Eddy Caekelberghs

Suwalki, la petite bande de terre qui pourrait couper l’Union européenne (et l’Otan) en deux

Eddy Caekelberghs Journaliste à La Première (RTBF)

C’est une petite bande de terre qui pourrait, un jour, être l’objet d’une appropriation russe qui couperait alors l’Union européenne (et l’Otan! ) en deux…

Je vous écris de Suwalki. Vous connaissez? Ce corridor de 35 kilomètres de large sur à peine 85 de long assure la frontière entre la Lituanie et la Pologne, soit entre deux territoires de l’Union européenne. Coincé entre l’exclave russe stratégique de Kaliningrad et la Biélorussie – une exclave, oui, parce que l’ancienne Königsberg allemande est un port important de la Baltique: sous-marins, navires et ogives nucléaires y pullulent.

Suwalki, c’est une petite bande de terre qui pourrait, un jour, être l’objet d’une appropriation russe qui couperait alors l’Union européenne (et l’Otan! ) en deux… Cela suscite les craintes des pays baltes. Mais l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan devrait en partie rassurer l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.

Justement, où en sont ces entrées? La Finlande, c’est fait. Mais le cas suédois traîne, merci à la Turquie d’Erdogan! Et le pacha d’Istanbul, fort de sa victoire aux urnes, ne devrait pas courber l’échine. Surtout que ses contacts avec Poutine sont au beau fixe malgré son statut de membre de l’Otan.

A Suwalki, je vois des militaires polonais, lituaniens et plus largement de l’Otan. Des camions, des engins qui, discrètement, arpentent les routes. Mais à Suwalki – et dans la région – peu ou pas de visibilité (d’investissements? ) de l’Union européenne. Pas de drapeaux aux frontières pour marquer l’espace.

Connaissez-vous l’Accord dit “des pourcentages”? Je vous écris aussi de la ligne Oder-Neisse, où cet “accord” se vit et se lit encore clairement. L’accord en question, c’est celui passé discrètement le 9 octobre 1944 entre un Churchill qui se méfiait du président américain Roosevelt, et le terrible et roublard Joseph Staline. Churchill négocia en bilatérale, disputant des territoires: certains totalement sous coupe soviétique immédiate, d’autres entièrement occidentaux (comme la Grèce), la plupart censés être partagés en “pourcentages d’influences”. Accord vite caduc dès que Staline aura installé “ses amis politiques” au pouvoir dans chacun de ces futurs membres du bloc de l’Est naissant.

Troquer la paix contre des territoires, au mépris des populations. Le refera-t-on encore? Qui sait?

Paix contre territoires! Quand le même Churchill parlera d’un “rideau de fer qui s’est abattu sur l’Europe”, il oubliera de mentionner son “pourcentage” de responsabilité dans cet état de fait.

Et nous aujourd’hui? Nous qui avons déjà accepté le fait de l’annexion de la Crimée en 2014? Des oblasts du Donbass ensuite? D’un quart de la Géorgie plus tôt encore en 2008? Si l’Ukraine ne s’était pas battue pour nous telle qu’elle se bat encore, qu’aurions-nous accepté une fois encore?

N’est-il pas récurrent d’entendre que l’on pourrait “troquer des parties de territoires ukrainiens contre la paix”? N’est-ce pas à ce point connu que d’aucuns, dans l’entourage du Kremlin, envisagent même “d’acheter” littéralement ces territoires? Pour ne pas perdre la face et y gagner des zones stratégiques, en coupant l’Union (élargie à l’Ukraine) d’accès importants sinon à coup de “corridors” qui seraient autant de proies. Comme à Suwalki et à Königsberg ou Kaliningrad!

A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, nous avons dealé avec Staline: tu annexes une partie de la Pologne (que tu avais acquise déjà dans l’accord avec Hitler au début de la guerre) et nous “reconstituons” une Pologne de même ampleur en lui “donnant” des parties de sol allemand. Troquer la paix contre des territoires, au mépris des populations, vains trophées de l’hubris des guerriers et des “pacifistes” de la realpolitík. Le refera-t-on encore? Qui sait?

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