Philippe Ledent
Course aux jouets: créer la rareté pour maximiser le pricing power
Permettez-moi de partager une petite expérience d’achat de Noël, riche en enseignements économiques.
Mon fils étant fan de roller coasters, j’avais pour idée de lui acheter le modèle collector d’une célèbre marque de briques en plastique. Depuis quelques années, cette dernière a développé des séries limitées de constructions de grand gabarit. Ces articles étant très réalistes, j’imagine que beaucoup les achètent pour les construire et en profiter. C’était en tout cas notre intention. Mais comme ils sont plutôt rares, certains les achètent en espérant qu’ils prendront rapidement de la valeur. En d’autres termes, il ne s’agit, dans certains cas, que d’un investissement.
Me rendant dans une grande enseigne de jouets, j’y retrouve la plupart des modèles phares, à l’exception d’un seul article, en rupture de stock : le fameux roller coaster. Passé l’étonnement et la frustration, je lis sur l’étiquette du rayon désespérément vide que l’article en question était en promotion (- 40%). Manifestement, des petits malins se sont empressés d’acheter le stock pour probablement le revendre sur internet au prix plein, voire plus. Un petit tour au rayon des articles réservés en ligne le confirme. J’y retrouve en effet les sept boîtes disponibles du roller coaster, dont six avaient été achetées par le même client, en deux fois trois boîtes pour ne pas éveiller un quelconque soupçon d’en faire le commerce (soupir).
Ma course ratée aux jouets illustre une situation pourtant courante (et ses effets pervers) : les marques ont intérêt à créer de la rareté afin de maximiser leur pricing power (capacité de certaines entreprises à augmenter leurs prix sans perdre de clients et sans chute des ventes). Pour ce faire, elles doivent d’abord créer un attachement du public à un produit. Cet attachement peut être lié à l’utilité du bien en question, mais peut aussi être purement psychologique. En tout cas, cela augmente la demande. Ensuite, la limitation de la production du produit renforce encore l’attachement du public (c’est rare… donc c’est forcément bien !), tout en créant un déficit entre l’offre et la demande, ce qui confère au vendeur la capacité d’en augmenter le prix.
Les marques ont intérêt à créer de la rareté afin de maximiser leur “pricing power”.
La célèbre marque à la pomme est passée maître dans ce jeu, l’industrie du luxe utilise les mêmes codes, tout comme les briques en plastique à présent. Toutes ces marques restent néanmoins des petites joueuses à coté de Satoshi Nakamoto, le créateur du bitcoin. En utilisant le concept de rareté, il a réussi à donner un prix à quelque chose qui n’existe pas. Chapeau bas…
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Ce petit jeu a des effets pervers : on en revient ainsi aux petits malins qui tentent de s’accaparer le pricing power de la marque en asséchant le marché officiel pour revendre les produits prisés par d’autres canaux et ainsi profiter de la rareté. Ce phénomène était déjà très connu pour les concerts, mais le développement des sites de vente en ligne l’a élargi à tous les biens “rares”. Cela peut finir par détourner les clients potentiels, mais j’imagine que les marques s’y retrouvent malgré tout, même si dans le cas de mon roller coaster, la marque ou son revendeur ont abandonné 40% de leur marge au profit d’un particulier qui en fera le commerce sur internet. Le Père Noël est parfois décevant…
Crier directement aux dérives de l’économie de marché est pourtant un peu rapide. Ces situations s’expliquent par le fait que les consommateurs aiment les mêmes choses au même moment. C’est d’autant plus paradoxal alors qu’il y a abondance de biens et de services. La rareté est souvent artificielle. Et tant pis pour le roller coaster.
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