Carte blanche
Obsolescence du talent humain: quand les robots opèrent mieux que les chirurgiens, que reste-t-il aux managers ?
“Robots will surpass the best human surgeons within 5 years”, a affirmé Elon Musk, le 27 avril 2025. Un tweet, 10 mots, et une gifle pour toutes les professions qui se croient encore protégées par la complexité de leurs gestes, la précision de leurs mains, la noblesse de leur savoir-faire. Pour les entreprises, cette révolution pose une question brutale : comment piloter le travail humain quand l’excellence devient automatisable ? Le management est-il prêt à faire face à l’obsolescence du talent humain ?
Si la prédiction de Musk se confirme, elle fera plus qu’ébranler le monde médical : elle reconfigurera toute l’architecture mentale de l’entreprise. Car la chirurgie n’est pas un métier quelconque. Elle cumule technicité, responsabilité, concentration extrême et réactivité en environnement incertain, autant de qualités qu’on croyait encore réservées aux meilleurs humains. Si les robots humanoïdes surpassent les meilleurs chirurgiens mondiaux, la robotisation ne se contentera plus des chaînes de montage : elle va entamer les fonctions centrales de l’entreprise, pas seulement ses bras
D’ici à 2030, les robots humanoïdes boostés à l’IA disposeront à la fois de la motricité fine et de la capacité analytique. Ce sont les deux jambes du travail qualifié. Beaucoup d’entreprises n’ont pas encore intégré cette mutation. À terme, la distinction entre travail manuel et travail intellectuel sera aussi obsolète que celle entre homme et machine. Ce qui comptera, ce ne sera pas ce que vous savez faire, mais ce que vous êtes irremplaçable à faire. Et cela, très peu de professions peuvent encore le revendiquer.
Le pouvoir de décision n’est pas inaliénable
D’ici à 2030, les entreprises ne seront plus seulement augmentées par la technologie, elles seront transfigurées. Les tâches exécutives ont déjà basculé dans l’automatisation. Les tâches analytiques, à leur tour, sont absorbées par les IA génératives. Ce qui vient ensuite, ce sont les fonctions de jugement, celles qu’on croyait irréductiblement humaines : arbitrer, prioriser, régler des dilemmes, trancher dans l’ambigu. Et contrairement à ce que les cadres aiment croire, le pouvoir de décision n’est pas inaliénable : il se code, il s’optimise, il se remplace. En outre, le mythe selon lequel l’humain resterait indispensable pour les soft skills s’effondre doucement.
Contrairement à ce que les cadres aiment croire, le pouvoir de décision n’est pas inaliénable : il se code, il s’optimise, il se remplace.
Les entreprises deviendront des organisations hybrides, où des centaines de cerveaux biologiques dialoguent avec des millions d’instances artificielles. Les notions de hiérarchie, de poste, de carrière perdront leur sens. On ne travaille plus au sein de ces entités : on s’insère ponctuellement dans un système intelligent, comme un plug-in humain. Le mot “collaborateur” deviendra anachronique. On parlera d’interfaces humaines. Les entreprises deviendront des écosystèmes computationnels alliant agents logiciels, robots physiques et humains résiduels.
Elon Musk prophétise une révolution chirurgicale. Mais derrière le scalpel, c’est le management tout entier qui vacille. Si une IA humanoïde peut exceller au bloc opératoire, qu’est-ce qui pourrait encore lui résister dans les entreprises ? Le robot chirurgien est un test : s’il passe, tout tombe. Alors oui, la prophétie de Musk sur les chirurgiens est plus qu’une anticipation médicale : elle ouvre la voie à une question vertigineuse pour les dirigeants : si les meilleurs d’entre nous peuvent être dépassés, quelle est encore la fonction du leadership humain ? La réponse sera dans la reprogrammation du sens même du mot “entreprise”.
Laurent Alexandre, médecin et entrepreneur et Alexandre Tsicopoulos, étudiant en droit
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