Bart De Wever est venu, a vu et a vaincu, écrit la presse flamande

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Les éditorialistes des journaux flamands sont très largement d’accord dans leur analyse des résultats des élections: Bart De Wever a créé la grande surprise en adoptant une stratégie du tout ou rien. Tant au niveau flamand qu’au niveau fédéral, les cartes sont plus favorables que jamais pour le leader de la N-VA, pointent-ils.

Tel Houdini, Bart De Wever s’est libéré des entraves d’une défaite, dit De Standaard. “Le votant belge a remélangé les cartes, mais a déjoué toutes les prévisions. Et au milieu brille Bart De Wever”, précise le quotidien” (…). “Grâce à une audace, une bravoure et une chance inégalées, De Wever force la chance de sa vie politique. Il a maintenant une chance historique de relancer négociations pour l’autonomie flamande”.

“Per aspera ad astra” était sa devise latine du jour. Par les chemins les plus difficiles vers les étoiles. De Wever est parvenu à faire changer d’avis une  partie de ces électeurs qui avaient l’intention de voter pour le Vlaams Belang. Faisant au passage de Tom Van Grieken (trop simpliste sur le plan économique, trop étroit et conservateur sur le plan éthique, et trop revanchard en termes de ton), l’homme qui n’a pas réussi à mener la marche victorieuse prévue” dit encore De Standaard.

Pourtant il y a victoire du côté du Vlaams Belang  (22,8% de voix, soit +4% aux élections flamandes), mais “elle est amère” puisque Tom Van Grieken avait mis sa barre trop haut. L’objectif officiel était : devenir le plus grand, avec au moins 1 million de voix. “Une barre certes haute, mais à une hauteur relativement sûr pensait-il. D’autant plus que le parti rêvait secrètement d’un résultat avoisinant les 30% qui mettrait sérieusement sous pression le cordon sanitaire. Mais après une campagne chancelante, les deux buts ne sont pas atteints”. Il fait même moins bien que les scénarios les plus pessimistes. « Nous n’avons pas réussi » a avoué le président du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, après cette douche froide inattendue. “Il n’y aura donc pas de scénario hollandais à la “Wilders” en Flandre pour le Vlaams Belang” dit encore De Standaard. La faute à un recentrage sur les questions (trans)genre, cette posture anti-woke aura fait peur et fait passer le thème de la migration au second plan. En n’adoucissant pas son ton et s’attaquant sévèrement à Bart De Wever, décrit comme “l’incarnation de l’inauthenticité”, il a aussi fermé la porte à toute participation au gouvernement. “La voie semble ouverte pour cinq nouvelles années d’opposition. Une pilule amère à avaler. Surtout parce que le parti, si De Wever forme une autre majorité, ne peut même pas dire que la démocratie a été détournée” dit De Standaard.

“Better the devil you know” dit-on en anglais : mieux vaut le diable que l’on connaît. De nombreux électeurs flamands de droite ont finalement préféré la recette éprouvée de la N-VA à l’aventure radicale du VB, précise De Morgen. “Ce succès montre que la campagne compte vraiment. De Wever lui-même s’est pleinement engagé dans la bataille électorale avec une stratégie audacieuse, mais indéniablement réussie. Il a gardé ses munitions pour le sprint final, avec les moments de campagne télévisés, et a ensuite fait tonner tous les canons ».

“Rarement Bart De Wever a-t-il été aussi agile”, dit encore De Standaard. “Bart De Wever, l’homme aux 250 000 voix, est venu, a vu et a vaincu. Il apporte à lui seul presque un quart de tous les votes de la N-VA pour la Chambre”.

En axant une partie de la campagne sur  “le Flamand travailleur” c’est aussi L’Open VLD qui en paie le prix. Il aura aussi détourné de la N-VA la frustration vers la politique. C’est Alexander De Croo et non lui qui en est progressivement devenu l’incarnation. “Bart De Wever est parvenu à diriger toute l’attention critique vers Vivaldi Cela a permis d’éviter de parler du bilan du gouvernement flamand et, peut-être plus important encore, de dépeindre à nouveau un vote pour le Vlaams Belang comme inutile”.

Comme le précise encore Walter Pauli du Knack, “la gauche peut aussi le reconnaître pour une fois : Bart De Wever a sauvé la démocratie flamande de bien pire ce dimanche.”

Pas forcément une promenade de santé et une coalition en forme de glace

La campagne de Bart De Wever n’a pas fait que mal au Vlaams Belang. Elle aussi fait des ravages chez les autres membres du gouvernement. Seul Vooruit a échappé à la punition de l’électeur. Les socialistes flamands deviennent le troisième plus grand groupe et Conner Rousseau aura depuis la dernière place en Flandre orientale fait le job. Concrètement après dix ans, la coalition actuelle de centre-droit entre la N-VA, le CD&V et l’Open VLD touche à sa fin, dit encore De Standaard.

“Le fait que la N-VA reste la plus grande, au niveau flamand et fédéral, est un tour de force entièrement dû à la figure de Bart De Wever”, a analysé Liesbeth Van Impe dans Het Nieuwsblad. “En tant que candidat déclaré au poste de Premier ministre, il s’est ainsi donné un mandat clair.” Mais, a ajouté Liesbeth Van Impe, “la méfiance qui a déterminé la campagne n’a pas disparu avec ce résultat”, soulignant qu’il serait “prématuré” de dire que tout se passera “rapidement et facilement”. Mais une chose est certaine pour l’éditorialiste flamande, Bart De Wever n’aurait “jamais pu rêver” avoir de “meilleures cartes en main”.

“Aucun homme politique n’a mené une campagne aussi sophistiquée que Bart De Wever. Dès le début, il a fait savoir très précisément ce qu’il voulait: pas de Vivaldi II et une réforme du pays pour remettre de l’ordre dans le budget”, écrit Kris Vanmarsenille dans Gazet van Antwerpen. “Il a créé une sorte de piège qui a conduit ses électeurs potentiels à un seul choix: le premier ministre De Wever ou un pays en proie au chaos.”

Un avis partagé par De Tijd. “M. De Wever a reçu un mandat beaucoup plus clair que tout le monde et lui-même ne le pensaient. Il doit maintenant commencer à mettre en œuvre les piliers sur lesquels repose sa victoire auprès des électeurs flamands. En outre, il y a également un changement fondamental vers le centre-droit en Belgique francophone, avec des gains pour le MR et Les Engagés (…) Cela offre la perspective d’une (des) coalition(s) possible(s) avec la N-VA, et non pas la paralysie que l’on craint généralement”, a écrit Isabel Albers sur le site internet De Tijd.

“Le fait que le président du VB, Tom Van Grieken, ne mène pas la danse en tant qu’informateur lundi est peut-être le plus grand soulagement pour De Wever”, précise encore De Tijd. En effet, la formation de la coalition ne sera pas une promenade de santé. La coalition la plus évidente, la “raketcoalitie” (la « coalition des fusées », d’après la célèbre crème glacée Ola), soit N-VA, Vooruit et CD&V – dispose d’une majorité assez étroite, mais faisable. “Le fait que la N-VA et le Vlaams Belang n’obtiennent pas la majorité évite à De Wever une discussion interne délicate. Et avec le score du son parti, il s’approprie un levier pour imposer sa présence au sein du gouvernement fédéral. Mais De Wever ne transforme pas ces paroles en menace. Au niveau fédéral, ses cartes sont très bonnes, mais il existe des alternatives”, dit encore De Tijd.

Le dur chemin vers les étoiles ne fait que commencer, selon l’analyse politique de la VRT, Ivan De Vadder
“Si aucune majorité n’est possible avec le Vlaams Belang, aucune majorité n’est possible au parlement flamand sans la N-VA de Bart De Wever. Avec le glissement de terrain politique du côté francophone, une formation d’une coalition de centre-droit à la Chambre, même s’il reste encore quelques obstacles à franchir. En effet, copier la majorité flamande avec Vooruit et CD&V au niveau fédéral et la combiner avec une majorité francophone de centre-droit composée du MR et des Engagés se heurte à une objection pratique qui place les socialistes en particulier devant un choix difficile : Vooruit entrera-t-il dans le gouvernement fédéral sans son parti frère, le PS ?”

“Ces étoiles favorables font aussi peser un lourd fardeau sur les épaules du président de la N-VA. Il dispose d’une occasion historique, après 20 ans, de changer la donne dans le pays. Mais cette position le rend également vulnérable, car s’il ne parvient pas à saisir cette opportunité, il se retrouvera avec des pays vides. La première objection n’a pas tardé ce matin. Le président des Engagés, Maxime Prévot, a dit « oui à un gouvernement avec la N-VA, mais non à Bart De Wever comme premier ministre », dit-il encore.

Si on ne sait pas tout à fait qui a vraiment gagné, on sait clairement qui a perdu

De Morgen fait lui remarquer qu’il est difficile de distinguer qui peut réellement revendiquer la victoire après ce dimanche électoral surprenant du 9 juin 2024 ? Si l’on regarde strictement le gain en pourcentage, alors… le PTB est le gagnant surprenant, avec une progression d’environ 3 points de pourcentage et qui dépasse l’Open Vld et Groen dans la Flandre prospère et libérale. Et si le parti de Bart De Wever n’a pas gagné le plus, mais il est psychologiquement et politiquement le grand vainqueur de la journée électorale.

Il y a moins de débats sur le grand perdant de cette journée électorale. Cela ne peut être que l’Open Vld, avec le Premier ministre Alexander De Croo en tête dit encore De Morgen. c’est rien de moins qu’une humiliation et très probablement aussi la fin de sa carrière politique en Belgique. De Croo paye son virage en pleine campagne, prenant soudainement ses distances par rapport à son propre gouvernement. Un choix imprudent, au moment où votre propre crédibilité et fiabilité sont mises en débat. A l’Open VLD, Selon la vieille tradition du parti, les poignards sont déjà prêts. Mais il reste à peine encore des dos pour les planter.

Il y a un autre gagnant selon De Morgen : Vooruit. C’est un constat quelque peu éclipsé par la démonstration de force de droite de la N-VA et du VB, mais le résultat est que la gauche gagne en termes de voix nettes. Comme la N-VA, Vooruit a su profiter d’une bonne campagne, avec le pouvoir d’achat comme thème central. Cela a incité de nombreux électeurs progressistes à voter tactiquement pour un parti de gauche classique, espérant qu’il pourrait fournir un contrepoids suffisant à l’austérité de droite annoncée. Cela s’est fait en grande partie au détriment de Groen, bien que les Verts aient évité le scénario cauchemardesque de disparaître sous le seuil électoral. Un ordre dispersé permet une plus grande portée. Cela n’est pas insignifiant, car cela donne à Vooruit un levier pour faire entendre une voix de gauche lors des prochaines négociations gouvernementales.

Comment la Flandre voit ce qu’elle qualifie presque unanimement de tremblement de terre wallon ?

“Grâce aux gains importants du MR de Georges-Louis Bouchez et des Engagés de Maxime Prévot, le centre-droit fait un bond en avant énorme”, dit De Standaard. “Le MR sort incroyablement gagnant de l’aventure Vivaldi, alors que Bouchez était constamment présenté comme un saboteur et un fauteur de troubles par les autres partis de la majorité et surtout Paul Magnette. Une ironie qui n’échappe pas aux observateurs flamands. On parle d’hémorragie rouge.

Beaucoup mettent aussi en évidence la différence entre le succès du MR et la claque magistrale de l’Open Vld. Bouchez déclare à ce sujet dans De Standaard: “J’ai dit que nous ne les laisserons pas tomber, mais si eux ne le veulent pas, ce n’est pas une raison pour nous de rester immobiles. Je l’ai déjà dit : ‘Vous pouvez inviter votre ami à table, mais vous ne pouvez pas le forcer à manger.'”

“Une main tendue par celui qui a aussi plombé De Croo”, fait remarquer pour sa part De Morgen. « Il a fait tomber le Premier ministre libéral dans le fossé, mais est maintenant le grand triomphateur. Et si avec un parcours audacieux et confiant, Bouchez a rendu le MR incontournable, le “conducteur fantôme de Vivaldi” parviendra-t-il à trouver des partenaires ? se demande encore De Morgen. Car, précise encore le quotidien Bouchez a souvent agi comme un parti d’opposition tout en étant un parti de gouvernement. La fameuse “partip-opposition” qui a rendu Bouchez extrêmement impopulaire auprès des autres partis, en critiquant constamment les propositions du gouvernement et en semant la division. Seuls les libéraux et le CD&V lui accorderaient encore un certain crédit. Bouchez le savait il devait devenir incontournable. “Depuis que je suis président, j’ai toujours eu ce calcul simple : que les gens t’aiment ou te détestent, tu dois marquer des points, obtenir des voix et finalement faire valoir ton poids”, a-t-il déclaré à ce sujet.

De Morgen signale aussi qu’avec la victoire retentissante du MR et des Engagés, il est même mathématiquement possible en Wallonie de gouverner sans le PS. Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, qui pourrait également diriger l’un de ces gouvernements, l’a déjà laissé entendre.

Mais comme le précise encore la VRT, “il reste encore quelques obstacles à franchir. En effet, copier la majorité flamande avec Vooruit et CD&V au niveau fédéral et la combiner avec une majorité francophone de centre-droit composée du MR et des Engagés se heurte à une objection pratique qui place les socialistes en particulier devant un choix difficile : Vooruit entrera-t-il dans le gouvernement fédéral sans son parti frère, le PS ?”

Et Bert Bultinck, rédacteur en chef du Knack de rajouter: “De Wever sait gagner des élections comme personne. Au cours des 20 dernières années, il a fermement maîtrisé le « logiciel » de la société flamande. Il s’agit maintenant de transformer son pouvoir politique sur le terrain. Ce terrain, c’est la Belgique. Ce terrain, c’est aussi le maintien de la dignité qu’il a lui-même évoquée dimanche soir.”

Alain Mouton du Trends précise lui en guise de conclusion que “Le PS est à ce point suspendu dans les cordes qu’il menace même de sortir du gouvernement wallon. Cela signifie qu’une majorité wallonne de centre-droit composée du MR et des Engagés devient possible. La Wallonie de gauche aurait alors un gouvernement plus à droite que la Flandre. Un nouvel exemple du surréalisme politique belge, semble-t-il”.

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