TikTok o’ clock: L’horloge de luxe est-elle toujours un symbole de statut pour le riche gentleman ?

Nattawin 
Wattanagitiphat 
pour Dior © WireImage

L’horloge tourne, et l’industrie horlogère de luxe s’adresse donc à des ­consommateurs plus jeunes. Sur TikTok et dans le monde physique, en misant sur le hip-hop et la K-pop… et avec une apparition de Snoopy.

L’acteur Nattawin Wattanagitiphat est apparu, comme sorti de nulle part, dans les Stories des journalistes horlogers du salon Watches & Wonders à Genève. Wattanagitiphat, également connu sous le nom d’Apo, est un jeune acteur thaïlandais. Il s’est fait connaître dans le monde entier avec la série boys love KinnPorsche, qui raconte l’histoire d’un jeune mafieux et de son garde du corps. Sur Instagram, il compte plus de quatre millions de followers.

Depuis l’année dernière, Apo est « ambassadeur » des collections masculines de Dior aux côtés de Mile, son partenaire dans KinnPorsche. Leurs apparitions aux défilés Dior, lors des deux dernières éditions de la semaine de la mode masculine à Paris, ont provoqué une hystérie collective parmi les ­hordes d’adolescentes, et de quelques garçons, derrière les barricades de la tente des défilés.

horloge symbole de statut
Nattawin Wattanagitiphat, acteur et ambassadeur de Dior et Piaget © Getty Images for Christian Dior

Lors du salon Watches & Wonders ­mi-avril, l’acteur a fait sa première ­apparition en tant que « global ambassador » de Piaget. Dans les Stories d’un collègue, il a raconté dans un ­entretien en tête-à-tête, un peu maladroitement, presque timidement, mais avec un sourire irrésistible, à quel point il trouve sa montre fantastique.

Le passage d’Apo dans la grisaille ­genevoise, sur un salon encore plus gris rempli d’hommes en costume, montre à quel point et à quelle vitesse le secteur de l’horlogerie a changé. Dans un monde numérique et largement dématérialisé, la montre est un anachronisme : elle existe encore principalement comme symbole de statut et comme accessoire. Il n’est pas surprenant, dès lors, que les garde-temps soient désormais commercialisés selon les recettes marketing éprouvées de la mode.

Tic tac TikTok

La tentative de rapprochement entre l’horlogerie et la mode ne date pas d’hier. De Bulgari à Chanel, presque toutes les grandes marques de luxe ont leur propre ligne de montres, ­souvent réputée. Le groupe de luxe LVMH, propriétaire de Dior, Louis Vuitton, Bulgari, Givenchy et Celine, entre autres, compte également ­plusieurs fabricants de montres dans son portefeuille : Tag Heuer, Zenith et Hublot. Piaget fait partie du groupe suisse Richemont, qui détient Cartier, A. Lange & Söhne, Baume & ­Mercier, IWC, Jaeger-LeCoultre, Panerai, Roger Dubuis et Vacheron Constantin, mais aussi les maisons de couture Alaïa et Chloé et, depuis quelques années, la maison belge ­Delvaux.

« Une montre coûteuse n’est plus 
le symbole de statut du gentleman riche, blanc, mature et 
majoritairement conservateur »

Cela fait un moment que les stars de la K-pop et autres célébrités asiatiques font la pluie et le beau temps lors des semaines de la mode à Paris, Milan et New York (pour qui n’avait jamais entendu parler d’Apo : en matière de culture pop, la Thaïlande est déjà presque aussi branchée que la Corée du Sud ; et elle s’impose progressivement comme un débouché majeur pour le secteur du luxe, montres ­comprises).

Mais le recrutement des idoles des jeunes par des marques horlogères est un phénomène assez récent. La chasse à la génération Z a commencé. Et avec elle, la remise au goût du jour des messages publicitaires et marketing archaïques, familiers et quelque peu dormants des marques… Merci TikTok et autres réseaux sociaux.

Apo incarne le « boyish charm », ­peut-on lire dans l’annonce faite par Piaget sur la page Instagram dédiée de l’acteur, qui y est par ailleurs décrit comme « perfect for the present time ». Une ambiance différente de celle du père de famille d’antan qui voyait avant tout dans sa montre un héritage intemporel à transmettre de génération en génération.

Une pièce collection parfaite

​En bref, une montre coûteuse n’est plus (seulement) le symbole de statut, et le jouet, du gentleman riche, blanc, mature et majoritairement conser­vateur. Même si collectionner des montres reste un hobby essentiellement masculin, tout comme les trains miniatures, les autocollants Panini, les Pokémon et les sneakers. Les montres sont désormais parfaitement adaptées aux comportements obsessionnels.

Tout d’abord, il y a un flux continu de nouveaux modèles et de variantes de modèles existants, souvent en édition limitée ; qui ne s’y prend pas à temps court le risque de rater sa chance. Une stratégie commerciale adoptée dans d’autres secteurs, du streetwear à la musique pop ; « Midnights », le précédent album de Taylor Swift, a été ­décliné en 35 versions différentes ­(notamment une série de disques ­vinyle avec différentes pochettes qui, lorsqu’on les met côte à côte, représentent les aiguilles d’une horloge ; peut-être une idée de Swift pour ­attirer les amateurs de montres), et ce chiffre sera probablement dépassé par son dernier album, « The Tortured Poets Department ».

Il y a aussi les collaborations occasionnelles avec des grands noms de ­l’industrie créative, de Keith Haring pour Swatch dans les années 80, deux pionniers, à DJ Snake et ­Hublot. Dans le domaine du streetwear et de la haute couture, c’est la ­recette du succès depuis des années.

L’aspect technique des montres, avec son vocabulaire pompeux souvent ­impénétrable pour les non-initiés, a beaucoup en commun avec la culture automobile : « Vous avez vu cette ­nouvelle Vacheron Constantin avec Les Cabinotiers Berkley Grand Complication, dotée de 63 complications ? » Cela explique peut-être pourquoi les garde-temps ont toujours été une passion plus masculine que, par exemple, les bijoux ou les sacs à main. Le monde de l’horlogerie reste aussi un peu machiste, comme on le remarque par exemple aux États-Unis, où ce sont aujourd’hui surtout les stars du hip-hop et les athlètes de la NBA qui affichent fièrement ce qu’ils ­portent au poignet dans la presse ­spécialisée, de Jay-Z à Drake. Il s’agit surtout d’une évolution logique, finalement : le collectionneur de montres traditionnel, dans son costume ­Brioni, un cigare dans une main et un verre de cognac dans l’autre, est progressivement en passe de devenir une espèce en voie d’extinction. L’élite du monde des affaires a été remplacée par des entertainers immensément ­riches avec une armée de fans.

High & low

Ce qui est intéressant, c’est le rapprochement entre le « high » et le « low », entre le luxe et la rue ; une évolution qui remonte à la collaboration entre Louis Vuitton et Supreme dans la ­mode masculine, en 2017. Il y a deux ans, la montre populaire Swatch à prix abordable a fait sensation en s’associant à Omega. La MoonSwatch, une version light cobrandée de la légendaire Speedmaster, a remporté un énorme succès. Selon Bloomberg, plus d’un million d’exemplaires ont été vendus en 2022. À moins de 300 euros, cette première MoonSwatch coûtait vingt-cinq fois moins qu’une « vraie » Speedmaster. Selon le Swatch Group, toute la collection Speedmaster d’Omega a surfé sur le succès de cette collaboration. Le mois dernier, une autre version a vu le jour, toute blanche, avec un Snoopy miniature, qui s’illumine dans l’obscurité. Swatch a également lancé quelques modèles avec Blancpain, une marque encore plus exclusive qu’ Omega.

« Il reste cependant une grande 
lacune sur le marché des marques 
de montres abordables présentant un attrait pour la street »

Avec leurs modèles Swatch, Blancpain et Omega s’adressent à un public plus jeune, les préparant à l’horlogerie « sérieuse ». À l’époque, c’était aussi l’idée derrière Louis Vuitton x ­Supreme.

Mais, si l’association d’Audemars ­Piguet avec un Spider-Man en 3D séduit, elle n’est pas à la portée de tous. Représentant Spider-Man dans un costume noir, cette montre a été ­fabriquée en 250 exemplaires : elle a été adjugée à 6,2 millions de dollars lors d’une soirée à Dubaï.

Il en va de même pour la Rolex ­Day-Date 36 « Puzzle Dial » en or Everose, avec des pièces de puzzle aux couleurs vives et une série ­d’émojis : un accessoire mignon (et un peu vieux jeu, aussi) pour qui a un compte en banque raisonnablement bien fourni. Comme Tom Brady, fier propriétaire d’une Puzzle Dial. Et ­mieux vaut peut-être commencer par une Rolex classique avant d’investir dans une version plus ludique.

Las des Classiques

Si Blancpain et Omega se sont dans un sens démocratisées grâce à leurs collaborations avec Swatch, la situation est diamétralement opposée du côté de Louis Vuitton. Vuitton, qui reste de loin la plus grande marque de LVMH, a récemment annoncé donner une nouvelle orientation à sa ligne de montres. La montre Tambour, le modèle masculin classique de Vuitton, est aujourd’hui repositionnée. Les versions les plus abordables disparaissent (et l’effet se ressent déjà sur les plateformes d’occasion, où les prix montent en flèche). Désormais, la Tambour est haut de gamme et exclusive. Vuitton suit ainsi l’évolution ­récente de la mode de luxe, qui se concentre de plus en plus sur les ­catégories de produits les plus chères et où les prix des sacs à main, par exemple, augmentent chaque année, s’éloignant ainsi progressivement des clients de la classe moyenne.

Vuitton continue toutefois de lancer des collaborations, comme elle l’a fait récemment avec Frank Gehry, l’architecte américain de 95 ans qui a notamment conçu la Fondation Louis Vuitton à Paris. Sa Tourbillon Tambour Moon Poinçon de Genève Sapphire réalisée en saphir est d’une transparence saisissante. Le cadran évoque les formes asymétriques et les effets de lumière des bâtiments de Gehry.

Hermès, qui reste une entreprise familiale, s’est associée à Apple : lors du lancement de l’AppleWatch, Hermès a lancé une gamme d’élégants bracelets en cuir pour accompagner la montre. Cette collaboration est toujours de ­mise et, d’un point de vue stratégique, elle est sans doute plus intelligente que les tentatives d’autres marques de créer leur propre smartwatch, comme l’a fait Michael Kors il y a quelques années. Après plusieurs décennies d’expérience avec le Birkin et le Kelly, Hermès sait comment faire battre le cœur des collectionneurs, et ses montres, parfois créées en collaboration avec les artistes qui sont également sollicités pour le design de ses foulards, comme ­l’illustrateur polonais Jan Baltjik, ­jouissent d’une bonne réputation.

Vacheron Constantin a présenté au Watches & Wonders une concept watch du couturier Yiqing Yin et du parfumeur Dominique Ropion, au cadran plissé en nacre et au bracelet parfumé. Selon la presse spécialisée, le salon de Genève a cette année mis l’accent sur les amatrices de montres, jusqu’ici souvent oubliées, qui sont peut-être moins intéressées par une mécanique époustouflante, et à juste titre, mais qui se laissent séduire par un habillage d’exception.

Par Jesse Brouns

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