retranscrire des appels téléphoniques. Bref, elle viendra s’embarquer au cœur du téléphone et jouera le rôle que tant d’utilisateurs attendent : leur simplifier la vie.

Apple est parvenue à créer une IA qui permet de rester 
en “local” sans transmettre d’informations personnelles et donc consommer moins d’énergie.

4. Quel deal est prévu entre Apple et OpenAI ?

Comme à son habitude, le géant de la tech ne dévoile rien de financier quant au partenariat avec la firme derrière le robot ChatGPT. Et si certains ont pu imaginer un deal en millions de dollars, il n’en serait rien. Il s’agirait plutôt d’un accord d’échange gratuit entre les deux entreprises. D’un côté, Apple peut s’appuyer sur OpenAI pour les requêtes de ses utilisateurs que son IA ne parvient pas à résoudre. De l’autre, OpenAI dope sa base d’utilisateurs. Certes, ils sont gratuits, mais ils permettent de toujours mieux entraîner son intelligence artificielle et, donc, à ChatGPT de garder sa longueur d’avance sur les concurrents. Ce peut être étonnant, car on sait que depuis des années, dans un autre domaine, Google paie à Apple des milliards de dollars chaque année pour occuper la place de principal moteur de recherche sur les iPhone et les iPad.

Mais ici, le deal gratuit semble confirmer qu’Apple n’était pas dans le même rapport de force en raison de son retard. C’est un joli coup pour OpenAI qui, désormais, occupera une place de choix dans quasi tous les ordinateurs de la terre au travers de son partenariat avec Microsoft, la majorité des nouvelles tablettes via l’iPad et une portion non négligeable de (nouveaux et futurs) smartphones grâce à l’iPhone. De quoi devenir un incontournable.

5. Apple sera-t-elle toujours liée à OpenAI ?

Aucune information n’est disponible sur la durée du partenariat entre les deux entreprises. Mais en annonçant également sa propre IA générative, la firme à la pomme se veut très claire : elle est en mesure de développer des algorithmes qualitatifs en matière d’intelligence artificielle. Et elle ne compte pas laisser les autres acteurs de cette nouvelle technologie prendre toute la place.

Impensable, en effet, que l’une des entreprises techs les mieux cotées de la terre soit totalement absente d’un marché aussi stratégique. D’ailleurs, les marchés ne le lui pardonneraient pas. Mais il y a fort à parier qu’Apple continue ses développements en interne… A voir si elle est capable de se passer totalement d’OpenAI à terme. Mais on peut évidemment l’imaginer.

6. Le partenariat avec OpenAI est-il vraiment une bonne chose ?

L’annonce d’un deal entre la firme à la pomme et OpenAI peut, de prime abord, laisser penser qu’Apple n’a pas eu le choix que de s’adosser à la société de Sam Altman en raison de son retard dans le train de l’IA générative. Et, de fait, c’est un peu le cas mais, d’un point de vue marketing, cela lui permet de donner à ses produits une image innovante puisque ChatGPT, le produit phare d’OpenAI, est désormais considéré comme le meilleur produit d’IA au monde. Cela laisse penser que les utilisateurs disposeront du meilleur outil qui soit. De quoi doper l’attractivité de l’iPhone.

Dans un premier temps, seuls 
les Etats-Unis sont concernés.

Ensuite, il y a du bon pour l’image d’Apple. La firme de Tim Cook a, depuis longtemps, joué la carte de la vie privée pour se démarquer notamment de ses rivaux Google et Facebook. Cela l’a particulièrement handicapée pour la mise en place d’outils d’IA générative. “Il n’est pas possible de faire une IA de qualité lorsque pendant des années vous ne prenez pas les données de vos utilisateurs, analyse Laurent Alexandre, observateur spécialisé du monde de l’IA. Apple s’est piégée avec un discours bienveillant.”

En s’associant avec ChatGPT, cela lui permet, pour les requêtes qui nécessitent le transfert de données, de se dégager de toute responsabilité. Et, si Apple communique bien, de conserver son image rassurante pour la vie privée de ses utilisateurs.

7. Apple donne-t-elle raison à Bill Gates ?

En 2023, le fondateur de Microsoft s’était exprimé sur sa vision du futur de la tech et de l’intelligence artificielle. L’homme à l’origine de Microsoft s’est dit convaincu que d’ici quelques années, chaque être humain disposerait d’un assistant personnel virtuel qui prendrait en charge toutes les tâches quotidiennes. On lui déléguerait les choses à faire… et il s’occuperait de tout tellement il nous connaît bien. D’une certaine manière, c’est ce qu’Apple Intelligence vise. “Si elle est plus bête que ChatGPT, elle a néanmoins un gros avantage : c’est qu’au lieu d’être capable de bien répondre pour la terre entière, elle est en mesure de bien répondre pour chaque individu, insiste Brice Le Blevennec. Elle a, en effet, accès à toutes les informations, y compris les plus personnelles, qui sont contenues dans le téléphone et dans toutes les applications.”

Par ailleurs, l’Apple Intelligence serait en mesure de communiquer avec toutes les applis installées et donc de leur demander de réaliser des tâches. Et c’est peut-être là le coup de génie d’Apple : avoir trouvé comment faire une IA capable de vraiment assister chaque utilisateur au quotidien, tout en réglant la question du prix des requêtes lourdes et de la consommation d’énergie…

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