Senteurs des mille et une nuits: Le Moyen-Orient comme épicentre de la parfumerie

Si la France se veut l’épicentre de la parfumerie, le Moyen-Orient s’impose de plus en plus dans les ­tendances internationales de la parfumerie.

TEXTE / Sofie Albrecht PHOTO / Amouage

Toutes les grandes tendances récentes dans l’univers de la parfumerie (des parfums non genrés aux parfums personnalisés, en passant par le layering) nous viennent du Moyen-Orient. L’influence de la culture de la parfumerie arabe s’est accrue en Occident ces ­dernières années. Sur le plan économique d’abord, puisque le marché des parfums au Moyen-Orient pèse 3,5 milliards de dollars, selon les estimations du bureau d’études de marché américain Expert Market Research. Ce marché croît chaque année plus rapidement que la moyenne internationale (7,4 % contre 5,9 %), selon les chiffres du bureau d’analyse de données britannique Global ­Data, grâce à l’augmentation du niveau de vie et à l’engouement de la jeune génération pour les parfums de luxe.

« Les marques de luxe internationales comme Tom Ford, Dior et Guerlain ont ­compris qu’il y avait beaucoup d’argent à ­gagner au Moyen-Orient », explique Alexandre Helwani, parfumeur et historien du parfum. « Elles se sont intéressées aux ­ingrédients typiques de la culture de la parfumerie arabe, tels que l’oud (voir encadré, ndlr), le musc, l’ambre, les roses, le safran et l’encens, et y ont apporté une touche de modernité. »

Une approche particulièrement au goût de la jeune génération, en quête d’innovation. « Ils achètent un parfum de oud de Louis Vuitton ou de Dior. Cela reste un parfum traditionnel, mais différent, avec le flair et le statut d’une marque de luxe occidentale. » Mais l’amateur de parfum européen, à la recherche de nouvelles expériences, peut également apprécier ce style de parfum arabe. Les fragrances sont plus riches et durent plus longtemps grâce à leurs formules à base d’huile et développées pour les climats chauds. C’est une manière plus libre de se ­parfumer, nettement moins dictée par le mar­keting, avec des notes aromatiques, y compris les accords floraux et l’oud animal, majoritairement considérées comme unisexes. Un style de parfumerie qui encourage l’expérimentation des formes et des types de senteurs jusqu’à ­obtenir un résultat hautement personnalisé. Cela intrigue l’amateur de parfums occidental qui recherche quelque chose d’unique, en accord avec sa personnalité. « En outre, nous sommes de plus en plus nombreux à rechercher des parfums naturels et des façons plus authentiques, voire spirituelles, de nous parfumer », affirme Alexandre Helwani. « Nous ne trouvons pas ­cela dans la parfumerie occidentale, mais dans la tradition séculaire de la parfumerie arabe. »

Riche histoire, grande culture

Les racines de la parfumerie remontent à l’Égypte ancienne, mais c’est la découverte par le monde arabe de la distillation à la vapeur au huitième siècle qui a révolutionné l’industrie du parfum. Avicenne a découvert comment ­extraire les huiles essentielles des plantes, des fleurs et des herbes. La diversité des ­ingrédients disponibles grâce aux routes commerciales avec l’Asie a donné un solide coup de pouce à la culture de la parfumerie arabe.

«Il y a de plus en plus façons authentiques, voire spirituelles, de nous parfumer. Nous les trouvons dans la tradition de la parfumerie arabe»

Helwani voit également une autre raison pour laquelle la culture de la parfumerie arabe est si développée : « Le parfum n’ayant eu aucune signification religieuse pendant quatre siècles, les parfumeurs ont pu développer librement les senteurs. Porter du parfum au quotidien est une tradition qui existe depuis bien longtemps. Offrir à ses invités des senteurs agréables, à leur arrivée et lors de leur départ, est considéré comme un signe d’hospitalité. Se parfumer est une affaire de soin personnel. Le choix des fragrances est un rituel en soi. Ce n’est qu’à partir du XIIe siècle, moins dans le Coran que dans le Hadith (la tradition orale qui complète le Coran, ndlr), que se laver et se parfumer avant la prière est encouragé et que le parfum revêt une signification religieuse. »

« Dans la culture arabe, le parfum est associé à la moralité : plus vous portez de parfum, plus vous êtes une bonne personne », poursuit Helwani. « Il exprime votre statut social et votre personnalité. » Pour les femmes voilées, c’est l’une des rares façons de s’exprimer. « C’est pourquoi la personnalisation d’un ­parfum, en combinant différentes formes et différents types de senteurs, fait l’objet de beaucoup de temps et d’attention. On commence par un attar (huile de parfum), puis on choisit un bakhour (encens) pour parfumer ses cheveux et ses vêtements et on applique enfin un ou plusieurs parfums à base d’alcool. C’est un rituel réfléchi. »

Contrairement au Moyen-Orient, le parfum était sacré en Europe, réservé à l’Église et aux rois. « Au départ, le parfum était un médicament. L’odeur n’avait pas d’importance ; la notion de combiner les ingrédients pour obtenir une odeur agréable n’existait pas. La culture du parfum n’est apparue qu’au XIXe siècle, avec le développement de molécules aromatiques de synthèse, telles que la coumarine et la vanilline. » L’utilisation de parfums est par ailleurs nettement moins établie. Dans un passé pas si lointain, les gens avaient généralement un seul parfum, qu’ils recevaient en cadeau. Aujourd’hui, les jeunes en particulier ont plusieurs parfums, qu’ils portent en fonction des différentes occasions et de leur humeur.

Pollinisation croisée

La France est considérée comme l’épicentre de l’industrie du parfum depuis le XVIIIe siècle, mais elle est depuis peu confrontée à la concurrence croissante du reste du monde. Le Moyen-Orient, en particulier, influence de plus en plus les goûts et les préférences aux quatre coins du monde. À l’inverse, le style des parfums occidentaux a également une ­influence croissante sur le Moyen-Orient. « Les genres occidentaux classiques tels que les parfums floraux, les gourmands, les fougères et autres sont relativement nouveaux au Moyen-Orient. Les parfums old school en particulier, comme les parfums chyprés ou poudrés, que beaucoup d’Européens considèrent comme démodés, y rencontrent un certain succès », confie Alexandre Helwani.

Mais cette pollinisation croisée reste pour l’instant limitée, estime-t-il. Cela s’explique par une vision différente du parfum : « En Europe, le parfum est encore considéré comme un ­produit cosmétique, comme un accessoire de mode futile, qui n’a pas la même signification et le même ancrage que dans la culture séculaire de la parfumerie arabe. Un retard qui n’est pas facile à rattraper, surtout si nous ne changeons pas notre façon de voir le parfum en Europe. »

EXPO Une exposition sur la culture de la parfumerie arabe se tient à Paris jusqu’au 17 mars 2024. Vous pourrez y découvrir l’histoire des ingrédients aromatiques typiques, la production des fragrances, leur rôle dans les interactions sociales, dans la sphère privée et dans la délicieuse cuisine du Moyen-Orient.

Parfums du Monde Arabe jusqu’au 17 mars 2024 à l’Institut du Monde Arabe. www.imarabe.org

Senteurs du ­Moyen-Orient

Le style typique des parfums arabes repose sur des ingrédients phares tels que le musc, l’ambre et l’oud, associés à des résines (encens, myrrhe), des épices (safran, cannelle), des fleurs (roses, également le jasmin dans certaines régions), des plantes aromatiques (nard) et du bois (bois de santal, patchouli).

Thameen Diadem est un mélange d’encens avec de la rose, du safran et du patchouli (50 ml : 270 €, senteursdailleurs.com)

Fragrance Du Bois Cavort associe le safran à la cannelle, à l’encens, à la ­résine de labdanum et au bois (EDP 100 ml : 335 €, ­senteursdailleurs.com, lamaisonduparfum.com)

Ormonde Jayne Ta’if est un parfum de rose épicée avec du safran et des dattes (EDP 50 ml : 145 € : beautybykroonen.com, senteursdailleurs.com)

Tom Ford Black Orchid est un parfum ambré de style moyen-oriental riche en épices, encens, patchouli et bois de santal (EDP 30 ml : 89,90 €, parfumerie)

Oud sans doute

L’oud est l’ingrédient le plus mythique et le plus cher. Lorsque les arbres Aquilaria d’Asie du Sud-Est ou d’Inde sont infectés par un champignon spécifique, ils développent une résine odorante qui colore leur cœur d’une couleur foncée. Plus l’arbre est vieux, meilleure est la qualité.

BDK Oud Abramad un parfum de oud avec de l’encens, du safran, des roses et des fleurs blanches. EDP 100 ml : 190 €, beautybykroonen.com

Amouage Opus XV King Blue est un parfum de oud avec une pointe d’orange et un fond de bois. L’oud étant résolument présent, ce parfum s’adresse aux initiés. Par ailleurs, vous pouvez aussi acheter des attars sur le site. 100 ml : 455 €, amouage.com

Kayali Oudgasm est une collection de quatre fragrances (Vanille, Rose, Tabac et Café) à porter séparément ou à combiner. EDP Intense 50 ml : 139 €, chez Ici Paris XL et hudabeauty.com

Miglot Pure Oud est un extrait de oud pur de Thaïlande, pour les puristes. 50 ml : 584,50 €, miglot.com

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