Philippe Ledent

Le consommateur retrouve (un peu) le pouvoir

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

L’inflation est un phénomène complexe. Alors qu’on la croyait disparue au cours de la dernière décennie, elle reste aujourd’hui au cœur des préoccupations de la politique économique. Non seulement elle a atteint des niveaux record l’année dernière mais, malgré une baisse évidente grâce à la diminution des prix de l’énergie, les pressions inflationnistes restent nombreuses.

Durant la pandémie, on a assisté à un phénomène particulier: les mesures de soutien aux ménages un peu partout dans le monde ont provoqué une forte demande de leur part. Puisque la plupart des services étaient inaccessibles pour cause de confinement, cette demande s’est essentiellement portée vers les marchandises, dont la disponibilité était limitée par la désorganisation généralisée du transport international, principalement maritime, et par la fermeture de nombreuses usines.

La suite est bien connue: la pandémie a joué les prolongations, essentiellement en Chine, si bien que les problèmes d’approvisionnement ont mis du temps à se résoudre. La guerre en Ukraine a par ailleurs provoqué de nouvelles tensions sur les chaînes d’approvisionnement et la crainte de nouvelles pénuries (qui ne se sont heureusement pas matérialisées). La forte demande et l’offre limitée de manière prolongée ont alors provoqué d’incroyables augmentations de prix, que le consommateur ne pouvait que subir, en l’absence de tout pouvoir de négociation, puisque ce qui était demandé était difficilement disponible. Dès lors, toutes les hausses de prix des matières premières, de l’énergie ou des composants ont entièrement (et parfois même plus) été répercutées sur les clients. C’est une conjonction tout à fait exceptionnelle de toutes les causes possibles de l’inflation.

Le consommateur retrouve du pouvoir de négociation et la capacité de faire jouer la concurrence.

Heureusement, les choses sont en train de changer drastiquement. D’un côté, la consommation des ménages évolue. La consommation de biens diminue alors que celle de services augmente. De l’autre, l’offre de marchandises s’est nettement améliorée: les usines tournent à nouveau partout dans le monde et le transport maritime a retrouvé ses pleines capacités.

On assiste donc logiquement à une nette diminution des prix de la plupart des matières premières. Au niveau du transport maritime, le retour à la normale est encore plus rapide: après un an de baisse par rapport aux niveaux les plus élevés, les prix spot pour le transport de conteneurs se sont stabilisés juste au-dessus des niveaux d’avant la pandémie au cours du premier trimestre de cette année. Ils sont à présent inférieurs de 75% à la moyenne de 2022 sur l’itinéraire commercial Chine-côte Ouest des Etats-Unis, et sur l’itinéraire commercial Chine-Europe, la baisse est de plus de 80%. Enfin, pour de nombreux composants en pénurie ces deux dernières années, de nouvelles capacités de production ont rapidement été créées et entrent à présent en service, ce qui entraîne une augmentation de la production.

Bref, tous les feux sont au vert pour que le consommateur reprenne la main. Il retrouve en effet du pouvoir de négociation et la capacité de faire jouer la concurrence. C’est une bonne chose pour les ménages, une moins bonne pour les entreprises qui ont pu conserver jusqu’à présent leurs marges compte tenu du rapport de force déséquilibré par les pénuries. Faut-il aussi y voir la fin de l’inflation? Attention quand même, car comme indiqué précédemment, la demande pour les services reste forte actuellement, ce qui génère toujours d’importantes tensions inflationnistes. Le reflux de l’inflation ne sera donc que graduel.

ECONOMISTE CHEZ ING ET CHARGÉ DE COURS INVITÉ À L’UCLOUVAIN

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